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Traces lectrices : les dispositifs d’interprétation

Chapitre I – Le lecteur à l’œuvre

I. B. Gestes de la lecture numérique

3. Traces lectrices : les dispositifs d’interprétation

La lecture du récit hypertextuel La Disparue a été l’occasion de faire l’épreuve, à travers un cas de terrain, de la dialectique entre compréhension et interprétation. Au fil de l’expérience, nous avons relevé ce qui mettait à mal nos automatismes et ce qui, soit était transparent, soit nous aidait à réduire une résistance. Nous aimerions maintenant nous aventurer un peu plus loin dans l’interprétation et découvrir ce qui, dans l’environnement numérique, permet aux différents lec-teurs de s’exprimer sur leur réception des œuvres. Jusqu’ici en effet, nous avons procédé à une expérience subjective et personnelle de la lecture, forcément située dans un vécu singulier, une

127 BOUCHARDON, S., « Une esthétique de la matérialité », E-formes : écritures visuelles sur support numé-rique, sous la direction de M. Maza et A. Saemmer, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2008, pp.135-144.

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mémoire et une sensibilité qui nous sont propres. Nous avons choisi cette démarche, convaincus que chaque lecture est unique et que ce que chacun lit dans un texte, ce que chacun y trouve et y interprète, est la résultante d’un dialogue silencieux entre ce qui est écrit sur la page et ce qui est écrit dans le lecteur, son histoire, son imaginaire, ses expériences enfouies qui se réveillent au contact d’un mot fonctionnant comme une madeleine de Proust toujours originale. Comme le remarque Samuel Archibald, « Nous devons, comme tout théoricien de la lecture, affronter ce constat paradoxal : la seule lecture dont le commentateur peut objectivement rendre compte, c'est la sienne. Il n’y a pas plus de lecteur-modèle que de degré zéro de la lecture ; derrière chaque modélisation de l’instance lecturale et de sa pratique se cache une certaine vision de la lecture ; devant un texte donné toute lecture est à la fois exemplaire et singulière »128. Les mo-dèles apparemment plus « objectifs » auxquels on pourrait adosser une interprétation, à l’instar des notions de Lecteur Modèle chez Umberto Eco129 ou de super-lecteur chez Riffatterre130, se donnent avant tout comme des figures théoriques, qui permettent d’accéder à un certain degré de généralisation des procédures lectrices sans parvenir à toucher l’étoffe singulière de chaque lecture effective, cette rencontre de soi-même qui échappe à une saisie universalisante. Cepen-dant, et du même coup, chaque texte ouvre la voie à une infinité de lectures différentes : si par exemple un autre lecteur – ou bien moi-même, à un autre moment de ma vie, lisant sur un autre ordinateur, un autre système d’exploitation, un autre type d’écran – lisait cette même œuvre La Disparue, il aurait sans doute une toute autre interprétation de ce récit et en ferait une épreuve différente. Ce qui serait intéressant dès lors, étant donné cette disparité des lectures en fonction de leurs incarnations subjectives, ce serait d’en étudier la pluralité même, comparer les inter-prétations divergentes, les mettre en relation, établir le dialogue intersubjectif qui peut (ou non) en émerger. Et pour ce faire, nous avons besoin de traces de l’interprétation.

Dans le monde du papier, nous connaissons ces traces, autant de protocoles et d’institutions qui permettent au lecteur de prendre la plume à son tour pour s’exprimer sur sa vision d’une œuvre. Certaines peuvent être inscrites à même le livre : ce sont par exemple les notes de l’éditeur, qui fournissent des données paratextuelles touchant à la biographie de l’auteur, l’histoire, la culture et le contexte dans lesquels son œuvre prend place ; telle une encyclopédie d’Eco matérialisée et spécifique à chaque texte, elles s’offrent comme un guide secondant le lecteur dans son travail

128 ARCHIBALD, S., op. cit., p.173.

129 Le « Lecteur Modèle » est, selon Umberto Eco, une stratégie textuelle construite par chaque auteur dans son texte. En écrivant son œuvre, ce dernier en effet « prévoira un Lecteur Modèle capable de coopérer à l’actualisa-tion textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait et capable aussi d’agir interprétativement comme lui a agi générativement » (op. cit., p.86).

130 RIFFATERRE, M., « Describing Poetic Structures », in Yale French Studies, n°36-37 (1966), republié en français dans Essais de stylistique structural (Paris, 1971), cité par ARCHIBALD, S., op. cit., p.128.

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d’actualisation du sens, un auxiliaire à la compréhension. D’autres types de trace interprétatives font l’objet d’une publication à part, et se détachent ainsi de l’espace du livre qu’elles commen-tent : ce sont les critiques littéraires, nées au milieu du XVIIIe siècle, propulsées par les Salons de Colbert en ce qui concerne la peinture et la sculpture, puis confiées à des journalistes ou à d’autres artistes, en particulier des écrivains (Diderot, Baudelaire) ; ainsi que les articles acadé-miques, qui interprètent une œuvre en relation avec une discipline particulière (théorie littéraire, histoire de l’art, sémiotique, psychanalyse…). Enfin, deux autres formes d’expression de l’in-terprétation semblent moins élitistes, en ce qu’elles partent de ce qu’on peut appeler le lecteur courant131, qui n’est ni spécialiste, ni formé, ni expert et ne jouit d’aucune légitimité validée par une instance de certification. Ce sont les discussions de lecteur à lecteur, échangeant entre amis au sujet de leur réception et de leur point de vue ; ainsi que l’écriture littéraire personnelle par laquelle chaque lecteur, en se nourrissant et s’inspirant de ce qu’il a lu, peut interpréter un texte en la tirant jusqu’à une création nouvelle. Ces différents types de traces interprétatives ont di-vers degrés de proximité spatiale et sémantique à l’égard de l’œuvre originelle (commentaires encyclopédiques mêlés au texte, critiques à part entière, inspiration), divers degrés d’accessibi-lité à l’égard du public, et diverses formes de relation entre les interprètes (unicité des commen-taires pour chaque édition, débat des critiques, variété infinie des interprétations « créatives »). Essayons maintenant d’examiner ce qu’il en est dans la sphère numérique.

Un premier genre de traces interprétatives se situe dans l’espace du texte commenté, autour de lui, dans ses marges et son environnement immédiat. Il semble en cela une transposition élec-tronique des notes éditoriales. Mais est-ce vraiment une transposition ? Prenons des exemples. La plateforme Textus132 a été créée au début des années 2010 par l’Open Knowledge Founda-tion. Il s’agit d’une solution open-source133 dédiée à l’annotation contributive de textes clas-siques, littéraires ou philosophiques, en vue de l’établissement d’une édition critique et colla-borative. Comme l’indique la présentation du projet sur son site web, « il permet à des étudiants,

131 « Un éventuel lecteur courant serait un personnage conceptuel au même titre que tous les lecteurs implicites, mais un personnage plus humble, une sorte d’antihéros permettant de mieux rendre compte de la lecture en tant que processus complexe […], fait d’hésitations, d’illusions cognitives […], de culs-de-sac et d’impasses, et dont les circonvolutions et faux départs ne rendent pas la pratique moins méritante, au contraire » (ARCHIBALD, S.,

op. cit., p.129).

132 Le site web de Textus : http://okfnlabs.org/textus/. Je traduis les extraits qui suivent.

133 Cette expression « désigne un logiciel dans lequel le code source est à la disposition du grand public, et c’est généralement un effort de collaboration où les programmeurs améliorent ensemble le code source et partagent les changements au sein de la communauté ainsi que d’autres membres peuvent contribuer ». WIKIPEDIA, « Open-source » [en ligne], https://fr.wikipedia.org/wiki/Open_source (consulté le 26 janvier 2016).

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des chercheurs et des enseignants de partager et de collaborer autour de textes grâce à une in-terface simple et intuitive ». Par exemple, l’une de ses applications, Open Shakespeare, permet à tous les amateurs et spécialistes de Shakespeare d’annoter les textes en accès en libre du dra-maturge, chaque annotateur commentant avec son nom et une couleur qui lui est propre, surli-gnant un passage pour apporter un éclaircissement, une question, une référence, une ressource bibliographique ou une simple remarque de goût personnel (« intéressant », « beau »…). Sans filtre ou modération a priori exercée sur les contributions, il s’agit de réunir les amateurs d’une œuvre ou d’un auteur, au sens étymologique de « ceux qui aiment », pour en proposer une édi-tion collaborative où chaque nouveau lecteur peut voir les interprétaédi-tions des autres au sein de l’espace textuel, et mêler intimement l’acte de lecture au geste d’écriture. Aux éditions papier annotées par une personne autorisée, dont la scientificité est garantie par une certification top-down (délivrée par le haut par une université ou une expertise institutionnellement reconnue), Textus substitue donc un paradigme bottom-up, où c’est l’intérêt, le goût qui fonde la légitimité à écrire, et où une pluralité d’interprétations se donnent à lire sur une seule et même version du texte. Le problème qui peut en résulter est celui de la lisibilité : une surabondance d’annotations risque de noyer le lecteur, à défaut de catégorisations qui lui permettent de filtrer les commen-taires selon des critères choisis, dans un océan d’écriture qui peut parfois saturer l’attention ou la divertir de l’attention au texte lui-même. Sans modération sur les contenus, la question de la contradiction n’est pas réglée non plus : à la différence de Wikipédia, où toute une pyramide hiérarchique et un protocole de vérification de pair à pair permettent de certifier les articles, ici aucune notion de validité n’intervient pour trier les interprétations valables et non valables.

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Un autre exemple d’annotation marginale est une plateforme développée par l’Institut de Re-cherche et d’Innovation : Lignes de Temps134. Avec elle, nous entendons l’idée de lecture au sens large : ce logiciel libre permet d’annoter, indexer et séquencer des contenus vidéo, relevant bien d’une forme de lecture différente de celle du texte, mais dont il serait intéressant de s’in-terroger sur l’applicabilité au médium linguistique. Lignes de Temps permet à tout utilisateur de chapitrer une œuvre temporelle (film, conférence ou discours) en discrétisant sa propre ligne de commentaire, associant à chaque séquence une annotation textuelle et insérant des mar-queurs temporels. L’un des grands intérêts de cette plateforme est la possibilité de voir et com-parer sur un même espace, comme dans Textus, la diversité des interprétations d’une même œuvre, à ceci près que l’inscription temporelle des commentaires permet de les agréger et d’en avoir une vue synthétique à chaque point du film. Par exemple, Lignes de Temps ayant été au départ conçu pour les critiques cinématographiques, il est possible de comparer, pour telle scène spécifique d’A Bout de souffle de Godard, le point de vue propre à chaque critique. Cette spa-tialisation du flux temporel en fonction d’une multiplicité d’annotateurs fait l’objet depuis 2013 d’une application particulière : le Protocole Pharmakon, établi autour des cours de philosophie en ligne du même nom de Bernard Stiegler. Les étudiants peuvent en effet utiliser Lignes de Temps pour annoter leur propre écoute des cours, selon un code couleurs grâce auquel ils dis-tinguent, pour chaque passage, ce qui éveille en eux un trouble, ce qui les surprend, et ce qu’ils comprennent, qu’ils assimilent aisément étant donné leurs connaissances antérieures. L’agré-gation spatialisée de l’ensemble de ces annotations subjectives permet de mettre en relief les passages les mieux compris et les moments les plus « troublants ».

Figure 5. Conférence « Centre Pompidou virtuel », annotée sur Lignes de Temps (site de la plateforme)

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Ces deux premiers exemples concernent l’annotation marginale : les traces interprétatives que l’on recueille ne sont pas séparées de l’espace physique du texte, mais l’entourent comme autant d’éléments de paratexte. Seulement, à la différence des notes éditoriales, ces commentaires sont subjectivés : ils ne prétendent guère à l’objectivité scientifique mais retracent l’expérience per-sonnelle que chacun a de l’œuvre, leur mise en parallèle permettant de visualiser leur diversité. L’accessibilité à ces dispositifs semble aussi plus démocratique que celle de l’édition : la seule barrière à l’entrée ne repose plus sur une expertise statutaire mais sur le goût constitutif d’un amateur, et la certification des contenus cède le pas à la visualisation de la disparité des inter-prétations spontanées.

Une deuxième forme d’expression numérique des lecteurs est le blog littéraire. Celui-ci est tout autre : l’œuvre commentée donne lieu à une publication à part, physiquement séparée du texte, qui ne se trouve plus annoté passage par passage, mais critiqué. Le blog pourrait ainsi être un équivalent électronique de la critique, à ceci près que plusieurs différences sont remarquables. Prenons par exemple le blog L’Oreille tendue135tenu par Benoît Melançon, professeur titulaire et directeur du Département des littératures de langue française à l’Université de Montréal. La structure de publication de ce blog, comme de la plupart d’entre eux, est distincte de celle qu’on rencontre habituellement dans les ouvrages imprimés : les billets apparaissent dans l’ordre anté-chronologique (le dernier est tout en haut de la page), et sont susceptibles d’être commentés par les visiteurs. Là où la critique d’art baudelairienne prenait la forme de recueils (L’Art roman-tique, Curiosités esthétiques), ou suivait comme celle de Diderot la périodicité des Salons (ceux de 1845, 1846 et 1859 auxquels est consacré à chaque fois un volume), les billets s’affranchis-sent ici de l’unicité éditoriale ou de l’adéquation à l’actualité pour ouvrir un régime de lecture non linéaire, où le lecteur peut accéder à chaque article, dont la disparité n’est nullement lissée, à travers une recherche de mot-clé. Le chapitrage et la mise en recueil cèdent place à un étique-tage en amont par l’auteur de ses propres billets, tagging individualisé des contenus qui permet au lecteur de s’y retrouver dans le foisonnement d’écritures. On peut s’intéresser à un exemple particulier de billet : « Histoire de la littérature québécoise contemporaine »136. Cet article posté le 19 mai 2012 se focalise sur une mouvance littéraire que Benoît Melançon détecte et nomme « école de la tchén’ssâ », ainsi décrite : « Cette école est composée de jeunes écrivains contem-porains caractérisés par une présence forte de la forêt, la représentation de la masculinité, le refus de l’idéalisation et une langue marquée par l’oralité ». Dans son billet, Benoît Melançon

135 Adresse de ce blog : http://oreilletendue.com/.

136 Billet disponible à cette adresse : http://oreilletendue.com/2012/05/19/histoire-de-la-litterature-quebecoise-contemporaine-101/ (consulté le 26 janvier 2016).

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s’attache à passer en revue toutes les remarques qu’une analyse classique pourrait formuler d’un mouvement littéraire : ses principaux représentants (Samuel Archibald, Raymond Bock, Daniel Grenier, William M. Messier et Madame Chose), des éléments biographiques à leur sujet, leurs sources d’inspiration, leur appartenance générique et stylistique (réalisme en prose, qui admet des « passages proches de la littérature fantastique »), leurs motifs de prédilection, ainsi qu’une liste bibliographique à la fin de l’article. Mais on remarque cependant, malgré cette affiliation à une pièce d’histoire littéraire apparemment traditionnelle (comme le suggère le titre), Benoît Melançon prend ses distances vis-à-vis de la forme académique pour se laisser bien des marges de liberté. Le discours est très humoristique, le comique y est perceptible jusqu’au nom donné à cette « école » (la tchén’ssâ vient « du mot anglais [« chainsaw »] désignant la tronçonneuse, mais acclimaté en français du Québec ») ; l’auteur y met en scène sa propre subjectivité à tra-vers le personnage fictif de l’Oreille tendue (à qui il arrive de « parler d’écoles, de mouvements ou de périodes littéraires, encore que ce ne fût pas sa tasse de thé pédagogique ») ; et la fin du billet est consacrée à des « exercices » parodiques, qui pastichent des devoirs à la maison don-nés à des élèves, proposant au lecteur de compléter des citations, traduire des passages en « fran-çais hexagonal » ou répartir « les tenants de l’école de la tchén’ssâ en deux catégories : auteurs possédant une tchén’ssâ ; auteurs ne possédant pas de tchén’ssâ ».

Comme l’a observé Benoît Malençon dans un séminaire137, le format du blog lui permet en effet une expression toute autre que celle dont il aurait fait preuve dans un autre contexte (critique publiée dans une revue savante). Il note en effet une grande porosité des pratiques : par exemple le billet sur l’école de la tchén’ssâ a été relayé dans de nombreux tweets, avant de faire l’objet d’une parution et d’un roman ; une accélération du rythme des échanges propre à l’écosystème numérique mais aussi une « rhétorique en transformation ». Le style d’écriture que s’autorise cet article est bien plus léger et accessible que s’il s’était adressé à un public de spécialistes en maniant un vocabulaire technique, et son expérience de lecture est narrativisée, notamment par l’avatar auctorial de l’Oreille tendue, qui s’exprime « à la troisième personne du singulier et au féminin », semblable à un personnage farfelu qui incarne le discours. La situation d’énonciation propre au blog, avec son public large et son rythme de publication, permet donc un renouvelle-ment du style littéraire de la critique, dont les formes plus classiques sont ici pastichées au sein d’une prose qui s’en inspire et s’en détourne. Ainsi le blog littéraire met bien en place un régime

137 MELANCON, B., intervention lors du séminaire Editorialisation, 20 novembre 2014, co-organisé par l’Insti-tut de Recherche et d’Innovation (Paris) et l’Université de Montréal (UdeM, Montréal). Une vidéo annotée de cette séance se trouve sur le site de Sens Public [en ligne], http://seminaire.sens-public.org/spip.php?article44

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interprétatif distinct de la critique professionnelle. Son rapport au texte commenté se définit par une publication à part entière, où le blogueur narre et subjectivise l’histoire de sa rencontre avec l’œuvre ou les œuvres, et son rapport aux autres interprètes se caractérise par un dialogue hié-rarchisé qui passe par les commentaires, relais et citations des internautes. Le degré d’accessi-bilité du blog reste très ouvert et n’exige a priori aucune forme de légitimation externe, tandis que son mode de certification réside dans son succès auprès des lecteurs, mesuré en particulier par l’intensité de la circulation du billet dans les réseaux.

Troisième forme de trace interprétative, la publication académique et scientifique coexiste dé-sormais avec de nouveaux types de dispositifs propres au web. Un cas particulièrement intéres-sant est le Répertoire des Arts et Littératures Hypermédiatiques (ALH)138 du Laboratoire NT2 de l’Université du Québec à Montréal. Dans le contexte d’une création numérique encore peu connue du grand public, et bénéficiant d’une faible couverture médiatique et institutionnelle, le Répertoire se donne pour rôle de « témoigner de ces premières manifestations [d’une culture de l’écran], d’élaborer un vocabulaire spécialisé pour en rendre compte, et d’offrir une perspective critique adaptée »139. Il répond à un double objectif d’archivage et de recherche. D’archivage, car il s’agit de conserver une trace d’œuvres dont la pérennité n’est pas toujours assurée, l’évo-lution technologique ayant par exemple rendues illisible une partie du corpus du début des an-nées 1990. De recherche en second lieu, pour amorcer un effort de théorisation d’un foisonne-ment artistique qui se joue dans le temps présent, de repérer, tout en appréhendant chaque œuvre dans sa singularité, des tendances, des mouvances et des genres qui les relient entre elles et font écho à d’autres formes antérieures. Ce travail s’appuie notamment sur trois ressources. Ce sont d’abord les fiches du Répertoire : à chaque œuvre recensée est associée une fiche illustrée (on en compte plus de quatre mille à ce jour). La plupart d’entre elles, dites « simples », offrent une présentation sommaire de l’œuvre tandis que d’autres, « enrichies », sont pour leur part « cons-tituées d’une description plus élaborée qui, en plus de dépeindre l’œuvre et l’expérience qu’elle offre, propose des pistes de réflexion pour la recherche et présente les ancrages historiques et stylistiques de l’œuvre »140. La majorité des fiches enrichies contient également une « naviga-tion filmée » qui livre au lecteur un témoignage vidéographique de l’œuvre ou d’un passage, lui permettant ainsi d’en faire directement l’expérience. Une deuxième ressource mobilisée par