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Création d’une image de montagne : le modèle Intrawest

Chapitre 2 : Cadre théorique et principaux concepts

2.7 Caractéristiques contemporaines de l’image de la montagne

2.7.3 Création d’une image de montagne : le modèle Intrawest

Intrawest, une firme transnationale fondée en 1976 à Vancouver, a connu un immense succès en se spécialisant dans l’architecture touristique de loisirs. Plus précisément, ce promoteur est expert dans le développement de resorts à la mer, à la montagne, ainsi qu’à proximité de terrains de golf (Wozniak, 2008). Les réalisations à grand déploiement d’Intrawest sont multiples et vont du complexe hôtelier indépendant au village intégré.

En 1986, la firme fait l’acquisition des stations Whistler/Blackcomb (Wozniak, 2008). C’est là les débuts de la firme dans le développement de resorts de ski au Canada. Quelques années plus tard, en 1993, ce sera au tour du Mont-Tremblant d’être acheté par Intrawest (Morisset, 2012). À l’aube des années 2000, Intrawest poursuit son expansion sur le continent européen. L’entreprise crée une filiale européenne pour ainsi démarrer le projet

Arc 1950 en Savoie.

En France, où l’image du village alpin traditionnel est recherchée par les touristes (Frochot et Kreziak, 2008), l’arrivée d’Intrawest et de son modèle intégré en a heurté plusieurs. L’architecture pastiche qui s’apparente plus à un décor qu’à un village authentique a

dérangé les touristes de la station Arc 1950 (Wozniak, 2008). D’ailleurs, Intrawest elle- même emploie le terme décor pour désigner l’architecture et le concept immobilier du projet. La notion de décor, introduite pour décrire des programmes immobiliers, fait écho à un lieu construit de toutes pièces où se déroule une action préalablement calculée (Wozniak, 2008).

Pour le Mont-Tremblant ainsi que pour la station Whistler/Blackcomb, il en va de la même formule immobilière (Morisset, 2012; Williams et coll., 2004). C’est-à-dire qu’Intrawest crée de toutes pièces un décor spectaculaire. Le village de ski véhicule alors une image centrée sur le resort et les services offerts aux touristes.

De ce fait, le village de ski intégré est déraciné du socle territorial qui l’accueille. Malgré des initiatives locales, les valeurs sociales et environnementales de la station font rarement partie des communications livrées aux touristes. Nulle part dans la publicité construite conjointement par Tourism Whistler et la station de ski Whistler/Blackcomb n’est-il question de valeurs environnementales ou sociales (Williams et coll., 2004). La seule mention de l’environnement naturel sert à illustrer les nombreuses possibilités d’activités. L’environnement naturel et social n’est pas abordé dans une perspective durable (Williams

et coll., 2004). La promotion de la montagne et son image de marque ne tiennent donc pas

compte du volet durable lié au tourisme. De plus, malgré l’importance attribuée au plaisir des touristes dans la publicité, la qualité de vie des habitants et des travailleurs n’est pas mentionnée :

In fact, in the branding initiatives of both organizations, the emphasis on the ecological and social-cultural values of the destination is particularly muted. This is the case despite strong efforts by the community and corporation to work jointly on efforts to promote environmentally sound and sustainable practices(Williams et coll., 2004 :11).

Cet exemple témoigne d’une difficulté bien réelle avec laquelle les montagnes de ski doivent travailler; la multitude d’acteurs. Les stations touristiques de montagne sont souvent le principal produit d’appel d’une région ou d’une ville. Tous les acteurs du tourisme font la promotion de la montagne, mais souvent sans entente commune sur les thèmes et les valeurs à respecter.

Dans ce modèle particulier, où le fictif et le spectacle investissent la réalité, les notions propres au décor semblent être propices à la création d’un panoptique touristique. Puisqu’en effet, le décor est le seul espace où ont lieu les activités et les interactions dignes d’intérêt (Wozniak, 2008). Qui plus est, le faux que reproduit l’architecture néo-régionale d’Intrawest maintient le touriste dans une reproduction mythique de la réalité. Les concepts intégrés réalisés par Intrawest ne sont pas sans rappeler le modèle de Disney, où l’environnement ultra calculé rend captif le visiteur. Son regard et ses déplacements ont été orchestrés d’avance par des aménagistes. Dès lors, il ne reste que très peu de liberté au touriste qui veut découvrir un nouveau site. Le site, qui se veut la reproduction d’une réalité, est découvert par le touriste à partir d’aménagements réalisés par leurs concepteurs. Le décor tend à guider le touriste dans son exploration des lieux. Ce concept intégré a aussi pour effet d’engendrer une marchandisation du voyage, puisque les décors sont conçus pour être consommés sur une courte période (Wozniak, 2008). Éphémère, le décor renvoie à quelque chose dont la durée est prédéterminée, tout comme le sont les vacances. D’une durée bien établie, le tourisme a souvent pour principale fonction l’acquisition d’un souvenir. Intrawest, tout comme les parcs d’attractions, mise sur l’expérience du touriste. Cette approche consumériste du temps de loisirs a pour principal objectif d’objectiver l’espace, les réactions, les déplacements, de manière à générer des souvenirs consommables au même titre que des biens matériels. Dans une dynamique qui s’apparente à celle imaginée pour les parcs Disney, les voyageurs cherchent à repartir avec des photos typiques d’un endroit entièrement théâtralisé. Ces photos de la station sont d’ailleurs visualisées avant le départ, lors de la consultation du site internet ou d’autres outils promotionnels de la station. La mise en image minutieusement calculée de la station va de pair avec son aménagement scénique. Cette disneylandisation des expériences de voyages a pour effet de transformer un vécu personnel en capital culturel que l’on peut étaler au moment opportun (Wozniak, 2008).