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autour duquel tourne tout le système de ce monde malignement soutenu par la plus sombre organisation. 50

Dans le document L'ANTI-CEDIPE GILLES DELEUZE FELIX GUATTARI (Page 145-148)

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Freud, en 1924, proposait un critère de distinction simple entre névrose et psychose : dans la névrose le moi obéit aux exigences de la réalité quitte à refouler les pulsions du ça, tandis que dans la psychose il est sous l'emprise du ça, quitte à rompre avec la réalité. Les idées de Freud mettaient sou­

vent un certain temps avant de passer en France. Pourtant pas celle-ci ; la même année, Capgras et Carrette présentaient

.50. Antonin Artaud, « Ainsi donc la question ..

.

. , in Tel Quel, 1967.

n° 30.

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L'ANTI-ŒDIPE

un cas de schizophrénie avec illusion de sosies, où la malade manifestait une vive haine de la mère et un désir incestueux pour le père, mais dans des conditions de perte de réalité où les parents étaient vécus comme de faux parents, des « so­

sies ». Ils en tiraient l'illustration du rapport inverse : dans la névrose la fonction objectale de la réalité est conservée, mais à condition que le complexe causal soit refoulé ; dans la psychose le complexe envahit la conscience et devient son objet, au prix d'un « refoulement » qui porte maintenant sur la réalité même ou la fonction du réel. Sans doute Freud insistait-il sur le caractère schématique de la distinction ; car la rupture se trouve aussi dans la névrose avec le retour du refoulé (l'amnésie hystérique, l'annulation obsessionnelle), et dans la psychose un regain de réalité apparaît avec la recons­

truction délirante. Reste que Freud ne renonça jamais à cette distinction simple. SI Et il semble important que, par une voie originale, il retrouve une idée chère à la psychiatrie tradi­

tionnelle : l'idée que la folie est fondamentalement liée à une perte de réalité. Convergence avec l'élaboration psychia­

trique des notions de dissociation, d'autisme. Ce pourquoi, peut-être, l'exposé freudien connait une diffusion si rapide.

Or, ce qui nous intéresse, c'est le rôle précis du complexe d'Œdipe dans cette convergence. Car s'il est vrai que les thèmes familiaux font souvent irruption dans la conscience psychotique, on s'étonnera d'autant plus, suivant une remar­

que de Lacan, qu'Œdipe ait été « découvert » dans la névrose où il est censé être latent, plutôt que dans la psychose où il serait au contraire patent. 52 Mais n'est-ce pas que, dans la psychose, le complexe familial apparait précisément comme stimulus de valeur quelconque, simple inducteur n'ayant pas le rôle d'organisateur, les investissements intensifs de réalité portant sur tout autre chose (le champ social, historique et culturel) ? C'est en même temps qu'Œdipe envahit la

cons-51. Les deux articles de 1924 sont « Névrose et ,. et « La Perte de réalité dans la névrose et la ,.. aussi Capgras et Canette, « illusion des sosies et d'Œdipe ,., An1l4les mUico­

psychologiques, mai 1924. L'article de sur « le Fétichisme ,. (1927) ne revient pas sur la distinction, quoi qu'on dise parfois, mais la confirme (in la Vie sexuelle, P. U. F., p. 137 : « Je peux ainsi maintenir ma suppo­

sition ... ,.).

52. Lacan, « La Pamille ,., Encyclopédie française VIII, 1938.

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PSYCHANALYSE ET FAMILIALISME cience, et se dissout en lui-même, témoignant de son inca­

pacité d'être un « organisateur » . Il suffit dès lors que l'on mesure la psychose à cette mesure truquée, qu'on la ramène à ce faux critère, Œdipe, pour que l'on obtienne l'effet de perte de réalité. Ce n'est pas une opération abstraite : on impose au psychotique une « organisation .> œdipienne, serait­

ce pour en assigner le

manque

en lui, chez lui. C'est un exer­

cice en pleine chair, en pleine âme. Il réagit par l'autisme et la perte de réalité. Se peut-il que la perte de réalité ne soit pas l'effet du processus schizophrénique, mais l'effet de son cedipianisation forcée, c'est-à-dire de son interruption ? Faut­

il corriger ce que nous disions tout à l'heure, et supposer que certains tolèrent moins bien l'œdipianisation que d'au­

tres ? Le schizo ne serait pas malade en Œdipe, d'un Œdipe qui surgirait d'autant plus dans sa conscience hallucinée qu'il en manquerait dans l'organisation symbolique de « son » inconscient. Au contraire, il serait malade de l'œdipianisation qu'on lui fait subir (la plus sombre organisation) et qu'il ne peut plus supporter, parti pour un lointain voyage, comme si l'on ramenait sans cesse à Bécon celui qui dérive les conti­

nents et les cultures. Il ne souffre pas d'un moi divisé, d'un Œdipe éclaté, mais au contraire d'être ramené à tout cela qu'il a quitté. Chute d'intensité jusqu'au corps sans organes

= 0, autisme : il n'a pas d'autre moyen de réagir au barrage de tous ses investissements de réalité, barrage que lui oppose le système œdipien répression-refoulement. Comme dit Laing, on les interrompt dans le voyage. Ils ont perdu la réalité.

Mais quand l'ont-ils perdue ? dans le voyage ou dans l'inter­

ruption du voyage ?

Donc autre formulation possible d'un rapport inverse : il y aurait comme deux groupes, les psychotiques et les névro­

sés, ceux qui ne supportent pas l'œdipianisation, et ceux qui la supportent et même s'en contentent, évoluant en elle.

Ceux sur qui l'empreinte œdipienne ne prend pas, et ceux sur qui ça prend. « Je crois que mes amis ont démarré au début du Nouvel Age en groupe, avec des forces d'explosion pratique qui les ont lancés dans une déviation paternaliste que je crois vicieuse . ..

Un deuxième groupe d'isolés,

dont je suis, constitué sans doute par des centres de clavicules, a été enlevé hors toute possibilité de réussite individuelle au moment qu'ils assumaient de lourdes études en science infuse.

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L'ANTI-ŒDIPE

En

ce qui me concerne, ma rébellion au paternalisme du

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