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Ce même constat s’applique également dans le sujet que la statuaire choisit de représenter. Le personnage mythologique gréco-romain qu’est Psyché s’inscrit dans la tradition littéraire antique, mais représente également un motif récurrent de l’histoire de l’art. La fortune du mythe10 a toujours été particulièrement vivante en France, sans doute popularisée par diverses représentations célèbres comme dans celles des groupes antiques du musée du Capitole11 (fig. 46) ou de celui des Offices12 (fig. 47) qui jouissent d’une renommée universelle13. Le groupe du Capitole, confisqué par Napoléon Bonaparte au Vatican, est exposé au Louvre de 1800 à 1816, avant d’être rendu au musée romain en 1816. Le grand maître italien Raphaël a également mis en image le célèbre mythe dans sa décoration de la Farnésine au XVIe siècle. Mentionnons de surcroît l’immense popularité dont jouit Psyché ranimée par le baiser de l’Amour (1793) du sculpteur italien Canova à la fin du XVIIIe siècle.

10 Pour certains auteurs il ne s’agit pas d’un mythe, mais d’un conte de fée antique, dû à l’auteur tardif

Apulée qui le raconte dans Les Métamorphoses (livres IV-VI).

11 Copie romaine d’un original grec, Éros et Psyché, IIe siècle après J.-C., marbre, H. : 125,4 cm,

Rome, Musée du Capitole.

12 Œuvre romaine, Éros et Psyché, IIe siècle après J.-C., marbre, Florence, Musée des Offices. 13 Sonia Cavicchioli, Éros et Psyché, Paris, Flammarion, p. 50.

À l’image de l’évolution de l’art français du XIXe siècle, l’histoire de Psyché s’est vue reprise par les diverses écoles esthétiques, bien que la plupart du temps elle soit associée à l’art idéaliste14. La source littéraire antique utilisée par Bertaux pour cette œuvre inclut celle-ci dans le domaine du grand art académique. René Schneider, historien de l’art, professeur d’histoire de l’art moderne à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris de 1927 à 1937 et contemporain d’Hélène Bertaux, argumentait au début du XXe siècle, dans son étude du mythe de Psyché dans l’art français depuis la Révolution, sur les raisons de la popularité du mythe auprès des défenseurs de la tradition académique :

Le néoplatonisme de la forme enveloppe celui de la conception. Modelée sur « la beauté céleste, inaccessible aux esprits comme au sens du vulgaire », ainsi que le veut Girodet, elle se fige dans l’indétermination qu’exigeait Winckelmann au nom des Grecs. La légende permet, ou plutôt exige le nu, sauf de légers voiles et parfois des ailes de libellule pour Psyché! Et cette nudité est en elle-même idéale : jeune, fraîche, intacte.15

Selon Schneider, au XIXe siècle, les catalogues des Salons, de ventes, de musées, de graveurs, révèlent « l’inépuisable vertu plastique » de ce thème et son « indéfectible séduction »16. La figure de Psyché peut donc représenter pour Bertaux une référence à la tradition grecque, reprise dans l’art romain puis renaissant, mais également son inscription dans la longue tradition de l’art académique français. Le sujet choisi par Bertaux, l’allégorie de l’âme incarnée par Psyché, est porteur de valeurs nobles et universelles. Armand Sylvestre, dont les descriptions sont reconnues pour reproduire, par l’écriture, « les mêmes effets d’évocation » que les œuvres elles-mêmes17, commentait ainsi la Psyché de Bertaux en 1888 :

Car la fable païenne ainsi synthétisée dans les types immortels quelle a légués à l’art, rajeunie par l’impression de renouveau qui est au fond de toutes les âmes vraiment vaillantes, demeurera longtemps le plus beau thème sculptural qui ait existé jamais. Car elle enfermait un enseignement

14 René Schneider, «Le mythe de Psyché dans l'art français depuis la Révolution», Revue de l'art

ancien et moderne, n° 32 (Juillet — Décembre 1912), p. 242.

15 Ibid., p. 252-253. 16 Idem.

17 Catherine Méneux, « Armand Sylvestre (1837-1901) », dans Jean-Paul Bouillon et al., La

dans une merveille et faisait du vrai ce qu’il doit être : le squelette du Beau, comme me le disait un jour magnifiquement Gounod.18

Pour Schneider, mais également pour Winckelmann au début du XIXe siècle, l’histoire de Psyché est recommandée comme source d’inspiration en raison de son « néoplatonisme esthétique », ses liens avec les antiques gréco-romains, mais surtout « parce qu’elle est l’allégorie de l’âme, purifiée progressivement jusqu’à l’immortalité »19. Winckelmann, dans ses Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques dans la sculpture et la peinture de 1755, faisait de l’allégorie la forme supérieure de l’art de l’idée. Les artistes doivent ainsi la favoriser, car elle permet une meilleure efficacité, une plus grande pertinence de l’expression figurative, de même que pour ses liens étroits avec la nature et l’antiquité20. La manière de traiter le sujet doit être à la hauteur de sa qualité. Pour ce faire, Bertaux personnifie Psyché par un nu idéalisé, visiblement étudié d’après l’antique, et de format plus grand que nature.

Il est toutefois possible d’observer dans cette œuvre de la fin du XIXe siècle l’évolution stylistique au sein de la production de l’artiste. Pour sa Psyché, cette dernière délaisse complètement l’anecdote et le pittoresque qui avaient caractérisé sa Jeune fille au bain de 1873, et retrouve l’élégance synthétique de la figure ramassée de son Jeune Gaulois prisonnier de 186421. Psyché marque un retour au respect plus strict des principes académiques. Le titre d’académicien que convoite Bertaux exige un certain respect de la doctrine académique22. Malgré cela, certains éléments permettent de démontrer qu’il ne s’agit pourtant pas d’un simple retour en arrière stylistique. En effet, tout en s’affirmant comme une artiste académique, Hélène Bertaux développe une pensée artistique personnelle, dépassant les simples « recettes d’atelier », critique souvent évoquée afin de dévaluer l’art académique par les tenants de l’histoire de l’art moderniste et formaliste. Nous nous attarderons alors à l’étude de deux œuvres, réalisées préalablement à Psyché, qui

18 Armand Sylvestre, « En pleine fantaisie », Le Gil Blas, 22 Février 1888, p. 1. 19 René Schneider, op. cit., p. 252-253.

20 Idem.

21 Édouard Papet, op. cit. 22 Alain Bonnet, op. cit., p. 115.

illustrent cette recherche stylistique tournée vers une simplification des formes, ainsi qu’une synthèse plastique qui permettra d’illustrer au mieux le caractère intellectuel de son œuvre. Cet exercice démontrera la pertinence de notre recherche visant à réintroduire l’œuvre de Bertaux dans son contexte en vue de lui redonner sa pleine lisibilité.