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Un tournant majeur : les années 1970

Partie II – Positionnement des professionnel-le-s et évaluation des actions

II- 1 Evolution des savoirs sur les relations parents-enfants

2. Un tournant majeur : les années 1970

Voyons maintenant comment la psychologie du développement s’est saisie de certaines théories (celle de l’attachement notamment), a impulsé des travaux dans le champ de la problématique paternelle (Zaouche Gaudron, 2001) et a requestionné certaines pratiques professionnelles (relatives à l’attachement par exemple dans les lieux d’accueil de la petite enfance, dans l’accueil familial ou encore la résidence alternée).

Si on a pu parler dans les années 1970 de redistribution des rôles parentaux, c’est que la période précédente a été l’occasion d’une multitude de transformations, qui sont entrées en phase à la fin des années 1960, et ont permis le bouleversement majeur de l'équilibre de la structure familiale que l’on a connu. Les plus évidentes de ces manifestations ont été la montée du « démariage » (Théry, 1993), se traduisant par l’explosion des séparations conjugales et des unions libres (ainsi que des naissances hors mariage aujourd’hui plus nombreuses que les naissances dans le mariage), et la volonté de mettre en œuvre chez beaucoup de jeunes couples un autre type d’éducation (Neyrand, 2000). Mais c’est surtout à partir des années 1980 en France, que les recherches embrassent les deux acteurs du couple parental de manière à engager « des modèles interactionnistes qui tiennent compte, d'une part de l'action des deux parents et qui, d'autre part, font du style d'interaction entre les membres de la famille un des déterminants importants de l'éducation » (Kellerhals & Montandon, 1991a, p. 9).

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Les changements sociaux qui affectent la famille - éducation des filles, travail des femmes, redéfinition des rôles sexuels et parentaux, participation plus importante (quoique modeste) des pères aux soins - conduisent à s'interroger à propos de leurs effets sur les représentations et pratiques éducatives et, au-delà bien sûr, sur la construction psychologique du jeune enfant et plus particulièrement sur sa socialisation. Au début du siècle, les auteurs ont fortement insisté sur la fonction maternelle, la relation mère-enfant étant décrite comme première et fondamentale ; le père, quant à lui, apparaissait comme un partenaire tel « un étranger familier » ne se trouvant que rarement sur le chemin de l'enfant au cours des premières années.

Historiquement, depuis les années 1970 en France et à l’étranger, on peut noter une première rupture dans le discours et dans les pratiques, avec l'apparition du « nouveau père », du « papa poule ». La relation au père, fondamentale, se soustrait au mythe freudien pour annoncer une ère nouvelle, celle du père « émotionnellement compétent ». Dans le même temps, une deuxième rupture concerne aussi le nourrisson. Le bébé indifférencié, enfermé dans sa bulle et perçu comme simple réceptacle, apparaît au regard de plusieurs travaux de recherche comme doué de compétences affectives, cognitives et sociales. La littérature abonde pour mettre en évidence cette prise de conscience essentielle : « le bébé est ». C'est une personne qui peut interagir, qui est sensible aux apports du milieu et se structure avec et par eux.

Pour reprendre la théorie de l’attachement précédemment évoquée, le fait que l'enfant puisse construire les relations d’attachement à la mère et au père dans le même temps est une réalité qui a bouleversé ce domaine de recherche30. Les études emblématiques de Michael Lamb (1977), réalisées dès les années 1970, montrent que, dès l'âge de 8 mois, les jeunes enfants manifestent un lien d'attachement envers le père et envers la mère, expriment même davantage de comportements affiliatifs distaux en faveur du père (comme sourire, vocaliser et regarder), alors que l'introduction d'une personne étrangère entraîne, chez ces enfants, plus de conduites d'attachement vers leur mère. Au cours de la deuxième année, les enfants manifestent une préférence à l'égard de leur père, avec des comportements d'attachement plus fréquents en sa présence, et ce, de façon plus marquée pour les garçons. Dans les années 1980, un autre constat émerge et plusieurs travaux soutiennent l'hypothèse que le père représente un contexte social différent de la mère. Pour exemple, l’étude de Main et Weston (1981) indique notamment que certains enfants peuvent se révéler sécurisés avec leur mère et

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. On pourrait aussi mentionner les travaux de France Frascarolo qui parle d’attachement au père au même moment que la mise en place des attachements à la mère, ce qui pose donc la question de la hiérarchisation ou non des attachements. Cette hiérarchisation peut avoir une incidence majeure sur les décisions à propos de la résidence alternée pour ne citer que ce point polémique.

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insécurisés avec leur père, et Miljkovitch (2011) inverse ce résultat deux décennies plus tard. Dans les années 1990, Kromelow et al. (1990) confirment l'existence d'un contexte social différent : la présence paternelle stimule la sociabilité du jeune enfant en direction d'une personne non familière, ce qui peut être interprété comme un gage de nouveauté et d'ouverture vers l'extérieur, notamment pour les petits garçons.

Ces recherches précieuses amènent à considérer que les attachements mère-enfant et père- enfant ne peuvent pas être conceptualisés comme des relations redondantes, et qu'ils se basent sur des styles particuliers d'interaction (Zaouche Gaudron, 2015). L’Observatoire National de l’Enfance en Danger (O.N.E.D.) a publié en 2011 un dossier, intitulé La théorie de

l’attachement : une approche conceptuelle au service de la Protection de l’Enfance. Ce n’est

pas sans raison que cette structure s’est saisie récemment de ce modèle théorique pour éditer ce dossier thématique, dans la mesure où tous les professionnels et intervenants qui œuvrent dans le champ de la protection de l’enfance doivent être informés des avancées scientifiques dans le domaine. Ces professionnels ont en effet, d’une part, à gérer au quotidien, et souvent dans l’urgence, des situations de séparation et de rupture, physique et psychique, en visant à protéger les enfants d’événements de vie qui seraient préjudiciables à leur développement, et d’autre part, à soutenir les liens familiaux (parentaux, mais aussi fraternels). La référence à la théorie de l’attachement n’est sans doute pas sans conséquences sur les décisions posées en direction des enfants et des parents. Comme le souligne N. Guédeney (2011, 85) « travailler dans le domaine de la protection de l’enfance confronte en permanence le professionnel aux questions liées à l’attachement et au caregiving ». Cet auteur s’attache ainsi à examiner dans sa contribution un élément fort peu étudié dans la littérature, à savoir le système d’attachement du professionnel. Autrement dit, dès qu’un partenaire apparaît dans le monde qui environne l’enfant, la problématique générale de l’attachement peut être posée ; le cadre théorique, une fois clairement explicité, doit susciter des débats sur le mode opératoire mis en place dans telle ou telle situation (accueil familial, placement en institution, adoption, incarcération parentale, résidence alternée…) (Zaouche Gaudron, 2012 ; Neyrand et Zaouche Gaudron, 2015).

Au cours des deux décennies suivantes, dans les années 1980 et 1990, les références à d’autres courants de la psychologie vont se développer, et notamment du fait de l’importance des travaux d’orientation behavioriste en Amérique du Nord, mais aussi du développement rapide des ponts entre psychologie et neurologie, avec les sciences cognitives et les neurosciences.

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3. Développement des sciences cognitives et des neurosciences