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16.3 Le tourisme dans le parc de Bystrinski

16.3.3 Tourisme et préservation du parc

Si le tourisme constitue depuis quelques années une nouvelle source de revenu pour une petite partie de la population locale (hôtellerie, vente de souvenirs, guides, etc.), le « parc », en tant que tel, n’en bénéficie par particulièrement : « C’est seulement dommage que le camping et le bassin soient gratuits, et il faudrait aussi prélever une taxe pour l’entrée dans le parc » affirmait le directeur du parc; « Je ne vois que des aspects positifs. Sauf peut être le fait que le parc ne reçoit rien des activités touristiques. Cet aspect devrait être régulé, il devrait y avoir des taxes » ajoutait par ailleurs le responsable du club. Il est toutefois important de souligner que si le tourisme ne participe pas (du moins pas directement) au développement régional de protection du parc, il ne

102 Les trois compagnies privées d’hélicoptères de la vallée sont les organismes du parc qui bénéficient le plus du tourisme étranger, qu’il soit d’observation ou de chasse/pêche.

103 Ce centre, qui est avant tout le bureau du directeur du parc, était en 2002 difficilement localisable dans le village (mal indiqué). Un des premiers projets de l’IUCN*/UNDP* est toutefois de le déplacer, de le rendre visible, et d’en faire un vrai centre d’information.

104 Les services d’un étudiant coûtent 250 RUR/jour (~11CHF); ceux d’un adulte, 500 RUR/jour : un prix abordable pour les Russes qui n’ont pas besoin de traducteurs. L’interprète (anglais, voire allemand) coûte le même prix qu’en ville, soit 30$/jour.

constitue pas selon son directeur le principal danger pour son écosystème : « Ce ne sont pas eux qui produisent le plus de déchets. Ils les reprennent généralement avec eux et ne laissent rien derrière ». Outre le nombre restreint de touristes dans la région, l’exploitation minière et le braconnage sont, selon les écologistes locaux, les sources principales de pollution pour l’environnement naturel du parc et la protection de son biotope.

Esso a par ailleurs des poubelles et un service de ramassage d’ordures régulier tenu par un

« groupe de jeunes » qui les enterrent ensuite dans une décharge qui se trouve à 3 km du village.

La propreté de ses rues et de ses alentours est particulièrement frappante en regard d’autres villages qui n’ont pas ce genre de service. Une autre pratique environnementale peut être citée : lorsque les gens sortent du village pour la journée (ramassage de baies, de pives, de champignons, promenade, etc.), la tradition culinaire consiste le plus souvent à cuire une soupe de poisson (ukha), mangée avec du pain ou des pommes de terre, voir des produits laitiers locaux. Or cette pratique, qui ne laisse que des déchets biodégradables, diffère de celle généralement observable ailleurs en Russie qui consiste à mélanger des pâtes à de la viande en conserve. Une fois vidées, ces boîtes sont alors brûlées et enterrées sur place : de nombreux itinéraires touristiques au Kamtchatka ont ainsi leur « décharge naturelle » qui commence à attirer ours et autres charognards.

Finalement, le développement du tourisme dans le parc de Bystrinski se différencie du reste de la péninsule puisqu’il s’agit d’une entité régionale qui fonctionne en partie indépendamment du centre de par son statut particulier, son histoire, et son organisation sociale. Mieux à même de répondre aux envies des touristes indépendants et soutenue par des fonds internationaux, la région d’Esso a probablement plus de facilité à gérer les différents aspects du tourisme. Il semble donc moins important de s’intéresser aux éventuels impacts (positifs ou négatifs) du tourisme dans le parc naturel de Bystrinski que de comprendre la place qu’il y occupe. Loin d’être le premier aspect cité, il trouve sa place dans le discours des acteurs locaux qui sont en train de le mettre en place en souhaitant le réguler peu à peu : aménagement de chemins pédestres, promotion de la formation de guides locaux, ouverture d’un centre d’information et de prévention (sur les dangers naturels, les risques d’incendie, etc.), aménagement du bassin avec l’envie de le rendre payant pour les touristes, sont autant de projets qui s’inscrivent dans une politique plus large de redynamisation régionale. Si à l’échelle du parc, le label « écotourisme » pourrait être « validé » à travers la prise en compte des aspects écologiques, économiques et

sociaux dans le développement d’un tourisme durable – largement soutenus par les programmes étrangers –, il est important de souligner le fait que le parc ne fonctionne pas en vase clos. Les interactions avec la ville et ses acteurs, avec les entreprises qui continuent d’exploiter les terres à leur guise, les chasseurs qui ne font que survoler les villages, les TO qui utilisent leur propre personnel, des politiques qui freinent une partie des projets, certaines représentations dépréciatives de la population russe sur « le Nord » et ses habitants, sont autant d’aspects qui participent du même « processus de touristification » global (Dewailly et Flament, 2000 : 39).

17 Ce que disent les gens sur l’écotourisme

Après avoir parcouru les différentes formes que prend le développement touristique aujourd’hui dans la péninsule (dans la région de PK, « dans la nature » (na priroda) et dans l’un de ses parcs protégés), arrêtons-nous encore un instant sur cette notion d’écotourisme.

Alors que le discours « éco » est de plus en plus régulièrement usité en Occident (par les touristes, les TO, les ONG, etc.), et qu’il est régulièrement repris dans les offres de voyages pour vendre la destination insolite que représente le Kamtchatka, il semble nécessaire d’écouter certains acteurs locaux donner leur propre définition de l’écotourisme.

Du côté des entreprises touristiques russes qui s’affichent sous un label « écotourisme », un directeur bien implanté localement met principalement l’accent sur les infrastructures « légères » qu’il utilise et sur sa gestion des déchets :

« Nous avons une tente qui se gonfle en vingt minutes. Elle contient de l’électricité et peut recevoir jusqu’à vingt personnes. Elle est donc très mobile.

Ceci est notre stratégie écologique! [il nous montre plusieurs photos de sa tente].

Je ne suis pas pour des constructions en dur, en béton ou en bois, qui sont des constructions lourdes. Avec cette tente, on gonfle, on dégonfle et on ne laisse plus aucun déchet lorsqu’on s’en va. Ailleurs ? Nous utilisons les cabanons qui étaient déjà là pendant la période soviétique ainsi que des tentes.

Nous avons des sacs poubelles spéciaux à certains endroits et nous avons des voitures qui passent deux fois par semaine pour enlever les déchets dans chaque camp! Ici il n’y a pas encore cette culture écologique face aux déchets, c’est donc souvent nous qui ramassons les déchets des autres. Et puis nous donnons aussi des instructions aux touristes sur les endroits ou déposer leurs déchets ».

Inversement, un autre directeur pour qui l’écotourisme n’est « qu’une dimension incontournable officiellement pour toutes les entreprises », est fier d’annoncer qu’il possède :

« Une base sur la partie gauche du volcan Avatcha. Il y a de plus en plus de maisons en bois qui se construisent. On peut donc faire de plus en plus de publicité en mettant en avant des infrastructures plus agréables pour ceux qui ne souhaitent pas dormir sous tente »105.

Et si selon lui, la question des déchets commence à apparaître :

« Il y a parfois des anniversaires dans une des bases, avec deux cents voire trois cents personnes et là c’est difficile de ne pas laisser des déchets. Souvent ce sont les animaux qui viennent les nettoyer. Alors si c’est un petit groupe c’est gérable, mais s’il y a une certaine masse c’est plus difficile ».

Les parcs naturels sont les seules entités qui essaient de légiférer la question des déchets. Mais que ce soit à l’intérieur des parcs ou en dehors, il est très difficile de contrôler leur gestion intéressante. Mais ça prendra du temps à changer. On le fait chaque fois avec nos enfants, car c’est surtout important de les éduquer eux à la question de l’écologie ».

Du côté des scientifiques de cet institut impliqués dans le tourisme, l’écotourisme prend différentes formes : pour Tatiana, c’est « toutes les activités de loisirs qui se font dans la nature, comme par exemple aller dans sa datcha, à la campagne » ; pour Olga au contraire, c’est « un tourisme éducatif qui permet d’étudier l’environnement et ce qui y pousse et qui engendre un profit économique qui peut être idéalement réutilisé dans la préservation de certains lieux », mais ajoute-elle « ce n’est pas possible en Russie » ; et lorsque je donne la définition de l’écotourisme telle qu’elle apparaît dans la déclaration de Québec à Andrev, il s’exclame en rigolant : « c’est du communisme ! ».

Lorsque la question des transports est évoquée, aucune ambiguïté n’apparaît par exemple entre la pratique de l’héliski ou l’usage des camions tout-terrain dans des écosystèmes fragiles et la

105 Le premier directeur cité fait d’ailleurs aussi apparaître cette nouvelle base dans son catalogue, alors qu’il nous a longuement expliqué qu’il s’était désengagé du projet de construction car il ne correspondait plus aux premiers plans prévus (elle n’a d’ailleurs pas reçu l’accord des écologistes).

notion d’écotourisme106. Ce label fait donc plus particulièrement référence au contenu du voyage (être dans la nature, observer l’environnement, etc.) qu’à une manière particulière de voyager.

Tourisme éducatif, sportif ou simplement en plein air, l’écotourisme revêt des définitions qui prennent en compte exclusivement le patrimoine naturel. Et si, officiellement, celui-ci doit être préservé dans la mesure du possible, la volonté de l’ « aménager » reste plus forte que celle de la

« ménager » (Cazes, 1997 :104). Si l’idée de durabilité ou de partenariat est parfois évoquée, chacun tente avant tout de mettre ses propres pratiques en avant et de défendre ses intérêts. Cela est particulièrement vrai face au chercheur occidental qui se préoccupe du développement touristique et qui deviendra peut-être un futur partenaire, un futur client ou en tous cas un agent d’information.

106 Ce qui ressort par contre parmi les membres de l’Institut d’écologie, ce sont les dégâts qu’engendre la construction d’un tronçon de route qui est alors utilisée par les « braconniers ».

V Conclusion

18 Une conclusion en trois temps

Trois points seront abordés en guise de conclusion. Dans un premier temps, les hypothèses de départ seront évaluées et discutées à la lumière des éléments présentés tout au long de ce travail.

Ceci permettra, dans un deuxième temps, de redéfinir le concept d’écotourisme à partir de l’usage qui en est fait localement et de répondre à la question soulevée dans le titre, à savoir quelle est la durabilité des modèles touristiques émergeant en Extrême-Orient russe. Finalement, les perspectives du développement touristique au Kamtchatka ainsi qu’un dernier regard sur la recherche menée permettront de clore ce mémoire.