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Le deuxième réseau qui nourrit le personnel saisonnier touristique est celui des instituts scientifiques. Il s’agit principalement des Instituts pédagogique, de volcanologie et d’écologie72, dans lesquels les professionnels du tourisme viennent chercher des étudiants et des professeurs.

13.5.1 Les traducteurs et accompagnateurs

L’Institut pédagogique propose exclusivement des cours d’histoire, de psychologie, d’archéologie, de philosophie et de langues. Les traducteurs et traductrices proviennent ainsi des classes de langues (anglais, japonais, coréen, allemand et français), tandis que les autres étudiant(e)s qui ne parlent pas de langues étrangères sont à même de proposer leurs services comme porteurs, cuisiniers ou chef de camp. Dans une perspective de création d’emplois, l’Institut a reçu la visite en 2002 de la directrice du département du tourisme de la ville. Celle-ci annonçait la venue prochaine d’un nombre croissant de touristes francophones, poussant les jeunes étudiant(e)s à se spécialiser dans cette langue. Une bonne maîtrise des langues étrangères permet en effet de proposer spontanément ses services à un TO, alors que les autres places s’obtiennent généralement à travers les connaissances personnelles (puisqu’il s’agit le plus souvent d’entreprises familiales). Les guides « spécialisés » quant à eux proviennent des deux autres instituts, celui de volcanologie et d’écologie.

13.5.2 Les guides spécialisés

Parallèlement aux guides de montagnes qui sont d’une certaine manière les « spécialistes » du tourisme d’aventure, certains professeurs des Instituts de volcanologie et d’écologie travaillent comme « spécialistes » (specjalist) du tourisme scientifique, guidant les circuits qui s’inscrivent dans leur domaine de connaissance (volcanologie, ornithologie, ethnologie, etc.). Leur statut ou leur parcourt académique sont particulièrement valorisés par les entreprises touristiques qui proposent de l’écotourisme, validant ainsi la scientificité – et par là-même le sérieux – de ces offres.

Ces professeurs ont généralement plus de la cinquantaine (certains arrivent parfois à l’âge de la retraite) et ont suivi un cursus universitaire souvent brillant durant la période soviétique. À la

suite du changement de régime et du désengagement de l’État, ils se retrouvent aujourd’hui avec de bas salaires73 à la tête d’Instituts de recherche qui ne reçoivent presque plus de subventions.

Le tourisme leur offre donc une alternative intéressante : à court terme, il leur apporte un complément salarial important pendant les vacances estivales, et à plus long terme, ils espèrent en faire bénéficier leurs instituts. Le directeur du département de physique, de chimie et de minéralogie à l’Institut de Volcanologie et guide volcanologue durant son temps libre, a par exemple longuement insisté sur le fait qu’une manière de développer le tourisme serait d’obtenir des fonds pour des recherches scientifiques en y faisant participer des touristes. Ainsi, tout en insistant sur l’importance de développer le tourisme au Kamtchatka, il a largement montré celle de faire connaître la région d’un point de vue scientifique (le deuxième aspect lui tenant personnellement plus à coeur).

13.5.3 Les interactions du tourisme avec la science

La limite entre « tourisme » et « science » est apparue spécialement ténue au Kamtchatka tant au niveau du corps professoral local qui utilise les structures académiques pour faire du tourisme, que des relations entre chercheurs étrangers et guides scientifiques, ou encore des touristes étrangers qui sont prêts à payer cher pour voyager « scientifiquement ». Demandant un approfondissement particulier, ces trois aspects ne peuvent être que rapidement explicités ici :

- Ne bénéficiant presque plus des semaines de vacances payées (otpusk) qui existaient pendant le système soviétique, certains enseignants universitaires commencent à demander des subventions pour organiser des séminaires de recherche durant l’été dans des lieux de détente comme Paratunka ou Esso. Au-delà des programmes scientifiques (conférences, partages de connaissances, etc.), ce sont plus largement des camps de vacances en groupe, voire en famille, qui ont lieu. Subventionnés en partie par les instituts et principalement par les chercheurs étrangers et ceux du continent qui y prennent part, les participants locaux profitent ainsi d’une structure qu’ils connaissent et apprécient mais dont ils ne peuvent plus bénéficier.

72 L’Institut d’écologie du Kamtchatka est la branche extrême-orientale de l’Académie Russe des Sciences.

73 En Russie, le corps professoral qui enseigne dans le public (de l’enfantine à l’université) reçoit environ 100$/mois, ce qui correspond un peu près au salaire minimum de la Russie (Cabanne et Tchistiakova, 2002). Et si les disparités régionales d’un bout à l’autre du pays rendent les statistiques générales délicates il est entendu qu’en Russie « les fonctionnaires (…) sont parmi les défavorisés et bon nombre d’entre eux vivent avec moins que le minimum vital » (idem, 2002 : 54).

- Les premiers chercheurs étrangers (ethnologues, linguistes, botanistes, géologues) qui se sont rendus au Kamtchatka dès le début des années nonante ont contribué à une prise de conscience de la "valeur touristique" d’un "Kamtchatka scientifique". Outre les intérêts qu’ils ont affirmés pour des objets aujourd’hui présentés aux touristes, ils ont souvent travaillé en étroite collaboration avec les scientifiques locaux spécialisés (démarches administratives, connaissance du terrain, traductions, contacts, etc.) qui sont aujourd’hui devenus guides à temps partiel. Cette collaboration permet aux guides/scientifiques locaux d’être payés pour retourner sur le terrain tout en participant par ailleurs au développement d’un tourisme scientifique.

- Une partie des touristes étrangers semble en effet porter un intérêt croissant au tourisme scientifique (et « écologique »), non seulement en participant aux circuits-découvertes, labellisés « écotourisme », mais aussi en s’inscrivant à des « séjours écosolidaires » au sein d’une mission d’étude et/ou de conservation de la nature. En échange de son soutien financier, « le participant écosolidaire part s’immerger dans le quotidien d’une équipe scientifique, de techniciens ou de gestionnaires qui travaillent sur le terrain ». C’est du moins la définition qu’en donne une petite agence française qui travaille en partenariat avec certains membres de l’Institut d’écologie de PK. Elle commence ainsi à proposer cette formule au Kamtchatka, plus particulièrement dans le parc naturel de Kronotski.

Ces spécialistes locaux ont donc de nombreuses casquettes (guide touristique, intervenant dans un séminaire scientifique local, traducteur ou coéquipier d’un chercheur étranger) qui leur permettent d’élargir leur champ d’action et leurs revenus.

Photos 22 et 23 : Artisanats et souvenirs pour touristes (Agopian, 2002).

14 Pouvoirs publics et pouvoirs privés