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Développement des sciences cognitives et des neurosciences

Partie II – Positionnement des professionnel-le-s et évaluation des actions

II- 1 Evolution des savoirs sur les relations parents-enfants

3. Développement des sciences cognitives et des neurosciences

À l’évidence, la famille inquiète et fait débat tant du point de vue des sociologues qui scrutent ses métamorphoses que du point de vue des psychologues qui en analysent les effets sur le développement des enfants, ou des pédagogues qui cherchent à repérer les différents styles éducatifs, pour ne citer que quelques thèmes majeurs. Les sciences médicales ne sont pas en reste. Sans faire l’inventaire des théories hygiénistes, rappelons le rôle joué par les premiers médecins dont le Docteur Caron, qui en 1864 proposait de concrétiser les efforts entrepris pour protéger l’enfance en rassemblant toutes les recherches dans une même science qui prendrait le nom de puériculture. Lorsque naît le terme de « puériculture », il s’agit de la « science d’élever hygiéniquement et physiologiquement les enfants ». Son champ d’intervention est alors parfaitement circonscrit. Puis progressivement, avec la baisse de la mortalité infantile, l’évolution des conditions de vie, un intérêt de notre société toujours accru pour l’enfant et ses potentialités, la place et les savoirs vont se modifier. Le contenu de son intervention va devenir plus pédagogique, plus psychologique et relationnel.

Cette extension du champ d’intervention a bouleversé les rapports de la puériculture avec les parents, mais aussi avec les autres professionnel-le-s (Sellenet, 2002). Les rôles sont distribués et les savoirs médicaux ou psychiatriques sont utilisés pour décoder ce qui se passe au sein de la famille, dont les symptômes traduisent d’éventuels dysfonctionnements. Ces deux types de savoirs (médical et psychiatrique) vont subir à des dates différentes des critiques. Les savoirs médicaux sont attaqués en premier par la psychologie et l’anthropologie dans un ouvrage dont le titre provocateur, - L’art d’accommoder les bébés -, fera date (Delaisi de Parseval et Lallemand, 1998). Cet ouvrage conteste l’universalité des modèles d’éducation proposés aux parents et dénonce la fragilité des savoirs médicaux, dont les consignes contradictoires pour nourrir ou coucher les enfants, ne sont que des exemples parmi beaucoup d’autres.

Ainsi, on peut penser que depuis la promotion de l’allaitement maternel au début du 19ème siècle, les sciences biologiques et médicales poursuivent un rêve qui leur est propre, en même temps qu’elles s’inscrivent dans l’imaginaire scientifico-humaniste des sociétés occidentales : celui de la maîtrise des fonctionnements humains. Cette promotion n’a d’ailleurs pas eu que des fondements scientifiques, comme le montrent les récents travaux de Marissal (2014) notamment, qui note que la focalisation de l’attention sur l’allaitement maternel, parfois aux

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dépens de la santé des nourrissons (que les mères affaiblies ne pouvaient que mal nourrir) était liée aussi à l’objectif d’interdire l’emploi aux mères. Cette volonté de toute-puissance du médical parcourt l’ensemble du champ social, malgré les multiples restrictions et obstacles que ce projet fut amené à rencontrer tout au long de ces deux derniers siècles (Neyrand, 2006).

A partir de la découverte du premier antidépresseur, la chlorpromazine, en 1957 (Erhenberg, 1998), s'est développée une nouvelle façon de concevoir, pour certains psychiatres et pédopsychiatres, le soin psychique qui va davantage insister sur le traitement du symptôme, à l'aide de médicaments ou de reconditionnements comportementalistes, que sur l'élucidation de la causalité des troubles, jugée trop lourde à réaliser. Ainsi, alors que les représentants des sciences de l’homme développaient des querelles théoriques, la représentation médicale de l’homme connaissait un formidable essor, grâce au développement des sciences et techniques traitant du biologique : génétique, neurobiologie, procréatique, pharmacologie et techniques cognitivo-comportementalistes de reconditionnement. Si bien que l’industrie pharmacologique est progressivement devenue le principal support d’une réorientation fondamentale des paradigmes scientifiques concernant la procréation et la santé mentale, jusqu’à contribuer au renversement de ce qui constituait auparavant un certain ordre psychiatrique. Par effet de contagion et logique de diffusion, on a alors assisté à la remise en cause d’une représentation psychodynamique de la vie psychique.

Dès l’école maternelle avec le livret d’évaluation, la PMI avec le carnet de santé, les structures de soin psychique avec le manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux (DSM4), la question du signalement est devenue centrale dans l’identification des situations considérées « à risque ». Pour autant, on peut se demander s’il n’y a pas là un risque de dérive de la logique tant éducative que sanitaire (Becquemin, 2006). Les pratiques de l’action sociale basées sur la mise en confiance des individus, jusqu'alors sécurisés par la garantie d’anonymat ne risquent-elles pas d’être remises en cause ? L’évolution touche, en effet, l’ensemble du domaine du soin, de l’éducatif et du social. S’y trouvent ainsi confrontées des logiques divergentes, dont on voit à quel point elles paraissent difficiles à articuler ; avec d’un côté un modèle managérial de contrôle en pleine expansion, compte tenu des contraintes économiques de l’Etat, et de l’autre, un modèle bio-psychologique du développement de l’enfant, en mutation, du fait du déploiement d’un nouvel arsenal thérapeutique.

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Les controverses autour de l’apport des neurosciences

Les savoirs pédopsychiatriques, psychiatriques et psychanalytiques vont être également mis en tension par les apports des neurosciences qui proposent une autre lecture du développement de l’enfant et des symptômes et élaborent d’autres modes de réponse. Les travaux modifient certaines définitions de la bonne parentalité et notamment de l’usage des sanctions. Les neurosciences soulignent le rôle des adultes sur le développement du cerveau l’enfant. Les neurosciences cognitives s’intéressent aux questions d’apprentissages et notamment celui du langage. Les neurosciences affectives s’intéressent davantage au fonctionnement et au développement du cerveau de l’enfant. Allan Schore, directeur du département de psychiatrie de l’Université de Los Angeles, a montré que le développement du cortex orbito-frontal, qui joue un rôle dans les capacités d’empathie, dépend des interactions avec les adultes. Joan Luby, professeur de psychiatrie, souligne également qu’une éducation empathique augmenterait le volume de l’hippocampe, petite partie du cerveau qui occupe une place centrale dans le fonctionnement de notre mémoire. Le canadien Michael Meaney a souligné l’importance de la fonction de maternage, c’est-à-dire réassurer, consoler, pour le développement de l’hippocampe tandis que des formes de maltraitance verbale diminueraient au contraire le volume de l’hippocampe. En effet, le fait de consoler fait sécréter une hormone importante, le BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor), une protéine vitale pour le développement du cerveau. Les expériences affectives sont déterminantes pour son développement (Gueguen, 2015). Les neurosciences encouragent une parentalité positive ou bienveillante (idem). C’est parce que ses structures et réseaux cérébraux ne sont pas encore suffisamment fonctionnels que le tout petit ne peut pas contrôler ses émotions. L’entourage de l’enfant a un impact positif très important sur le développement global du cerveau: être empathique (comprendre et ressentir les émotions de l’enfant), aider l’enfant à exprimer ses émotions (mettre des mots), l’apaiser (en paroles ou par le contact) aideraient au développement de son cerveau.

La polémique porte plus particulièrement sur les relations entre activités cérébrales et neuronales et perceptions subjectives. Elle porte aussi sur les causes de certaines maladies comme l’autisme. Parce que les neurosciences, comme la psychanalyse, se retrouvent sur un même objet, les deux disciplines entrent en concurrence : la psychanalyse envisageant les maladies du psychisme prioritairement comme le résultat d’un processus de refoulement qu’il faut mettre au jour et la neurobiologie comme une défaillance ou une altération neuronale. On peut se demander dans quelle mesure un rapprochement est possible entre ces deux

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disciplines. Au-delà des querelles entre les « modernes » et les « anciens », certains chercheurs des deux approches tentent des points de jonction. Citons par exemple la position prise par Bernard Golse (2010), qui propose une approche polyfactorielle de l’autisme et un dialogue entre neurosciences, psychopathologie et psychanalyse.

Les récents travaux de Jan Macvarish, menés au sein du centre de recherche de l’université du Kent sur les parenting cultures démontrent l’importance de l’usage politique de cette perspective des neurosciences dans le champ de la parentalité et leurs puissants effets normatifs et politiques. Elle défend l’hypothèse d’un véritable Neuroparenting (Macvarish, 2016). Au moment même de la sortie de son ouvrage, un discours de David Cameron, alors premier ministre, tenu le 11 janvier 2016 et intitulé Life chances31, est venu illustrer l’importance des leçons que pourraient souhaiter tirer les politiques des avancées des recherches en neurosciences et en imagerie cérébrale. Jan Macvarish cite ainsi dans les premières pages de son ouvrage les deux extraits suivants du discours du Premier ministre : « lorsque les neurosciences montrent l’importance cruciale des toutes premières années de la vie dans la détermination des adultes que nous devenons, nous devons penser de manière beaucoup plus radicale la manière dont nous pouvons améliorer la vie de famille et les premières années (de l’enfant) »32. C’est sur cette base que le gouvernement brittanique a justifié aussi la nécessité de développer des formations à la parentalité (parenting courses) : « Une découverte cruciale est que la vaste majorité des synapses, les milliards de connections qui transportent les informations dans notre cerveau, se développent au cours des deux premières années. Des destinées entières peuvent être altérées pour le mielleur et pour le pire au cours de cette fenêtre d’opportunité »33

. Cet exemple montre, comme le défend Jan Macvarish, que le neuroparenting doit être conçu comme un argument politique (voir aussi Macvarish et al, 2015).

En résumé, les controverses évoquées concernent moins en tant que tels les apports de la neuropsychologie, des neurosciences et des imageries médicales à la connaissance, aussi bien chez l’enfant, le jeune ou l’adulte, qu’il s’agisse de la mémoire, de la perception, de

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. https://www.gov.uk/government/speeches/prime-ministers-speech-on-life-chances

32 . Discours de David Cameron op. cit., “First, when neuroscience shows us the pivotal importance of the first few years of life in determining the adults we become, we must think much more radically about improving family life and the early years” (traduit par Claude Martin).

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. “One critical finding is that the vast majority of the synapses the billions of connections that carry information through our brains develop in the first 2 years. Destinies can be altered for good or ill in this window of opportunity” (Idem, traduit par Claude Martin).

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l’attention, de l’empathie, de la douleur, des réponses au stress, etc., que l’usage qui est fait de ces découvertes, notamment par les médias avides d’effet d’annonce, ou bien encore par l’ascendant des neurosciences sur le discours politique qui peut s’en emparer à des fins argumentaires pour justifier leur choix en matière d’interventions et de politiques publiques (voir à ce sujet Shonkoff & Bales, 2011).

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II-2. Positionnement des professionnel-e-s, développement et évaluation