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La mobilité en question : la politique des visas et les autorisations de déplacement

12.4 Les touristes indépendants

12.4.3 La mobilité en question : la politique des visas et les autorisations de déplacement

Comme le souligne Jean Michel Dewailly, « la politique des visas est un bon moyen de contrôle et de régulation de flux » (2000 : 66). La Russie, malgré son "ouverture" a gardé une politique relativement restrictive en matière de visas touristiques contribuant à favoriser les voyages organisés. Non seulement la durée de ces visas varie d’une année à l’autre – passant, par exemple, de trois mois à un mois pour les ressortissants suisses entre 2002 et 2003 – mais en plus leur obtention est longue et coûteuse64. Sans entrer dans le détail de ce parcours administratif, la première et la dernière démarche peuvent être soulignées : il est nécessaire de recevoir au préalable une invitation de la part d’une organisation russe (institut de recherche, hôtel, agence touristique, etc.) et une fois dans le pays, le touriste doit se faire enregistrer auprès des autorités locales. Jusqu’en 2001, tout citoyen russe pouvait se porter garant pour une invitation. Or, dorénavant, ce droit est réservé aux « professionnels du tourisme », ou aux organisations qui ont payé leur licence et qui sont donc enregistrés en tant que tel à l’administration : seul un ressortissant russe travaillant pour une compagnie qui a reçu les autorisations d’inviter des étrangers est habilité à faire toutes ses démarches administratives. Cela rend donc obligatoire un contact préalable avec l’une ou l’autre de ces organisations. Partir en voyage organisé évite évidemment d’avoir à s’occuper personnellement de ces questions qui peuvent prendre plusieurs mois pour le touriste indépendant.

Une fois arrivée au Kamtchatka, les étrangers doivent recevoir officiellement de la part de l’administration locale une autorisation pour chaque endroit où ils se rendent : l’organe qui

"invite" remplit ainsi pour chacun de ses hôtes une feuille sur laquelle doivent être indiqués le nom, le prénom, le numéro de passeport et la liste précise des lieux qu’il est prévu de visiter dans un délai et selon un itinéraire fixés préalablement. Une fois tamponné, ce papier servira lors des contrôles policiers. Des difficultés surviennent toutefois du fait qu’aucun voyage organisé ne

64 Pour celui ou celle qui souhaite séjourner plus longtemps dans le pays, il n’est pas aisé d’obtenir d’autres visas (commerciaux ou de recherche).

débute par un séjour prolongé en ville (puisque les centres d’intérêts se trouvent en dehors de celle-ci) et qu’un seul jour ne suffit pas toujours à se procurer les autorisations. Le récit d’une mauvaise expérience touristique illustre un problème que doivent régulièrement gérer les TO :

« L’année passée à Esso, notre représentant français n’était pas avec nous, mais il nous avait dit que tout se passerait bien. En fait on devait commencer par aller au sud, mais quand on est arrivé on est d’abord allé au nord, et lui est allé au sud avec un autre groupe. On n’avait pas nos passeports car ils devaient se faire enregistrer à Petropavlovsk. Or, à Esso, on s’est fait arrêter par le FSB* pendant 24 heures! L’organisateur ne nous avait même pas fait faire des photocopies de nos passeports! Ce sont des fautes énormes ! A 23'000 FF passés le voyage (~4000 ), on ne veut pas perdre deux jours ! » (Hervé, touriste français).

La charge que représentent ces démarches administratives est donc ouvertement critiquée par les nombreux TO de petites tailles. En effet, ce coût supplémentaire (en temps et en argent) les fragilise d’autant plus face aux agences plus grandes et mieux implantées économiquement (et souvent politiquement).

Quant aux jeunes touristes indépendants, ils se font enregistrer en passant la première nuit dans un hôtel, puis se déplacent librement dans le sud de l’oblast. Aucun de ceux rencontrés ne savait clairement quels laissez-passer étaient obligatoires ou non. Mais dans ce cas, lors d’éventuels contrôles, les événements qui se produisent ne font que pimenter par la suite les "récits aventureux" du voyage.

12.4.4 « Touristes sauvages » versus « bons touristes »

Ce manque de transparence générale (qu’il s’agisse d’informations pratiques ou administratives) ne favorise pas le tourisme indépendant qui est clairement dénoncé par les professionnels du tourisme locaux. Ceux-ci, loin de vouloir faire du Kamtchatka un lieu de passage pour backpackers, qualifient ces derniers de « touristes sauvages » (wild tourists) ou de « tziganes » :

« Il y [en] a aussi de plus en plus qui viennent sans TO par leurs propres moyens.

Ils viennent ici par une agence mais ensuite comme ils n’ont pas d’argent ils essaient d’avoir tous les bons plans bon marché. On les appelle les "tziganes".

Comme ils sont là on doit trouver un consensus mais c’est difficile de travailler avec eux. Souvent ils n’ont même pas assez d’argent pour payer toutes les autorisations et les permissions du FSB* » (Yuri, directeur d’une TO locale).

Alors que les directeurs de firmes touristiques ne souhaitent pas favoriser la libre circulation de voyageurs qui n’auraient pas besoin de leurs services, les guides de montagne indépendants voient surtout dans ce phénomène un problème de sécurité élémentaire :

« Chaque année il y a quelques personnes qui voyagent seules, surtout des Allemands, des Polonais et des Tchèques. On les appelle les « touristes sauvages » car ils ne sont pas des touristes locaux, parlent un peu le russe et le font à leur manière. Mais ensuite, ils doivent parfois appeler les sauveteurs parce que l’un d’eux, par exemple, s’était cassé la jambe sur un volcan (…) en tant que guide, je recommanderais d’être d’une manière ou d’une autre organisé, c’est une question de sécurité. Des gens inexpérimentés qui voyagent en Russie, peuvent avoir quelques problèmes » (Fiodor, guide de montagne indépendant).

Ces deux exemples nous amènent ainsi à une autre catégorie d’acteur : les principaux bénéficiaires du tourisme au Kamtchatka. Directeurs d’entreprises touristiques, guides et personnels se regroupent ainsi sous la dénomination de « professionnels du tourisme ».

13 Les professionnels du tourisme

Il n’est pas aisé de connaître le nombre exact de tours-opérateurs ou d’agences locales basées entre Elisovo et Petropavlovsk. Celui-ci varie chaque année et diffère selon les sources (qu’elles soient écrites ou orales). Ainsi, selon un pionnier du tourisme au Kamtchatka:

« D’une seule agence nous sommes montés à quarante puis soixante-huit de nos jours. Sans compter celles qui s’occupent de la chasse, il y a une dizaine d’agences, les autres étant toutes des tours-opérateurs » (Konstantin, indépendant et guide).

Alors que dans le document de l’administration, cent deux entreprises touristiques locales (tours-opérateurs et agences mélangées), ont été recensées en 2001, « [seules] 82 ont confirmé leur certificat dans le centre de standardisation du Kamtchatka » (SREET, 2002 : 5).

Sur le plan russe de la ville publié en 2000, se trouve la seule liste qui recense clairement (nom, adresse, spécialisation) des entreprises touristiques : elle en indique quarante deux. Parmi celles-ci, douze sont spécialisées dans la chasse et la pêche sportive, deux dans les voyages à l’étranger (Chine, Japon), tandis que les autres proposent toutes – en des termes qui diffèrent légèrement – les offres analysées dans le premier chapitre. Cette liste comprend ainsi les noms de particuliers qui travaillent à leur compte, ceux de grandes entreprises privées (par exemple de poissons) qui proposent des licences et les structures nécessaires pour la pêche sportive, ou encore les noms de

services publics qui offrent aussi une plateforme touristique. Sans être exhaustive, cette liste donne un bon aperçu de la diversité, du foisonnement et du flou administratif qui existe dans ce secteur.