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ENTRE AYMA-SHUÑE ET TIRI

2. Tiri : un démiurge en quête de complétude

Héros extraordinaire, mais aussi existant le plus complexe dont on se rappelle aujourd’hui les actions, Tiri jouit auprès des Yuracaré qui lui accordent de l’importance d’une réputation ambiguë, émaillée d’opinions contradictoires. Bien que sa notoriété soit faite de fascination, d’émerveillement, bien qu’il suscite l’espoir, l’état dans lequel il a laissé le monde au moment de disparaître entraîne également un sentiment d’incompréhension, voire une certaine lassitude. Par son agir de démiurge transformateur, autant que par le coup de force qu’il réalise sur l’humanité du dessous dont il évite l’émergence du chef suprême en se substituant partiellement à lui, Tiri constitue une figure passablement paradoxale. Seul héros du passé dont les Yuracaré puissent dire qu’il a « mis en ordre » (dula-ta) feu les anciens

(pëpê-shama-w), il est bien entendu un être exceptionnel et à part. Toutefois, à un second niveau, Tiri est

aussi un être qui, par son agir et par sa trajectoire existentielle spécifique, se présente comme une mise en abyme cosmologisée du rapport à soi que les Yuracaré retiennent pour s’envisager eux-mêmes. Bien qu’on puisse à certains égards le tenir pour le “héros culturel” des Yuracaré, il est de ce point de vue aussi une image cosmologique d’un Yuracaré ou d’un humain par excellence, qui ne se distingue de tout un chacun que par une capacité d’action extraordinaire. En guidant une partie des Manshi vers la « grande terre de l’ouest », en créant avec eux une société utopique mais duale, il partage le point de vue des Yuracaré sur eux-mêmes, celui de l’abandon, qu’il est capable cependant de dépasser. Mais le désir de dépassement dont il fait preuve est aussi paradoxal, car en même temps qu’il est capable de créer une société utopique, Tiri est aussi tenu pour responsable, directement ou indirectement, des conditions qui la rendent précisément utopique, puisque c’est à lui que les Yuracaré imputent la détermination de la condition humaine, par restriction de ce qu’elle aurait pu être.

a. Du démiurge transformateur au maître des humains

L’action de mise en ordre attribuée à Tiri sur les humains, sur feu les anciens, est parfois décrite en yuracaré par un verbe au sémantisme particulier, dula-ta, qui le distingue d’un faire strictement créateur. Ce verbe souligne en effet que l’agent actif non seulement transforme, met en ordre quelque chose ou, comme c’est le cas ici, agit sur les humains, mais dans un agir qui l’affecte en retour. Dérivant du verbe dula, dont l’usage est transitif et conceptuellement

homologue au verbe « faire », « fabriquer », dulata est suivi du suffixe de la voie moyenne

-ta. 14

En tant qu’opérations de rangements, d’arrangements, les transformations de Tiri dénotent sur un plan général deux choses. D’abord si elles sont des mises en ordre, des « réparations », elles présupposent en quelque mesure que l’état final existe virtuellement avant qu’il ne soit réalisé. Aussi se tromperait-on en pensant les transformations du démiurge comme des “créations” ou des “inventions”, car Tiri est plus un “bricoleur” qu’un créateur. Une telle dimension se retrouve dans la part somme toute menue des créations véritablement ex-nihilo de Tiri, puisque seule la création de colibri avec de la cire tulujshi peut être considérée autrement que sur le mode du recyclage ou de la réparation.

Il caractérise de façon générale toute action par laquelle on ne fabrique pas simplement

quelque chose, mais plus exactement par laquelle on répare ce qui ne fonctionne plus : remettre en ordre une toiture qui goutte, un moteur hors-bord qui ne démarre pas, par exemple. Dans un sens connexe, il s’emploie aussi avec la signification de « préparer ses affaires », « rassembler ce qui nous appartient » (esp. : alistarse). Le type de faire impliqué par dula-ta recèle en yuracaré une nuance difficilement traduisible en français sans forcer la grammaire vers des tournures inusitées, mais il correspond davantage à un “se mettre en ordre quelque chose”, qu’à un simple « mettre en ordre », et c’est précisément ce “retour” vers soi qui est porté par le suffixe -ta. Réparer une toiture qui goutte ou un moteur hors-bord sont en effet autant d’actions qui se réalisent non seulement pour mettre de l’ordre dans la chose, mais aussi pour bénéficier a posteriori de la transformation ainsi réalisée : ne plus avoir ses affaires mouillées, reprendre la route sans obligation de pagayer, ou encore avoir à disposition ce qui était dispersé, etc.

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Le suffixe -ta est probablement l’un de ceux dont l’analyse grammaticale et sémantique offre le plus de difficultés. En se fondant sur les travaux de Kemmer (1993), van Gijn (2006) l’analyse comme un marqueur générique de la voie moyenne, englobant dans ce cadre les valeurs particulières qu’il obtient lorsqu’il est post-posé à une racine verbale. Nombre d’usages de -ta se rapprochent ainsi de celui que le français fait du pronom réfléchi se. Il intervient pour décrire des événements où l’opposition entre le participant initiateur et le participant cible est neutralisée (événements spontanés, verbes de mouvement), coïncident (verbes réfléchis) ou se réverbèrent (verbes réciproques). Il est vraisemblable que le suffixe homophone qui se retrouve (cf. Fig. 41, chapitre VIII) sur des formes nominales, lui soit historiquement relié. Pour une discussion de la grammaire de ce suffixe, cf. van Gijn (2006. p. 170-178). La paire que constitue dula « faire » et dula-ta « arranger » est elle-même particulière et ne répond pas à la physionomie commune des verbes construits avec -ta qui, généralement mais pas toujours, contrastent sémantiquement et morphologiquement avec une forme où -ta peut être substitué par le causatif, soit par introduction du suffixe -che, soit par ajout d’une syllabe finale reprise dans le radical, car il n’existe pas en effet de forme *dula-che. Il semble ainsi que dula-ta soit une forme lexicalisée, où le suffixe de la voie moyenne n’a pas (plus) l’autonomie qu’il peut avoir dans d’autres cas. Pour d’autres exemples, où -ta apparaît aujourd’hui lexicalisé, de ces formes verbales, cf. van Gijn (ibid., p. 172-173).

Ensuite, ses actions

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La queue de l’agouti (faite avec de la cire), une des “créations” les plus innovatrices de Tiri, n’est rien d’autre qu’une substitution, elle-même demandée par l’époux de la grand-mère : « Remets-lui une queue maintenant ! » Elle s’apparente à une “réparation”, un “renouvellement”. On peut traiter de la même manière la capacité de Tiri à faire revivre les morts.

transformatrices (réussies ou ratées) sont évaluées par les Yuracaré comme ayant été faites “par lui” et “pour lui”, avant de l’avoir été “pour nous”, même si, dans certains cas, elles ont pu être entraînées par la compassion. Les transformations qu’a réalisées Tiri concernent évidemment les Yuracaré, mais ils ne partagent en rien un sentiment de responsabilité, même diffus, dans ce qui a eu lieu lorsque ces transformations n’ont pas été réussies : c’est Tiri qui a agi ainsi, et il agit “pour lui”.16

Que les Yuracaré considèrent les transformations qu’a réalisées Tiri comme relevant d’un type d’actions qui l’ont affecté lui-même “moyennement” sous la forme d’une satisfaction, on peut en retirer qu’ils admettent que Tiri, de son point de vue, avait des motifs spécifiques de les accomplir. Cet horizon intentionnel, dans lequel se place l’agir transformateur de Tiri, permet de comprendre plusieurs aspects de sa geste et plus spécialement la relation qu’il crée de toutes pièces entre lui et les humains (Manshi). Par l’examen des propriétés ontologiques qui le caractérisent, par la mise en rapport de celles-ci avec l’économie de son agir, et par la nature de son “faire”, Tiri peut être tenu en effet comme un être inachevé, incomplet, mais désireux de se compléter “pour lui” par le biais des autres. Jamais coextensif à lui-même, toujours en deçà de ce qu’il peut être, désirerait être, Tiri est affligé d’une faille qui le traverse et qui a pour corollaire une dualité interne. Si l’intensité de cette dualité s’associe à un surcroît de puissance, ses actions, malgré tout, ne lui permettent pas d’aller systématiquement au bout de ses intentions : il n’est pas rare en effet que celles-ci laissent un “reste”, se terminent sans s’achever. Tiri par exemple ne tue pas l’agouti ishete, mais le rate ; malgré sa volonté de “bien faire”, il ne supprime que trois Jaguars, et le quatrième, le pire de tous, lui échappe ; sans rien dire de l’oubli d’une partie des Manshi.

Par ailleurs, et c’est un point essentiel, la grande majorité des transformations qu’il réalise sont presque systématiquement la conséquence d’une situation où il apparaît lui-même dans une position de victime ou de patient, soit directement, soit à travers un processus d’identification métonymique à d’autres, pour lesquels il n’agit qu’après avoir endossé leur position. N’agissant et ne transformant que parce qu’il se venge ou est vengeur, Tiri transforme après coup, a posteriori, dans un acte de mise en ordre, très souvent littéralement réparateur. Pourtant si Tiri se venge, il n’est jamais pour autant un prédateur, et s’il tue, ce n’est jamais ni comme un guerrier ni même comme un chasseur : il n’a rien de ces jaguars en qui, pourtant, il en arrive à voir des germains. Puissant mais incomplet, agissant pour autant qu’il passe par un état de victime : ces deux caractéristiques de l’économie ontologique de

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D’Orbigny, déjà, rend attentif à cette dimension, lorsqu’il explique que les Yuracaré connaissent tous la geste de Tiri, mais se plaignent de tous ses héros qui ne les ont pas rendus immortels (1844, p. 215).

Tiri sont aussi les deux paramètres à l’aune desquels se mesure l’enjeu des transformations

qu’il impose aux Manshi.

Le “devenir maître” qu’il accomplit est tout autant le moyen de réaliser une “complétude” qui lui fait défaut que de surpasser sa position de victime, non en s’identifiant à ses ennemis, mais à une humanité victime, sous une forme qui renvoie toujours à une voie moyenne. Ce que Tiri fait aux Manshi, directement ou indirectement – don de l’immortalité, protection de toute extériorité prédatrice, offre de biens technologiques supérieurs – l’affecte lui-même : en donnant ce qu’il est capable de donner, il se complète, car c’est par les Manshi, qu’il s’accorde à lui-même la possibilité de cette complétude qui lui faisait intrinsèquement défaut. La dyade sociale utopique qu’il constitue en s’échappant au-delà des Andes, est en quelque sorte le moyen pour lui de médiatiser sa fêlure, qui s’extériorise et se stabilise enfin entre lui et les Manshi. Il extériorise cette faille, recréant une bulle d’intériorité, mais celle-ci n’est pensable comme telle qu’au-delà des Andes, dans un ailleurs situé à l’horizon. Enfin, et contrairement au principe d’un agir où la prédation permettrait d’assumer le point de vue de l’ennemi en le tuant, c’est par le biais d’une relation relativement différente que cette complétude se réalise : assurer la position d’un maître en devenant le protecteur de victimes suppose bien entendu un horizon généralisé de prédation, mais Tiri prétend échapper à cette position, stratégie qui contraste évidemment avec une affirmation de soi qui voudrait qu’on se détermine dans sa singularité en s’affirmant absolument comme ennemi17

Pourtant, si ce devenir maître permet à Tiri de réaliser sans doute un accomplissement, c’est en même temps un événement dramatique pour certains humains, puisque sans le vouloir, dans le processus de l’advenir de cette société duale où la différence semble extériorisée et contrôlée, où la position de victime s’évanouit, où une intériorité émerge même, Tiri – dans un ultime geste où se révèle implacablement son impossibilité de coïncider pleinement avec lui-même – abandonne une partie des humains, par distraction, par oubli. Véritable extériorité sans transcendance, principe anti-téléologique et contre-intentionnel, la distraction se révèle la clé de la métaphysique yuracaré du devenir : « Nous sommes le produit de la distraction du démiurge ». Culmination de l’immotivation et de l’inintentionnalité, la distraction, comme le disent les Yuracaré, est un acte gratuit « totalement comme ça » : lë-mmuy. Et c’est par ce mot qui ne fait fond sur rien, qui dénonce l’absence de toute cause, qu’ils appréhendent les conditions de leur propre émergence, aussi

.

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Pour la notion d’assomption du point de vue de l’ennemi, cf. plus particulièrement Viveiros de Castro (1996a, p. 99) ainsi que les commentaires que consacre à ce point Descola (2005, p. 351-352).

bien que celle de la condition humaine, se refusant à en attribuer la responsabilité à qui que ce soit, et donc à eux-mêmes.

b. Dédoublement et incomplétude

En tant que démiurge Tiri est aussi un chamane hyperbolique, et il est détenteur d’un “soi fractionné”, c'est-à-dire un rapport à lui-même qui l’empêche de se “boucler”, de s’affirmer réflexivement sur une identité tautologique du type soi = soi. Pour être chamane, il faut être capable de maîtriser un point de vue et un autre, être congénère de ses parents et d’autres parents. Mais cette situation d’expatriation chronique va toujours de pair avec un mode d’être clivé de soi, car il est impossible d’être un et de maintenir dans la simultanéité des points de vue différents. On ne peut être l’un et l’autre en même temps, du moins sans risques. Cette caractéristique prive Tiri de toute totalisation, voire de toute intériorité, au sens d’une appréhension d’un soi qui se recueille dans une unité totalisante. Tiri, toutefois, n’est pas seulement chamane et dual parce que ses techniques d’action ou sa praxis sont chamaniques, parce qu’il est capable de parler à des animaux, de rencontrer des esprits, mais parce qu’il est ainsi de manière congénitale. Tiri en effet est double de naissance : il est la progéniture d’une femme qui appartient à la première humanité, une tejté-shama, mais aussi fils d’un arbre, Ulë, qui s’est présenté à elle « en personne ». Fruit de ces relations hétérospécifiques, Tiri se trouve d’emblée marqué par cette convergence de deux points de vue. Congénère d’humains inclus dans le « nous », mais aussi congénère des arbres, Tiri est d’ici et d’ailleurs. Loin cependant d’être un produit mélangé, comme il viendrait immédiatement à l’esprit de ceux qui adoptent des prémisses ontologiques naturalistes, Tiri n’a pas un corps “hybride” avec une âme unique, mais plutôt une âme dédoublée dans un corps fractionnable, réunis sous une forme instable.

Les commentateurs du mythe n’ont aucune peine à admettre d’ailleurs la nature dédoublée de Tiri. En tant que fils d’une humaine, d’une femme qu’on appelle tejté-shama, « feu la grand-mère » ou ta-tejté-shama, « feu notre grand-mère », Tiri est un parent (apta) ; mais cette évidence est tout aussi vraie lorsqu’elle s’applique à son ascendance paternelle. Fils d’Ulë, Tiri est aussi congénère des arbres en général. La scène de l’ouverture de l’essart que lui demande de faire sa grand-mère, rappelle à l’évidence cette situation. Avec beaucoup de

tact, Tiri demande à ses parents arbres de se retirer pour faire de la place. S’il ne les “tue” (abat) pas, c’est qu’il n’est pas leur ennemi, mais précisément leur parent.18

La dualité congénitale de Tiri s’extériorise sous une autre forme lorsqu’il a l’occasion d’être “seul avec lui-même” : après s’être vengé des Jaguars, lorsqu’il marche, solitaire, dans la forêt, sans le vouloir, en trébuchant sur une souche, Tiri perd son orteil (karru). Sur le mode du clonage, un trait ontologique qui révèle peut-être également son aspect végétal, il enterre cette extrémité scindée de lui. Elle bourgeonne bientôt et lui permet de se dédoubler19

Toutefois, à un niveau hiérarchique supérieur, la description du couple indique que Tiri et

Karru constituent un “hyper-Tiri”, car Karru n’a pas d’existence strictement autonome du

corps dont il provient. Il n’est rien de plus que l’extériorisation d’une partie de Tiri, une extrusion de lui en quelque sorte. Au vocatif, Tiri peut appeler Karru « fils » (bonto), tandis que Karru peut faire référence à Tiri par le terme de politesse donné aux aînés, « chef » (buyta). En référence, les narrateurs disent que Tiri est le maître de Karru (a-sono) ; ils peuvent également être dits « compagnons » l’un de l’autre (ëshëta), mais ce compagnonnage est le fruit de leur rencontre (il ne s’agit pas d’un terme de parenté) et il rappelle leur vie commune.

. Bien qu’obtenu par une sorte de bouturage, le produit de la réplication qui prend la place du jumeau des autres versions de la saga a ceci de particulier qu’il ne peut pourtant être considéré sur le mode d’une reproduction du même. Portion corporelle de Tiri, Karru n’en est pas moins, par son comportement, un être différent qui remplit le rôle bien connu du décepteur.

Tiri ordonne, Karru désobéit : à la transparence relative du comportement de l’original dont

les intentions sont raisonnables, s’oppose l’opacité du clone dont les désirs sont excessifs. Comme le dit la glose indigène, Karru « ne tient pas compte de son maître, de son chef », <nish ka-n-lele a-sono, a-buyta>, est « un menteur » (shiwá-j-bëshë). À un premier niveau, les termes relationnels qui décrivent leurs positions réciproques soulignent la séparation et l’indépendance des membres du couple.

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« Tiri avec son Karru » (Tiri a-Jarú-tina),21

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Alors que je discutais de cet épisode avec un interlocuteur du haut Sécure, en lui faisant part de mon étonnement sur la “technique” employée par Tiri pour ouvrir l’espace de la plantation, il me fit une réflexion qui met bien en valeur le statut de congénères qu’ont les arbres en général avec le démiurge : « Pourquoi les aurait-il abattus, ces arbres, puisque ce sont ses parents ? Il demanda simplement à ses oncles et à ses tantes qu’ils se retirent. Il ouvrit la plantation sans abattre les arbres et sans les brûler. Ce serait commode de pouvoir ouvrir des plantations de la sorte, sans travail ».

l’expression canonique qui décrit le

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L’aspect horticole de la naissance de Karru a déjà été repéré par Ehrenreich (1905, p. 58).

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Ce terme de compagnon, qui indique une grande proximité, est aussi celui par lequel on décrit la relation entre

Elewita et la mère de Tiri : elle indique une notion de parité. On la traduit ici par « compagne, compagnon »,

terme qui doit être distingué du chee « ami rival », sur lequel on reviendra, et qu’emploie par exemple

Ayma-shuñe avec l’homme qui se sauve. Avec finesse, les traducteurs de la Bible yuracaré et missionnaires ont utilisé

couple à l’aide du suffixe comitatif -tina indique en revanche un ordre qui ne peut être violé et précise le sens de la dépendance ontologique et relationnelle de Karru face à Tiri : il serait absurde pour une oreille yuracaré d’entendre dire que Karru se déplace avec Tiri, car leurs positions ne sont pas réversibles.22 En tant que redéploiement personnifié de son orteil, c’est-à-dire d’une extrémité distale du corps, Karru apparaît comme cette infime mais si essentielle part de soi qui n’appartient pas à Tiri, l’incarnation de sa propre incapacité à être totalement lui-même.23

Arbre et humain, Tiri et Karru, tel est Tiri. Son double point de vue de naissance, le