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2.4 La méthode de la fonction de Green Korringa-Kohn-Rostoker

2.4.4 Traitement du désordre chimique : approximation du potentiel cohérent

L'étude de phénomènes liés au désordre dans un cristal est extrêmement complexe à prendre en compte avec les méthodes "conventionnelles" de calcul de la structure électronique. En eet, quel que soit le type de désordre mis en jeu (chimique, de spin, thermique), l'implémentation de ce dernier dans un modèle physique va détruire les symétries du cristal et donc rendre délicate l'utilisation des méthodes de calcul de la structure électronique habituelles. Des solutions plus ou moins ecaces ont été trouvées au cours du temps pour pallier cette diculté :

L'approximation du crystal virtuel : L'approximation du crystal virtuel (Virtual Crystal

Approximation [200]) restaure les symétries d'un alliage binaire AxABxB désordonné en remplaçant chaque atome du système par un atome ctif, dont le numéro atomique est la moyenne des numéros atomiques des atomes A et B de l'alliage : Z = xAZA+ xBZB.

Cette méthode donne des résultats jugés satisfaisant lorsque les deux espèces chimiques sont directement voisines dans le tableau périodique.

L'utilisation de supercellules : le désordre est simulé par le biais de plusieurs supercellules

élargies, disposant de congurations atomiques diérentes, mais partageant la même com- position. Les résultats obtenus pour les diérentes congurations sont ensuite moyennés pour représenter ceux de l'état désordonné.

Ces méthodes restent cependant globalement insatisfaisantes. La première peine à eectuer des descriptions réalistes d'alliages, à cause de la perte des propriétés des atomes individuels. La seconde nécessite de redoubler d'eorts numériques et impose des restrictions sur la st÷chiométrie et sur la taille des supercellules qui deviennent grandes si l'on veut correctement décrire le désordre. La modélisation du désordre via une moyenne des congurations, lorsqu'on calcule la fonction de Green dans le cadre de la théorie des diusions multiples, est par contre bien plus facile à réaliser. Nous allons présenter ici la succession d'idées ayant conduit à l'approximation du potentiel cohérent que nous avons utilisé dans cette thèse et qui a permis de modéliser avec succès un grand nombre d'alliages désordonnés, pour des coûts calculatoires relativement faibles. Par souci de simplicité, les corrélations entre sites atomiques voisins vont être négligées. Une distribution aléatoire des composants de l'alliage est prise en compte, avec pour restriction la composition chimique de ce dernier. C'est dans ce contexte que Korringa [201] et Beeby [202] ont proposé une matrice t à un site tAT A (average t-matrix approximation) an de modéliser

l'alliage désordonné AxABxB. Cette matrice est dénie comme la moyenne des matrices-t à un site des éléments de l'alliage, pondérées par leur concentration : tAT A = x

AtA+ xBtB. Cette

approximation soure cependant d'un défaut majeur : elle ne garantit pas le caractère positif de la densité d'états pour les énergies réelles. Cette incohérence a été mathématiquement résolue en 1967, grâce à l'introduction par Soven de l'approximation du potentiel cohérent (CPA) [203].

Figure 2.6  Illustration du milieu CPA, pour un alliage désordonné AxABxB

Cette approximation fait intervenir un environnement auxiliaire CPA, construit en imposant que l'immersion d'un des atomes de l'alliage dans le milieu construit par la CPA doive reproduire, dans la moyenne de la concentration de l'atome, les propriétés de l'environnement CPA. La gure 2.6 devrait clarier ces propos. Nous pouvons dénir mathématiquement la CPA de la façon suivante : xAτAnn 0 + xBτBnn 0 = τCP Ann0 (2.81)

où, toujours dans le cadre de sites atomiques indépendants, nous pouvons écrire :

ταnn0 = [(tα)−1− (tCP A)−1− (τCP A)−1]−1, α = A, B (2.82) L'équation (2.82) est tirée d'un formalisme plus vaste, reposant sur la transformation de l'équation de Dyson en une formule algébrique pour les opérateurs de diusion τ, nous per- mettant de traiter l'immersion d'un agrégat d'atomes dans un système hôte parfait. Dans le cas présent, l'hôte est le milieu CPA et l'agrégat un unique atome central. L'équation (2.81) impose implicitement une condition sur la matrice t à un site tCP A, via l'equation (2.82). Ce-

pendant, tCP A est nécessaire pour calculer l'opérateur de diusion τCP Ann (par exemple avec

l'équation (2.74)) présent dans l'équation (2.81). Ces équations doivent donc être résolues de ma- nière auto-cohérente, en commençant avec une matrice initiale tCP A

depart; souvent, tAT Asera choisie

comme matrice-t à un site de départ. Plusieurs algorithmes existent pour résoudre les équations CPA ; ces calculs sont maintenant bien maîtrisés [204, 205].

désordonné dans le formalisme KKR-CPA, grâce à la moyenne pondérée par les concentrations suivantes :

G(~r, ~r0, E) =X

α

xαGα(~r, ~r0, E) (2.83)

où Gα(~r, ~r0, E) est obtenue grâce aux ταnn et aux fonctions d'onde spéciques Zα et Jα.

En regardant l'équation (2.83), on peut constater que l'information spécique aux diérents composants de l'alliage est conservée dans la moyenne. Ce dernier point nous permet de tisser un lien entre la méthode KKR-CPA présentée ici et les techniques expérimentales sensibles aux espèces chimiques présentes dans l'objet d'étude, comme la résonance magnétique nucléaire (NMR) ou la spectroscopie d'absorption de rayons X.

Il est important de noter que le désordre va rendre diuses les lignes des fonctions spectrales de Bloch, éloignant ces dernières des relations de dispersion (structure de bandes) E~k obtenues

pour des solides ordonnés, comme montré en Fig. 2.7. Cela implique, entre autres, que ~k n'est plus un bon nombre quantique dans l'étude des solides désordonnés.

Figure 2.7  Bloch spectral function et densité d'états projetée en spin (rouge : spin majoritaire, bleu : spin minoritaire) de : a) l'alliage d'Heusler ordonné MnGaMnMn ; b) l'alliage d'Heusler partiellement désordonné MnGaMn[Mn0.5Co0.5], où le désordre a été traité grâce à l'approxima-

tion du potentiel cohérent. Graphes issus de la Ref [206].

Forte de nombreux succès dans l'étude de phénomènes physiques dus au désordre [207, 208, 209], l' approximation CPA a tout de même donné naissance à des méthodes plus sophistiquées, cherchant, entre autres, à inclure les eets à courte portée oubliés dans l'approximation à un site du CPA. Dans ces nouvelles méthodes, nous pouvons par exemple citer l'approximation du potentiel cohérent non local ou NL-CPA [210, 211] ; inspirée des méthodes à N-corps, cette méthode va non pas immerger un atome dans un milieu CPA mais des agrégats d'atomes dans un milieu NL-CPA. Cette méthode très prometteuse a déjà de nombreuses applications décrites dans la littérature et ouvre la voie à de nouveaux développements théoriques [212, 213, 214].

2.4.5 Formule de Lloyd

Cette formule dérivée originellement par Lloyd [215], est fréquemment employée pour assurer une description correcte de la structure électronique de cristaux dont le niveau de Fermi est

situé au voisinage d'une bande interdite, dans le formalisme KKR basé sur les fonctions de Green [216, 217, 218].

Comme expliqué dans la référence [219], la méthode KKR basée sur les fonctions de Green requiert la troncation du développement des matrices t à un site et de la fonction de Green du système sur une base d'harmoniques sphériques. Cela revient à considérer une valeur maximum du nombre quantique orbital lmax. La troncation, pour les matrices t, à un site n'est généralement

pas problématique. Cette approximation numérique converge assez vite avec l et donne une erreur qui est, dans la plupart des cas, contre-balancée par celles dues aux autres approximations numériques nécessaires, comme le choix de la fonctionnelle d'échange-corrélation. Nous ne nous en préoccuperons donc pas pour la suite.

La troncation à lmaxest néanmoins plus problématique pour le calcul de la fonction de Green

du système, grâce à la théorie des diusions multiples. La densité électronique est souvent incor- rectement normalisée à cause de cette troncation, car des contributions des moments angulaires plus élevés sont nécessaires. Le faible excès ou défaut de charge qui en résulte est compensé, dans les systèmes métalliques, par une légère variation du niveau de Fermi. Cette variation est la plu- part du temps faible et négligeable. Dans les systèmes semi-conducteurs ou isolants, par contre, la charge ne peut pas être corrigée par une variation faible du niveau de Fermi dans la bande in- terdite. L'algorithme va donc placer le niveau de Fermi soit au maximum de la bande de valence, soit au minimum de la bande de conduction. Ce problème de normalisation de charge conduit donc inévitablement à des erreurs qualitatives majeures : il transforme les systèmes isolants ou semi-conducteurs en métaux.

La formule de Lloyd a donc été suggérée comme solution [215]. Après un travail d'optimisation du processus présenté dans les références [220, 221, 219], cette formule permet dorénavant, par une sommation implicite, une normalisation de la charge extrêmement précise. En plus de calculer correctement la position de l'énergie de Fermi, elle autorise aussi la correction d'autres problèmes inhérents au formalisme KKR, permettant par exemple de retrouver un moment magnétique de spin par formule unité entier dans les composés demi-métalliques, ou d'aligner correctement les bandes des états du Fe et du Si dans des multi-couches [219].

La formule de Lloyd a cependant le défaut, dans sa formulation actuelle, d'être extrêmement coûteuse en termes de temps de calcul pour des systèmes de taille conséquente. Un comparatif des temps de calcul tenant compte ou pas de la formule de Lloyd (et présentant de nouveau algorithmes, pas encore disponibles dans le code SPRKKR que nous employons) est présent dans la référence [222].