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Le buste intitulé Le Printemps23 (fig. 48), issu de la même période d’élaboration que Psyché, nous permet d’affirmer que rapidement dans l’élaboration de son œuvre, l’idée de la coiffe ailée, associée au symbole de la renaissance, est apparue à la statuaire. Cette œuvre présente une ressemblance frappante avec Jeune fille au bain de 1873, par sa reprise du détournement de la tête et des traits du visage (fig. 49). De l’œuvre Le Printemps, Bertaux réemploie dans Psyché la coiffure tombante et les ailes posées sur la tête. Un simple coup d’œil permet cependant de constater toute la stylisation avec laquelle les figures sont rendues en 1888. On ne retrouve rien du traitement antiquisant des cheveux de l’œuvre de 1875 dans le modelé synthétique des cheveux de Psyché. Ceux-ci sont tout juste esquissés. Le ruban bien visible grâce à un chromatisme doré dans Le Printemps se voit simplement suggéré dans l’œuvre de 1888, et vient qu’à se fondre complètement dans la chevelure.

Une autre œuvre de Bertaux, Buste de jeune fille (fig. 50), appartenant à la collection du Musée de Picardie à Amiens et acquise suite au don de Léon Bertaux en 1910, laisse croire qu’il s’agit d’une version du buste exposé au Salon de 1883, sous le titre Fragment d’une statue en voie d’exécution, et remarqué pour « sa grâce et son modelé »24. S’il ne s’agit pas de cette œuvre, nous pouvons affirmer son statut d’étude en vue de la future Psyché. Après celle du Printemps, l’œuvre apparait telle

23 Hélène Bertaux, Le Printemps, avant 1875, marbre, H. : 60 cm, Chalon-sur-Saône, Musée Denon. 24 Édouard Lepage, op. cit., p. 66.

une nouvelle étape au sein du processus de simplification des formes entamé par Bertaux. Cela est particulièrement visible dans le traitement des cheveux, qui ont perdu leur aspect bouclé. On y retrouve également la frontalité et l’air grave qui marquera la Psyché de 1888, de même qu’un traitement un peu plus idéalisé des traits du visage.

En comparaison avec les membres filiformes du Gaulois, la lourdeur du bas du corps de Psyché et la massivité de ses cuisses rappellent les corés grecques archaïques. Ce parallèle peut également être fait pour la droiture et la rigidité de la pose de Psyché, de même que l’avancement d’une jambe et d’un bras vers l’avant, destinés à recevoir les offrandes. Ce changement inscrit l’œuvre dans la recherche en sculpture de la forme primitive, tendance amorcée dans les années 1860. Cette évolution dans la référence au modèle grec employé par l’artiste peut être symptomatique de l’époque, dans la mesure où la découverte et la mise en valeur de l’art archaïque grec ébranlent les certitudes académiques, notamment grâce à l’ouvrage d’Ernest Beulé (1826-1874), L’Histoire de la sculpture avant Phidias publié en 1863-1864, et les ouvrages de Schliemann, Antiquités troyennes de 1874 et Mycènes de 187925. Il est ainsi possible de voir en Psyché une prémisse de la mutation qui s’élaborera en sculpture à partir de 1900, notamment chez Aristide Maillol (1861-1944) (fig. 51), vers un langage moderne marqué par la recherche de la forme essentielle. « Progressivement, dans les œuvres, les attitudes s’apaisent, le modelé se tend, les formes de plus en plus simples s’ordonnent en schéma ordinaire »26. Hélène Bertaux garde la tradition vivante dans son œuvre, mais l’actualise selon les nouvelles préoccupations de son époque.

À cet égard, nous pouvons également rapprocher Psyché de l’œuvre et des idées du peintre officiel Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), pour la manière dont il a su recueillir la tradition au sein de sa propre vision artistique, l’inscrivant ainsi en

25 Sophie Schvalberg, Le modèle grec dans l'art français, 1815-1914, Rennes, Presses Universitaires

de Rennes, 2014, p. 174.

26 Catherine Chevillot « Vers la sculpture essentielle » dans Catherine Chevillot (dir.), Oublier Rodin :

la sculpture à Paris de 1906 à 1914, catalogue d’exposition (Paris, Musée d’Orsay, 10 mars-31 mai

2009; Madrid, Fundación Mapfre, 23 juin-4 octobre 2009), Paris, Hazan & Musée d'Orsay; Madrid, Fundación Mapfre, 2009, p. 119.

véritable continuité à travers l’histoire de l’art de la deuxième moitié du XIXe siècle27. Ce dernier est « aux yeux du monde artistique de la fin du siècle davantage qu’un peintre : un rénovateur de l’art monumental et le penseur de la synthèse plastique »28. Dans ses allégories, il traite le sujet et la forme avec une simplicité allant jusqu’à la schématisation, privilégiant les thèmes simples et poétiques29.

Cette façon de composer avec une telle aisance, de montrer avec cette clarté, de tout simplifier et jusqu’à la touche, d’aller à l’essentiel en sachant traduire les détails, de créer des images qui demeurent sans jamais raconter, indique la position singulière de Puvis de Chavannes dans son temps.30

Son influence déterminante à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle marque l’histoire de l’art, tant chez les artistes les plus conservateurs que ceux de l’avant- garde la plus radicale31. En ce sens, il nous semble possible d’établir un parallèle entre Puvis de Chavannes et la Psyché de Bertaux. Cette dernière semble en effet sensible à la morphologie simplifiée ainsi qu’aux formes pleines, lisses, idéalisées et aux contours marqués des allégories du peintre (fig. 52). On retrouve surtout dans la silhouette épurée et rendue avec simplicité de Psyché cette même aura intemporelle et ce silence poétique nécessitant la méditation afin de laisser son symbolisme ressurgir. Par définition, l’allégorie en art est la personnification d’une idée abstraite32. La Psyché de Bertaux signifie donc quelque chose qu’elle ne représente pas et qui doit être décodé. Nous savons que l’artiste a consacré de nombreuses années de réflexion et de recherche pour cette œuvre. Ceci nous porte donc à croire que rien n’a été laissé au hasard dans sa conception. Que cherche donc à exprimer Bertaux à travers sa Psyché que le critique d’art Georges Lafenestre qualifiait de « grave et mystérieuse, presque hiératique »33? Pour

27 Idem.

28 Catherine Chevillot, op. cit., p. 119-120. 29 Idem.

30 Idem.

31 Serge Lemoine, op. cit.

32 Josette Rey-Debove et Alain Rey (dir), « Allégorie », dans Le Petit Robert, Paris, Dictionnaires le

Robert, 2012, p. 67

33 Georges Lafenestre, « Les Salons de 1897 », Revue des Deux Mondes, 4e période, t. 142, juillet

répondre à cette question, nous estimons qu’une analyse iconographique de l’œuvre s’avère nécessaire à ce stade-ci de notre travail.