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Chapitre 2 : Cadre théorique et principaux concepts

2.2 Tourisme alpin et sports d’hiver

2.2.1 Les débuts du tourisme de montagne en Europe

Si les arts et les sciences permettent de redorer la conception européenne de la montagne, c’est l’avènement du tourisme qui la rendra accessible au plus grand nombre.

Tout au long du XVIIIe siècle, le nombre de voyageurs se multiplie dans les Alpes. De la décennie 1740 à 1750, le nombre de voyageurs double. On améliore considérablement le chemin pour se rendre au village de Chamonix en 1775. Dans les années qui suivent, l’équipement hôtelier de Chamonix connait un essor notable (Joutard, 1986).

L’accès routier facilité ainsi que l’hôtellerie mise en place sont favorables au développement touristique de Chamonix. Un autre facteur influence positivement l’essor touristique; la publicité par l’image. L’abondante iconographie créée à cette époque favorise le rayonnement du village. Le premier grand dessinateur de la vallée de Chamonix est Marc-Théodore Bourrit (illustration 2.6, p.26). C’est lui qui fournit aux touristes les premières reproductions de la vallée et de ses glaciers. L’œuvre de Bourrit peut être considérée comme une des toutes premières formes d’image publicitaire servant à faire la

promotion d’un espace touristique montagnard.

Plus que le texte, les images créées par les peintres et les dessinateurs sont susceptibles de transmettre l’émotion générée par les glaciers et la haute montagne (Joutard, 1986). Le romantisme de l’époque transparait ainsi dans l’iconographie. L’état d’esprit dans lequel on appréhende alors le paysage est traduit par la peinture.

Les paysages alpins font écho à la nostalgie d’une époque révolue; la féodalité. Le lieu de voyage est choisi selon sa capacité à créer un détachement vis-à-vis de la société urbaine et en fonction de sa capacité à plonger le touriste dans la rêverie. L’exotisme et l’ambiance alpestre apparaissent comme une contre-valeur à la civilisation industrielle. Ironiquement, c’est le niveau de vie acquis par cette nouvelle société qui permet précisément de jouir de ce dépaysement (Rauch, 1995 : 94). L’intérêt et la valeur d’un site touristique sont déterminés par son ancienneté. La préservation des lieux est doublée d’une valorisation des vestiges.

La seconde moitié du XIXe siècle est marquée par la création de nombreux clubs alpins. Le Alpine Club est fondé en 1857 en Angleterre. La Nouvelle-Zélande se dote également d’un club similaire, le New-Zealand Alpine Club, en 1891 (Pawson, 2002). En France, c’est en 1874 qu’est créé le Club Alpin français (CAF). L’objectif premier est de démocratiser et de faciliter l’accès à la montagne. Pour ce faire, le CAF favorise la formation de guides professionnels de montagne. De plus en plus, la randonnée en montagne est pratiquée par une population petite-bourgeoise et urbaine. Afin de faciliter l’accès à la montagne, le CAF entreprend de grands travaux d’aménagement. En plus de baliser des sentiers, on construit des belvédères et des refuges. Des cartes topographiques détaillées sont également créées à l’intention des randonneurs. Ces réalisations techniques permettent aux randonneurs de rester plus longtemps en montagne pour ainsi mieux s’imprégner du style de vie montagnard et demeurer plus longuement à l’écart de la société industrialisée (Rauch, 1995).

Illustration 2.6 : Marc-Théodore Bourrit, Vue de la mer de glace au montanvert, (1781)

Source : Bourrit, Marc-Théodore, The British Museum

Aussi, le CAF fait la promotion d’activités alpines jusque-là inédites : les sports d’hiver. C’est à ce moment que les premières stations de ski voient le jour en France. En 1864 est inaugurée la première piste de luge ainsi que le premier jeu de curling à Saint-Moritz (Rauch, 1995). Vingt ans plus tard, Saint-Moritz inaugure les premières pistes de ski alpin. Puis, en 1924 ont lieu les premiers jeux Olympiques d’hiver à Chamonix.

Ces aménagements réalisés par le CAF modifient la temporalité dans le rapport à la montagne. Les premiers explorateurs et alpinistes cherchaient à découvrir et surprendre la montagne sauvage. L’exploration s’inscrivait dans un temps long, puisqu’il était alors difficile de circonscrire le début et la fin de l’aventure. Les aménagements et la planification territoriale réalisés par le CAF introduisent de nouveaux temps. Les itinéraires proposés dans les guides et sur les cartes sont d’une durée déterminée. Qui plus est, avec le développement des sports d’hiver, on prescrit à chaque saison son activité (Rauch, 1995).

Dans la première moitié du XIXe siècle sont écrits les premiers guides touristiques. Ces derniers fixent et classent les sites selon l’intérêt qu’ils représentent. Les manuels écrits à l’intention des voyageurs modifient en profondeur la manière de découvrir et de pratiquer le tourisme. Selon les normes du bon goût de l’époque, ils dirigent l’intérêt des voyageurs en pointant ce qui mérite d’être vu (Rauch, 1995 : 98). En effet, on y inscrit les « points de vue » et les panoramas dignes d’intérêt. Dès lors, le regard est pressenti par une sorte de propédeutique paysagère.

Malgré la popularité croissante de la villégiature chez les élites françaises, ce n’est qu’une minorité qui y a accès au début du XIXe siècle. Dans les années 1870, le mot « villégiature » est toujours considéré comme un néologisme (Rauch, 1995). C’est aussi à cette époque que l’on commence à parler de « touristes ». À l’origine, le terme vient d’une coutume qui consiste à faire un Tour ou un Grand Tour chez les jeunes aristocrates britanniques. Accompagné de son précepteur, le jeune aristocrate part découvrir l’Europe continentale. Le Tour , qui inspire le mot « tourisme » au cours du XIXe siècle, réfère à une

circularité qui ramène son auteur au point de départ. C’est là une démarcation importante avec le « voyage », qui étymologiquement réfère au chemin qu’il faut parcourir (Rauch, 1995).

2.2.2 Démocratisation des loisirs et du tourisme

Un remaniement majeur des temps sociaux s’opère tout au long des années 1800, permettant ainsi à plus de gens d’avoir accès aux loisirs et à la villégiature.

À l’aube du XIXe siècle, avant l’arrivée de l’industrialisation, le temps des paysans était poreux, souple et meublé d’activités imprévues et spontanées (Corbin, 1995). Avec l’arrivée de l’industrialisation, le temps est remodelé. Peu à peu, le temps est découpé, calculé, prévu et maximisé de manière à rendre efficace la journée de travail. Parallèlement à l’horaire de travail bien cadré apparait le temps libre. Il s’agit d’un temps pour soi, voué à la détente, au divertissement et à la pratique de nouvelles activités telles que la pêche à la

ligne et les sports de mise en forme. Au milieu du XIXe siècle s’élabore une industrie du divertissement populaire urbain. C’est alors qu’est dessiné le Bois de Boulogne à Paris ainsi que Central Park à New York. En 1852, Charles Morton ouvre le premier music-hall londonien (Corbin, 1995). Aux États-Unis plus qu’ailleurs, on considère les loisirs comme une forme de progrès sociétal. Il s’agit d’un moyen de s’épanouir et de se développer sur le plan personnel.

Après la mutation temporelle qui s’opère au XIXe siècle, une révolution des transports vient modifier le rapport à l’espace et aux déplacements. Au début du XXe siècle, les progrès techniques dans le domaine des transports accélèrent les voyages. En plus de permettre à un plus grand nombre d’accéder à la montagne, cet accès simplifié a pour effet de créer une vénération pour les lieux éloignés (Rauch, 1995). De plus en plus, on cherche l’isolement. Les guides touristiques sont dès lors munis de cartes routières, permettant ainsi de faciliter l’accès aux espaces de découverte tout en maximisant son temps le plus possible. Les étendues séparant les sites touristiques deviennent des espaces sans intérêt particulier que l’on ne fait que traverser (Rauch, 1995).

Avec l’industrialisation et la mise sur pied de la société urbaine apparaissent les vacances. Désormais, ce ne sont plus seulement les classes supérieures qui ont accès à ce temps privilégié que sont les vacances. Au tournant du XXe siècle, un plus grand nombre de travailleurs européens ont des vacances. C’est à ce moment aussi que l’on crée les premières colonies de vacances. L’objectif est de gérer le temps des enfants en congé pour les empêcher d’errer. Au lieu de flâner, on propose aux enfants de s’inscrire en colonie de vacances, leur permettant ainsi de développer des aptitudes personnelles telles que la curiosité et la découverte des activités de nature. Les forêts et la montagne deviennent la scène de rencontres et de moments forts de socialisation. On veut former la jeunesse et lui inculquer la sensibilité et le goût de la nature (Rauch, 1995).

À cette époque sont également créés les premiers villages de vacances. Le rythme accéléré de la ville et du travail imposent une période de repos. On consacre alors des lieux aux vacances, c’est-à-dire à la relaxation, à la rêverie ainsi qu’à la pratique d’activités sportives.

Si le naturisme, ou le culte de la nature se présente comme étant un soin physique, c’est d’abord une cure morale (Rauch, 1995).

Cette modification de la durée du séjour joue sur la temporalité associée à la montagne. De l’exploration et de la découverte des premiers voyageurs qui s’inscrivait dans un temps plus long, la montagne se transforme graduellement un lieu de tourisme qui se consomme rapidement. Les colonies et les villages de vacances sont des structures qui permettent de séjourner à la montagne pour une durée plus courte.