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L’approche de la parentalité par la situation migratoire

Partie III – Rôles, normes et engagements parentaux

III- 3 Les impensés normatifs sous la perspective de l’interculturel

1. L’approche de la parentalité par la situation migratoire

La problématisation en termes culturels n’est pas sans susciter des réserves dans les milieux scientifiques. Encore plus ces dernières années, où la crainte d’amalgamer étrangers, migrants et terroristes complique davantage encore la référence à la dimension culturelle. Faut-il alors proposer une intelligibilité qui tienne compte principalement, voire exclusivement, des inégalités sociales ? Certains travaux questionnent ce prisme culturel qui reste marqué par l’exercice de définition, toujours délicat épistémologiquement. Zohra Guerraoui et Gesine Sturm (2012) discutent des débats sur l’intérêt ou le risque d’approcher par l’acculturation ce genre de questions sur la parentalité. Sur ce même plan épistémologique, les typologies des migrations, comme celle qui réduit la mobilité à une dimension économique pour la différencier de celle dite de peuplement, et la période et les caractéristiques des mobilités professionnelles, politiques ou autres (études …), méritent toujours une grande attention tant elles orientent les problématisations. A cet égard, le travail de Sayad et le prisme émigration-immigration par lequel il a renouvelé les approches restent d’actualité (Sayad, 2006, Hammouche, 2007).

Le choix fait ici est de ne pas ignorer la matrice culturelle, mais en considérant les groupes culturels structurés par des stratifications, pour ne pas laisser penser que, sans interculturalité, la parentalité serait uniforme dans une société donnée. Plus précisément, l’interculturalité prend sens selon les conditions socio-économiques dans une période historique donnée. Ces précautions prises, on peut considérer que parentalité et interculturalité

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sont deux termes s’éclairant réciproquement. L’articulation devient même, si l’on veut l’utiliser comme instrument épistémologique, un analyseur amplifié.

Entendue comme processus généré par la relation entre personnes ou groupes ne partageant pas les mêmes traits et représentations culturels, l’interculturalité produit d’éventuels effets selon les conjonctures et les perspectives que se donnent les personnes impliquées. Elle naît et se manifeste selon une pluralité de modalités : à distance, par la diffusion de modèles parentaux dans des films, ou, autre exemple, dans des conditions privilégiées, comme celles que connaissent de nombreux cadres supérieurs expatriés. La différence culturelle est donc diversement vécue et peut être largement atténuée par des proximités socio-économiques. La migration, et les contacts qu’elle génère, est une de ces modalités possibles d’interculturalité..

L’arrivée dans un nouveau territoire est approchée ici par la dynamique émigration- immigration, pour accompagner en quelque sorte les migrants dans les différentes phases qu’ils connaissent depuis le départ de leur lieu d’origine et au fil de leur installation. On n’ignore pas de la sorte les temps de la relation parents-enfants, depuis celui de la petite enfance jusqu’à celui de la vieillesse, en passant par l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Un tel découpage est évidemment, culturellement et socialement, situé. Les phases (petite enfance, enfance, adolescence …) s’entendent dans les discours et se « traduisent » par divers dispositifs structurés selon ces délimitations. Les migrants s’y inscrivent le plus souvent fonctionnellement dans un premier temps. L’appropriation symbolique, en faisant sien ce découpage perçu plus naturel au fil du temps, ne se produit pas nécessairement à la même période. Cette manière d’analyser le processus n’est pas sans rappeler la distinction entre acculturation matérielle et acculturation formelle de Roger Bastide (1963). Celui-ci propose de décomposer en deux temps les effets produits par des contacts, lorsque ceux-ci s’inscrivent dans la durée et la proximité, entre groupes ne partageant pas les pratiques et les représentations qui leur sont associées. Le premier se caractérise par l’échange et l’appropriation d’élements matériels (la robe blanche adoptée pour le mariage) sans conséquence symbolique. Le second, au contraire, concerne l’adoption du sens qui déstablise bien plus les références culturelles (le mariage devient une éléction réciproque et non plus le choix planifié des parents).

Les primo-migrants ne sont pas dotés des mêmes ressources sociologiques pour vivre de telles situations et les périodes d’arrivée, mais aussi les lieux d’installation, conditionnent

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la dynamique migratoire. Le prisme de l’apprentissage dans un contexte donné des rôles parentaux, puis leur inscription ultérieure dans un autre, permet de tenir compte de ces éléments. De la sorte, la socialisation se trouve décontextualisée selon deux versants : celui des migrants ayant appris les rôles parentaux dans le pays d’origine, différents selon qu’ils ont vécu dans des milieux urbains ou, plus fréquemment pour les vagues migratoires allant jusque dans les années 2000, dans les milieux ruraux, éduquant leurs enfants en France ; celui des enfants d’immigrés recevant en situation migratoire l’éducation de leurs parents primo- migrants, éducation qui évolue selon que le projet migratoire correspond à une présence voulue limitée dans le temps et conclue par un retour au pays ou qu’il se transforme en sédentarisation. Le décalage entre les modèles intériorisés et les pratiques parentales peut être plus ou moins important : lorsque les cultures dans leurs matrices ou lorsque les positions sociales les rendent proches il est faible, mais lorsque les contextes sont très différents, cela peut constituer une rupture.

Schématiquement, les éléments majeurs qui caractérisent la différence culturelle sont les considérations à l’endroit des rapports d’autorité intergénérationnelle (Hammouche, 1997), du couple en tant que parents égaux sur le registre de l’éducation des enfants, du mariage de ces derniers et de sa conception depuis le choix du conjoint jusqu’à la gestion de la démarche dans son ensemble (Hammouche, 1995). Sur plusieurs autres points, la proximité peut être grande avec des populations françaises socialement proches.