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Les ressorts culturels du développement économique intéressent de plus en plus d‟économistes. Avec l‟émergence à la fin des années 80 du concept de capital social, sa popularité et sa médiatisation se sont accompagnées d‟un développement conséquent de bases de données longitudinales et internationales sur les attitudes, opinions et valeurs qui ont favorisé l‟émergence de travaux plaçant la confiance au cœur de l‟efficacité économique. Les premiers travaux conséquents de Putnam (1993) et Fukuyama (1995) ont conduit à des spécifications macro-économétriques ((Knack et Keefer, 1997, La Porta et alii, 1997, Zak et Knack, 2001) pour tester les effets de la confiance sur divers indicateurs d‟efficacité économique et sociale. Ces travaux ont l‟intérêt d‟avoir fait de la confiance un objet d‟analyse incontournable des sciences économiques, mais les nombreuses limites théoriques, empiriques et conceptuelles soulignent l‟importance et l‟avenir des recherches économiques portant sur la compréhension de la confiance, de ses déterminants et de ses effets.

En effet, les fondements théoriques sont incertains, les relations causales indéterminées et la mesure douteuse. L‟économie des coûts de transactions est le plus souvent mobilisée pour expliquer ces liens mais outre les problèmes de confusion micro/macro (Beugelsdijk, 2006), la place d‟effets indirects via l‟efficacité gouvernementale ou le capital humain doit être creusée, les causalités doivent être précisées.

Les analyses macro-économétriques, tout autant par la richesse de ces travaux que par leurs limites conceptuelles, empiriques et théoriques, laissent entrevoir la nécessité et la portée d‟un pan de recherche portant sur la compréhension de la confiance. Les enjeux sont nombreux et la confiance ne peut plus être considérée comme une externalité positive dont la compréhension relève d‟autres disciplines. Comprendre la confiance, sa genèse, ses modes de production, ses déterminants devient nécessaire à la compréhension de ses effets. Cette conceptualisation de la confiance est une première étape pour mieux appréhender les concepts très populaires mais tout aussi flous de capital social et de confiance. Le manque de référence à des mécanismes explicites est l‟une des critiques les plus fortes des travaux empiriques portant sur le capital social. Les premières réflexions à mener relèvent de la définition de la confiance. En effet, il semble que l‟économie ait une vision limitée de ce que peut revêtir cette notion, ce qui explique, du moins pour partie, les autres difficultés. Comment préciser les effets de la confiance sur la performance économique, les phénomènes économiques qu‟elle engendre, que ce soit à un niveau macro ou micro, si on ne sait pas définir cette

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notion ? Comment sans définition consensuelle, comprendre les sources de cette confiance ? Comment sans ces sources, pourrait-on préciser les liens de causalité entre confiance et efficacité économique ?

Ainsi le second chapitre interroge la notion de confiance. A partir du constat de la diversité des approches, ancrées le plus souvent dans des positionnements disciplinaires, nous avons interrogé les fondements théoriques de la confiance en microéconomie standard. La confiance est un principe de coordination efficace sans lequel les équilibres de Nash sont sous optimaux mais son émergence repose sur des hypothèses très restrictives. La confiance doit être garantie par la justice et le contrat ou encore le jeu doit être répété à l‟infini pour que la réputation garantisse la confiance. Les résultats de l‟économie expérimentale poussent à dépasser ces conceptions. La confiance semble exister au-delà de ces hypothèses. Ainsi, nous avons prolongé nos recherches de fondements théoriques en interrogeant les enseignements des théories de la firme. La NEI avec la position radicale de Williamson a ouvert un débat sur les liens entre confiance et intérêt. La confiance prend la forme d‟une décision calculée face à un risque opportuniste. Elle résulte d‟un arbitrage entre les coûts de contrôle et les gains à la confiance. Cette conception est intéressante mais ne permet pas de saisir toute la richesse du concept, le raisonnement conduit à des situations où la confiance émerge sans pour autant que l‟on puisse la justifier par le risque opportuniste, il existe d‟autres sources d‟incertitudes.

Les approches hétérodoxes nous permettent de prolonger le raisonnement et d‟envisager la compréhension de la confiance au-delà de la rationalité substantielle et limitée, dans un cadre de rationalité procédurale plus à même de saisir toutes les dimensions de la confiance et de dépasser la seule logique calculatoire. La confiance devient une croyance individuelle encastrée socialement et moralement. Sa définition repose sur l‟analyse de ses modes de production. Ainsi la confiance interindividuelle en œuvre dans les relations économiques est la résultante d‟un subtil dosage entre confiance stratégique, confiance personnelle et confiance généralisée.

La confiance stratégique renvoie à une décision raisonnée en situation d‟incertitude. Elle résulte d‟anticipations individuelles face aux risques qu‟ils soient de nature opportunistes ou informationnels notamment relativement aux compétences du trustee mais aussi sur l‟existence d‟institutions formelles ou non formelles pouvant réduire les risques par l‟émission de signaux. Cette conception s‟accorde avec les enseignements de la théorie standard étendue et ses prolongements sous couvert d‟une rationalité limitée

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Les fondements de la confiance personnelle relèvent davantage de la théorie des conventions et de la sociologie économique. Elle repose, d‟une part sur la constitution individuelle d‟un capital confiance, une aptitude à faire confiance acquise par l‟intensité des liens sociaux, des réseaux dans un cadre familial, amical ou associatif ou au sein des instances de socialisation (école, famille, l‟entreprise, associations…) et d‟autre part sur les proximités personnelles ou sociales, construites ou innées existantes entre le trustor et le trustee. Elle ne repose pas sur l‟hypothèse d‟individus défiants par nature et autorise la prise en compte de valeurs telles la loyauté ou l‟altruisme. Elle comporte une dimension cognitive, affective et normative.

La confiance généralisée renvoie aux normes et valeurs transmises de génération en génération et intériorisées par l‟individu sans même qu‟il s‟en rende compte. Elle dépend essentiellement du contexte social dans lequel l‟individu évolue, de ses institutions étatiques, de sa tradition culturelle. C‟est une confiance latente, sa dynamique de production relevant du très long terme. Ses fondements théoriques relèvent davantage de la tradition structuraliste sociologique.

Ainsi la confiance telle qu‟elle est conceptualisée, si elle est, et mesurée dans les modèles de croissance à partir de la variable usuelle issue de l‟enquête World Values Survey, ne permet pas de comprendre la confiance dans toute sa richesse. La seconde partie propose une traduction empirique de cette notion telle que nous l‟avons définie, une analyse économétrique sur ses sources et, à partir de ces résultats, propose de revisiter les analyses descriptives portant sur l‟état de la confiance, d‟abord en France puis dans une perspective comparative.

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Partie 2

UNE APPROCHE