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TRADUCTION EMPIRIQUE DE LA CONFIANCE TRIDIMENSIONNELLE

INTRODUCTION PARTIE 2

CHAPITRE 3 TRADUCTION EMPIRIQUE DE LA CONFIANCE TRIDIMENSIONNELLE

Nous l‟avons vu, la conception économique usuelle de la confiance est limitée, elle ne permet pas d‟appréhender toute la richesse de ce concept.

L‟analyse de la confiance comme une croyance ex ante à la décision et la coopération définie à partir de ses modes de construction nous a permis de distinguer trois types de confiance.

Sans nous éloigner des fondements économiques de la confiance dans le sens où celle-ci se matérialisera lorsqu‟un ou plusieurs individus décident d‟accorder leur confiance en situation d‟incertitude, nous avons proposé d‟élargir cette notion d‟incertitude, ne relevant plus exclusivement du risque de comportements opportunistes.

Ainsi, l‟aptitude à faire confiance ne s‟appréhende plus uniquement dans une dynamique calculatoire, les croyances individuelles reposant aussi sur des déterminants moraux et sociaux.

La confiance peut-être tout aussi bien cognitive, normative et affective et ses fondements théoriques relèvent de l‟interdisciplinarité et s‟analyse sous hypothèse de rationalité procédurale.

La confiance est une croyance individuelle, en situation d‟incertitude, le trustor A croit que le trustee B réalisera une tâche donnée de telle manière que le résultat soit conforme à ce qu‟il attendait.

Cette croyance résulte de trois logiques différentes, la confiance stratégique, la confiance personnelle et la confiance généralisée.

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Le tableau ci-dessous résume ces trois logiques décrites dans le chapitre 2 :

Tableau 2.1 - Confiance tridimensionnelle, définitions, incertitudes, logiques

CONFIANCE Croyance au bon déroulement de la transaction reposant tenu des informations que je détiens et des coûts transactionnels liés à une réduction supérieure de l‟incertitude ?

Déterminants - CS = croyance au bon déroulement de la transaction reposant sur :

- Garanties institutionnelles : niveau de complétude du contrat, crédibilité sanctions (système judiciaire, répétition des échanges, règles organisationnelles, normes qualité)

- Niveau d‟aversion au risque relatif aux comportements opportunistes et aux aléas

- Signaux entretenus par les trustee (réputation, diplôme) Confiance personnelle

Nature de l’incertitude : sentiment d‟appartenance, partage valeurs, personnalité d‟autrui, similitudes, affectivité

CP = croyance au bon déroulement de la transaction reposant sur la pratiques des liens sociaux et/ou les instances de socialisation selon diverses logiques :

Logique apprentissage /expérience: compte tenu de mon expérience des liens sociaux, dans quelle mesure puis-je supposer que les autres sont honnêtes

Déterminants : Expériences positives d‟échanges, de relations

Logique appartenance : mon appartenance à des réseaux me permet-elle de croire au bon déroulement de l‟échange envers les trustee du même réseau ? Déterminants : Sentiment d‟appartenance du trustee, normes et valeurs communes, crédibilité, légitimité

Logique informationnelle : Dans quelles mesures les informations que j‟ai sur le trustee, ses valeurs, ses expériences d‟échanges de par mes réseaux me donnent de bonnes raisons de croire qu‟il fera ce que j‟attends de lui ? Déterminants : Densité des liens sociaux

Logique affective : Dans quelles mesures les proximités amicales et familiales me permettent de supposer le bon déroulement de l‟échange ? Déterminants : Proximités affectives

Logique similarité/identification : Dans quelle mesure puis-je croire au bon déroulement de l‟échange si moi-même je respecterais mes engagements?

Déterminants : Valeurs du trustor, loyauté, altruisme, honnêteté, réciprocité ; Similitudes identifiées : culturelles, sociales, professionnelles,… avec le trustee ;

Similitudes des caractéristiques personnelles (âge, CSP, groupe ethnique…) Confiance généralisée

(CG) Logique

« structurelle/historique »

Logique structurelle :

Représentations sociales intériorisées par l‟individu à son insu. Propension générale

Déterminants : contexte macro social de l‟individu, traditions et coutumes historiques, capacité du système à produire des croyances générales d‟honnêteté, de loyauté, d‟altruisme, qualité des institutions étatiques.

Perspective de très long terme

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Ces trois types de confiance ne sont pas forcément indépendantes mais elles révèlent des conceptions différentes dont il est important de tenir compte dans les analyses comparatives (Knack et Keefer, 1997, La Porta et alii, 1997, OCDE, 2001, Centre d‟analyse stratégique, 2007, Algan et Cahuc, 2007) sur les niveaux de confiance et leurs conséquences.

Ainsi, ce chapitre propose une traduction empirique de la confiance, distincte de celle usuellement utilisée de par une conceptualisation tridimensionnelle de la notion.

Nos travaux reposent sur la base de données World Values Survey qui permet d‟interroger le changement social par l‟analyse et la compréhension de l‟évolution des attitudes, valeurs et croyances individuelles. L‟enquête est internationale et répétée. Bien que ces valeurs et ces croyances semblent avoir d‟importantes implications socio-économiques, peu de recherches ont été menées, jusqu‟à récemment, sur ces sujets. Dans le cadre de ce travail, c‟est notamment le développement de ces bases de données depuis les années 80, qui nous permet de prolonger les traductions empiriques de la confiance avec l‟objectif d‟améliorer la compréhension de ses implications économiques et sociales. Dans un premier temps, nous proposons une analyse critique des mesures usuelles, desquelles nous soulignons les enjeux mais aussi les difficultés inhérentes à la mesure de la confiance. Dans la seconde section nous présentons la structure, les fondements historiques et théoriques, le contexte d‟émergence des enquêtes EVS/WVS sur lesquelles se fondent ces analyses. Ensuite nous présentons notre démarche empirique fondée sur une analyse en composantes principales réalisée sur des indicateurs de confiance. A partir de ces résultats une dernière section propose des indices synthétiques de confiance en conformité avec les résultats théoriques et empiriques soulignés.

SECTION 1 - MESURER LA CONFIANCE, LIMITES, DIFFICULTES ET ENJEUX

La traduction empirique de la conceptualisation tridimensionnelle de la confiance s‟inscrit comme un enjeu important au regard des limites de la variable usuellement utilisée dans les analyses économiques (1.1). Mais cette traduction repose sur des difficultés empiriques importantes (1.2).

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1.1- Limites de la mesure usuelle de la confiance

L‟usage systématique de la variable usuelle peut s‟expliquer par une tradition de confiance immanente en économie (1.1.1). Ainsi la mesure usuelle souffre de fondements insuffisants et ouvre à de nombreuses critiques (1.1.2).

1.1.1-Sciences économiques : une tradition prégnante de confiance immanente Les travaux économiques, à la suite de l‟école néoclassique, que ce soit dans les analyses macroéconomiques ou microéconomiques présentent une vision limitée de la confiance. Cette limite peut s‟expliquer par l‟absence ou l‟incomplétude des réflexions portées à la compréhension de ses modes de production. Cette absence peut se comprendre comme la résultante d‟une tradition historique, les sciences économiques orthodoxes s‟étant construites hors du champ social, par souci notamment de « scientifisation » par l‟usage des mathématiques. La prise en compte de dimensions morales et sociales supposerait une complexification des phénomènes non modélisables. Tant que les hypothèses sous jacentes aux modèles, malgré leur irréalisme, permettaient la compréhension de phénomènes réels, elles n‟avaient pas à être remises en cause. Ainsi, en 1974, l‟économiste Arrow s‟intéresse à la confiance en tant qu‟ « institution invisible ». Dans ce contexte la confiance, même si elle revêt déjà une relative importance, est considérée comme une externalité. Même si la confiance accroît l‟efficacité économique, elle n‟est pas considérée comme un bien échangeable sur un marché et de fait, ses modes de productions sont hors du champ économique. La confiance résulte d‟une moralité généralisée, elle résulte de normes sociales mais est analysée de manière exogène. C‟est une externalité positive qui, en diminuant les coûts de coordination, accroit l‟efficacité productive. Cette conception ne repose certes pas exclusivement sur le calcul économique comme les analyses qui se sont développées en microéconomie standard (même élargie) par la suite, mais elle nous semble réductrice. En effet, considérer la confiance comme une externalité positive revient à la considérer comme une donnée indépendante de la sphère économique. Cette conception soulève aujourd‟hui de nombreux problèmes, et si la confiance est venue combler les brèches théoriques à l‟explication de la coordination, le manque de crédibilité des conditions de son émergence engendre des limites importantes quant à son rôle dans la sphère économique (cf. Chapitre 1).

La confiance devient un enjeu des sciences économiques mais le point d‟entrée analytique quant à sa conceptualisation réside dans l‟explication de l‟émergence du concept dans les

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modèles microéconomiques standards. Ce point d‟entrée a limité les réflexions sur cette notion, la cantonnant à la résultante d‟une logique calculatoire tout en la mesurant à partir d‟un indicateur de morale généralisée davantage proche de la conception d‟Arrow, de la confiance généralisée, telle que nous l‟avons définie, que de la mesure d‟une confiance

« stratégique » telle que la microéconomie l‟entend. Ainsi la définition de la confiance en sciences économiques s‟inscrit dans une logique héritée du passé alors même, que dans sa version stratégique, elle se refuse à prendre en compte les déterminants culturels de la confiance. Or « la confiance existe mais ne préexiste pas a priori. Elle se construit. Sa nature et ses caractéristiques dépendent de son mode de construction » (Mangematin, 1999, p 31-32). Nous partageons ce point de vue, du moins, en ce qui concerne la confiance stratégique et la confiance personnelle et nous soutenons que la mesure de la confiance doit tenir compte de ses modes de production. Ainsi la mesure usuellement utilisée est limitée, elle doit-être repensée au regard de la conceptualisation proposée.

1.1.2-Les limites de la mesure usuelle

Comme nous l‟avons déjà souligné dans le premier chapitre, la majorité des études économétriques portant sur la confiance la mesure à partir d‟une question de l‟enquête World Value Survey (WVS) à savoir « Generally speaking, would you say that most peaople can be trusted, or that you can’t be too careful in dealing with people ? » que l‟on peut traduire de la manière suivante “D’une manière générale diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens, ou bien que l’on n’est jamais trop prudent lorsque l’on traite avec autrui?”

La littérature est critique par rapport à l‟utilisation dans la question de vocables flous ou trop larges. Putnam (1995) insiste sur les imprécisions des termes « faire confiance » et « la plupart des gens » qui de par leur généralité peuvent être interprétés différemment selon les individus et cela d‟autant plus que la visée est une comparaison internationale.

Glaeser et al. (2000) testent le lien entre les réponses données à la question de WVS et les décisions réelles en situation de confiance. 258 étudiants ont répondu à un questionnaire de 137 questions proches de celles de WVS ainsi qu‟à une série de questions propres à l‟attitude des individus en situation de confiance, notamment sur l‟expérience des sujets en matière de confiance. 196 étudiants ont ensuite participé à la seconde étape du test à un jeu de l‟investissement (op.cit). Pour finir les auteurs ont développé le jeu de « l‟enveloppe égarée ».

Qu‟est ce que ce jeu ? On informe les étudiants qu‟une enveloppe à leur nom contenant 10 dollars va être déposée dans certains lieux (place publique, quartier riche….) et dans une

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certaine condition (enveloppe timbrée, ouverte…)64. On demande aux agents d‟estimer le montant qu‟ils vont récupérer. Glaeser et al. (2000) prennent alors comme mesure de la confiance la moyenne des montants estimés.

Leurs principaux résultats résident dans :

- Une absence de corrélation entre les caractéristiques sociodémographiques des individus et la confiance qu‟ils accordent à autrui dans les deux jeux.

- la question WVS usuellement utilisée pour mesurer la confiance est un faible indicateur des comportements observés en situation réelle de confiance.

- les décisions de confiance semblent dépendre de leur expérience passée et de leur implication dans des organisations d‟aide à autrui, ce qui confirme l‟existence de la confiance personnelle.

De même, dans le cadre d‟une réflexion sur les travaux d‟Algan et Cahuc, Laurent (2009) souligne l‟utilisation hasardeuse de cette variable65, sans que des précautions n‟aient été introduites sur la fragilité théorique du concept de confiance généralisée. Ainsi il regrette la traduction erronée du terme « careful » interprété par Algan et Cahuc (2007) comme

« défiant » alors que « prudent », « avisé », « réfléchi » ou « réservé » serait plus approprié.

Cette erreur de traduction renvoie à une erreur conceptuelle, le contraire de la confiance n‟étant pas la défiance ou la méfiance mais l‟absence de confiance. Il précise que « ce phénomène de défiance sociale généralisée n’a jamais été repéré dans la littérature jusqu’à présent et il existe justement, en pratique, des nuances qu’il serait intéressant de décrire et d’analyser dans les réponses que font les Français aux questions des enquêtes de valeurs qui mettent en jeu la confiance » (Laurent, 2009, p3-4)66

Ainsi la question de WVS n‟est pas à même de décrire la confiance et nous comprenons qu‟en économie expérimentale on préférera mesurer la confiance par le montant investi par les joueurs. Dans le cadre d‟une comparaison internationale la faisabilité de cette approche étant limitée nous tentons d‟appréhender la confiance à travers plusieurs questions de l‟enquête sur la base de la conceptualisation tridimensionnelle mise en évidence.

64Au total il y a 15 combinaisons lieux/conditions

65 La variable A165 est utilisée dans « La société de Défiance » d‟Algan et Cahuc, 2007, comme un indicateur de confiance généralisée dans une perspective comparative

66 En réponse aux travaux d‟Algan et Cahuc (La société de défiance, 2007)

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1.2- Enjeux et difficultés d’une traduction empirique

La traduction empirique de la confiance tridimensionnelle met en jeu nombreuses difficultés. Tout d‟abord la confiance est un attribut individuel, qui s‟exprime dans la relation interindividuelle et dont la définition repose sur des déterminants macros, mésos et micros.

Ainsi une définition précise du niveau de confiance suppose l‟articulation entre plusieurs niveaux d‟analyses avec les difficultés empiriques que cela engendre. Nous soutenons que les dimensions méso et macro peuvent être prises en compte à partir des déclarations individuelles sur les perceptions de l‟environnement macro sociales ou sur les déclarations individuelles relatives à l‟intensité des liens sociaux.

Une seconde difficulté résulte de la dépendance entre l‟aptitude à faire confiance et la relation d‟échange considérée, si la confiance généralisée échappe à cette dépendance, la confiance personnelle et la confiance stratégique y sont pour partie liées, la seconde davantage que la première. Ainsi nous supposons qu‟il est possible indépendamment de l‟échange, d‟appréhender une approximation de ces confiances, une aptitude à faire confiance suffisamment déterminante dans la décision d‟échange pour en tenir compte mais dont la composition et les niveaux pourront s‟ajuster en fonction de la nature de l‟échange (trustee, pertes encourues..). L‟aptitude à faire confiance est mesurée de manière non dichotomique, on peut poser l‟hypothèse que le seuil à partir duquel cette aptitude se traduira en coopération dépend du niveau de cette aptitude mais aussi de la relation d‟échange. Cette aptitude évaluée ex ante la coopération est déterminante.

Enfin, la mesure étant individuelle, se pose alors les problèmes d‟agrégation. Est-ce que la confiance d‟un pays peut se mesurer par l‟agrégation des croyances individuelles ? Nous soutenons que la confiance tridimensionnelle est encastrée socialement de par la nature des indicateurs qui la composent, ainsi nous limitons les erreurs possibles d‟agrégation. Les individus se positionnent individuellement mais aussi de manière relative à leur contexte social. Nous ne nions pas que cette agrégation puisse toujours prêter à discussion mais nous soutenons qu‟elle s‟avère fiable. Par ailleurs, l‟enjeu est de proposer une traduction empirique de la confiance interindividuelle mesurée à un niveau macro plus en adéquation avec ses fondements que celle usuellement utilisée ; elle le sera forcément, de par les limites de la mesure usuelle même si elle comporte encore certaines interrogations.

Une autre difficulté repose sur l‟articulation entre les trois dimensions de la confiance, sont-elles indépendantes ? Dans la construction de nos indicateurs, nous tenterons d‟isoler au

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mieux les différentes logiques afin de pouvoir considérer la confiance comme la résultante de la moyenne de ces trois types de confiance mais l‟exercice n‟est pas aisé et renvoie à deux principales difficultés.

Première difficulté : les différentes confiances s‟alimentent certainement entre elles. Ainsi on peut supposer que la croyance confiance généralisée alimente les deux autres, voire même, qu‟au-delà d‟un certain niveau de confiance généralisée, la confiance personnelle ou la confiance stratégique aient de fait un niveau minimum. Ce qui supposerait de construire des indicateurs dynamiques, tenant compte des interrelations entre les trois types de confiance.

Par souci de simplification et compte tenu de la disponibilité des données nous ne poursuivons pas cette piste et mesurons la confiance de manière statique comme la moyenne de ces trois types de confiance même si nous proposerons des hypothèses concernant cette dynamique.

Deuxième difficulté : l‟articulation entre ces trois types de confiance, la dominance de l‟une sur l‟autre en fonction de la situation d‟échange est tout à fait plausible et envisageable. C‟est la raison pour laquelle, même si nous ne nous privons pas de l‟indicateur synthétique rassemblant les trois types de confiance qui selon nous sera une mesure non parfaite mais meilleure que la variable usuelle, nous soutenons que les analyses comparatives gagneraient en pertinence et portée analytique si elles se fondaient sur l‟analyse disjointe et conjointe des trois types de confiance.

Des difficultés empiriques sont donc relevées. Par ailleurs, nous sommes aussi contraints par la disponibilité des données. Ainsi notre traduction empirique se veut meilleure que les précédentes non pas parce qu‟elle permet la résolution de toutes les difficultés mais parce qu‟elle tente au mieux d‟améliorer sa portée analytique. Dans une seconde section nous présentons l‟enquête WVS sur laquelle repose la construction de nos indicateurs.

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SECTION 2 Ŕ LES DONNEES SUR LES VALEURS, ATTITUDES ET