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Le tiers proposé : la Direction de l’immobilier de l’État

Dans le document La consignation (Page 171-178)

TITRE DEUXIÈME : UN ENTIERCEMENT

SECTION 2. LA REMISE DE LA CHOSE ENTRE LES MAINS D’UN TIERS

2) Le tiers proposé : la Direction de l’immobilier de l’État

340. Exclusion de la Caisse des dépôts. L’article L. 518-17 du Code monétaire et

financier dispose que « la Caisse des dépôts et consignations est chargée de recevoir les consignations de toute nature, en numéraire ou en titre financiers […] », non celles qui auraient pour objet des biens d’une autre nature. L’exclusion de la Caisse des dépôts et consignations comme consignataire institutionnel d’autres biens est donc certaine763.

760 A. TUNC, Le contrat de garde, op. cit., n° 149 s.

761 Sur la problématique de l’acceptation de la mission, not. à propos des auxiliaires de justice, par F.-J. PANSIER, v° « Séquestre », art. préc., n° 27).

762 Il pourrait être opposé que le coût de la mesure serait quasi nul si le juge venait décider de la gratuité du

séquestre. Mais, parce que le tiers désigné séquestre peut toujours refuser sa mission, qui serait suffisamment altruiste pour accepter une telle tâche sans être rémunéré ? Seul le proche de l’une ou l’autre des parties pourrait sans doute proposer ses services gratuitement ; mais en ce cas, c’est l’impartialité qui ferait défaut.

341. Cette exclusion ne va pourtant pas de soi comme en témoigne l’exemple

luxembourgeois764. Peuvent être consignés à la Caisse de consignation luxembourgeoise

« tous les biens susceptibles [de lui] être versés ou virés […] sur un compte bancaire ou un compte chèque postal au Luxembourg » mais aussi « tous autres biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, à condition […] de l’accord écrit et préalable de la caisse de consignation »765. Pourquoi cette précision ? Selon l’exposé des motifs lors du dépôt du projet,

« il semble inadmissible que sur une place financière internationale, seules soient acceptables des consignations de sommes liquides exprimées en monnaie nationale, alors qu’il n’y a pas lieu d’exclure a priori la consignation d’autres biens, y compris en nature. Le Gouvernement estime que l’organisation d’un système de consignation moderne, efficace et sûr, est un service public indispensable pour le bon fonctionnement de la place financière »766. Ce texte

prévoit donc la possibilité de consigner tout type de bien à la Caisse de consignation, tout en précisant qu’il est nécessaire d’obtenir l’acceptation de cette dernière pour les choses autres que les sommes d’argent. La solution n’est donc guère plus claire qu’en droit français.

342. En droit français en revanche, la Caisse des dépôts ne peut recevoir que des sommes

d’argent et titres financiers, ce qui doit sans doute être interprété strictement, plus strictement en tout cas que ne le fait parfois la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt du 10 février 1998767, une procédure d’offres réelles avait été mise en place, avec consignation par émission

d’un chèque libellé à l’ordre de l’accipiens, ledit chèque étant déposé à la Caisse des dépôts et consignations. Au vu du libellé, la Caisse ne pouvait pas encaisser le chèque et l’accipiens plaide que la remise ne peut valoir consignation. Fort étonnamment, la Cour de cassation rejette l’argument : « la consignation consiste en un dépôt réalisant un dessaisissement effectif du débiteur » ; or, « en l’espèce, l’émission du chèque a emporté transmission irrévocable de la propriété de la provision au porteur ».

343. La solution est très contestable. Certes, « la provision doit être faite par le tireur » dès

l’émission du chèque768, ce qui a pour conséquence que la propriété de la provision est

764 L. luxembourgeoise du 29 avr. 1999 sur les consignations auprès de l’État, publiée le 12 mai 1999. 765 L. luxembourgeoise du 29 avr. 1999 préc., art. 3.

766 Projet n° 4234 sur les consignations auprès de l’État [du Luxembourg], exposé des motifs lors du dépôt du

projet le 5 nov. 1996.

767 Civ. 1re, 10 févr. 1998, n° 96-17.060, Bull. civ. I, n° 50. Seule la deuxième branche du moyen unique intéresse

ici, sa qualification comme étant « sans intérêt » par la Cour de cassation étant contestable.

transférée dès cette émission769. Certes, il est appréciable que le créancier ne puisse pas

procéder à l’encaissement du chèque, puisque la consignation a pour objectif de procéder à un entiercement770. En revanche, il est discutable d’affirmer, avec Monsieur Jacques Mestre,

qu’est alors réalisé « un dessaisissement effectif de la part d’un débiteur qui met bien les sommes considérées à la disposition du créancier »771. En effet, dès lors que l’établissement

tiré n’est pas au courant de l’émission du chèque, il n’a aucune obligation de bloquer la provision772. L’accipiens n’est donc pas suffisamment protégé, d’autant que le chèque

deviendra sans valeur après un an et huit jours773. Du côté de la Caisse des dépôts, la solution

n’est pas non plus admissible : son rôle est de recevoir des sommes d’argent et non des chèques, des unités monétaires et non des instruments monétaires774. L’établissement ne doit

pas être confondu avec les Archives nationales ! Au rebours de l’arrêt ici étudié, il faut donc considérer que la consignation ne peut se faire, lorsqu’elle porte sur une somme d’argent, que via le transfert des fonds à la Caisse des dépôts elle-même, ces fonds étant entendus en tant qu’unités monétaires. La consignation peut certes se faire par chèque, mais uniquement à l’ordre de la Caisse des dépôts. Il faut interpréter strictement le domaine du monopole et refuser que la consignation des autres biens que les sommes d’argent et les titres financiers soient confiés à la Caisse.

344. Tiers envisageables. Il convient d’identifier un tiers obéissant à la triple exigence de

compétence quant à l’activité conservatoire, de sécurité de l’objet et de gratuité. Peu avant la Révolution et avant la création de la Caisse des dépôts, Necker s’interrogeait ainsi sur la possibilité de confier les consignations de sommes d’argent aux Monts-de-Piété : « un dépositaire qui ne prête que sur gages et sous l’inspection des magistrats, est sûrement le

769 La loi ne le prévoit que pour l’endossement (CMF, art. L. 131-20) mais la solution est aujourd’hui certaine.

Très clairement en ce sens, Com., 18 déc. 1990, n° 89-12.532, Bull. civ. IV, n° 7 : « le transfert de la provision

est réalisé par l’émission du chèque consistant à la fois en sa création et en sa mise en circulation ». En

doctrine, R. BONHOMME, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, Manuel, 12e éd., 2017, n° 317 s. ;

P. LE CANNU, T. GRANIER, R. ROUTIER, Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit, Titrisation,

Dalloz, Précis, 8e éd., 2010, n° 105 ; S. PIÉDELIÈVRE, Instruments de crédit et de paiement, Dalloz, Cours, 10e éd., 2018, n° 370 s. ; J. STOUFFLET, Instruments de paiement et de crédit, Effets de commerce - Chèque - Carte de paiement - Transfert de fonds, LexisNexis, Manuel, 8e éd., 2012, n° 234 s.

770 P. DELEBECQUE, obs. sous Civ. 1re, 10 févr. 1998, Defrénois 1998. 735. 771 J. MESTRE, obs. sous Civ. 1re, 10 févr. 1998, RTD civ. 1998. 907.

772 P. LE CANNU, T. GRANIER, R. ROUTIER, Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit, Titrisation, op. cit., n° 106, p. 78.

773 CMF, art. L. 131-32 (le chèque doit être présenté dans les huit jours de l’émission) ; art. L. 131-35 (le tiré doit

payer même après expiration du délai de présentation) ; art. L. 131-59, al. 2 (ce paiement se fait toutefois dans la limite d’un délai de prescription d’un an).

774 Cf. R. LIBCHABER, Recherches sur la monnaie en droit privé, op. cit., n° 85 et n° 96 s. : l’auteur indique que

plus solide de tous »775. Il serait envisageable de confier les consignations non monétaires à

leurs successeurs que sont les Caisses de crédit municipal. Toutefois, outre la limitation de la mission de ces Caisses aux « biens mobiliers corporels »776, empêchant de les nommer

consignataires des immeubles, leur conservation est généralement pensée à court terme, puisque le prêt accordé en contrepartie du gage « ne peut excéder deux ans »777.

345. Il est alors tentant de se tourner vers un établissement public à caractère administratif

dont la mission habituelle est de conservation des objets : l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Cet établissement a été créé en 2011 et ses missions sont déterminées par les articles 706-159 et suivants du Code de procédure pénale. Cette agence est notamment chargée de « la gestion de tous les biens, quelle que soit leur nature, saisis, confisqués ou faisant l’objet d’une mesure conservatoire au cours d’une procédure pénale, qui lui sont confiés et qui nécessitent, pour leur conservation ou leur valorisation, des actes d’administration »778. Cette agence est en relation directe avec la

Caisse des dépôts : les sommes saisies sont gérées par l’agence mais inscrites sur un compte ouvert auprès de la Caisse779. L’AGRASC fait ainsi figure de consignataire institutionnel en

matière pénale. Mais sa mission ne saurait être étendue hors du procès pénal, puisque, précisément, l’objectif de cette agence est d’assurer « la gestion centralisée de toutes les sommes saisies lors de procédures pénales »780, non en dehors de ces procédures. Il convient

de désigner un tiers en charge de toutes les consignations, quitte à ce qu’il fonctionne sur le même modèle que l’AGRASC.

346. France Domaine, DIE et DNID. Le tiers institutionnel pourrait être une autorité

administrative, ce à quoi le droit civil n’est pas hermétique. Ainsi, en cas de vacance dans une succession, l’article 809-1, alinéa 1er, du Code civil prévoit que le juge « confie la curatelle de la succession vacante […] à l’autorité administrative chargée du domaine », devenue France Domaine en 2006. Ce curateur est chargé de posséder les biens et d’administrer la succession, pouvant même exploiter les entreprises qui en relèvent781. La proximité avec la consignation

775 J. NECKER, Compte rendu au Roi, Paris, Imprimerie royale, 1781, p. 93. 776 CMF, art. D. 514-1, al. 1er. 777 CMF, art. D. 514-7. 778 CPP, art. 706-160, al. 1er, 1°. 779 L. n° 2013-1117 du 6 déc. 2013, art. 24, al. 2. 780 CPP, art. 706-160, al. 1er, 2°. 781 C. civ., art. 810.

est certaine : les sommes perçues dans le cadre de la gestion doivent ainsi être consignées782.

D’ailleurs, en cas d’objet non réclamés par les patients des hôpitaux, l’article L. 1113-7 du Code de la santé publique prévoit que s’il s’agit de sommes d’argent ou de « valeurs mobilières », elles sont versées à la Caisse des dépôts, tandis que « les autres biens mobiliers » sont confiés « à l’administration chargée des domaines à fin d’être mis en vente ». De plus, le rattachement de France Domaine à la Direction générale des finances publiques renforçait la proximité avec la consignation, puisque cette Direction était également le canal par lequel passait la Caisse des dépôts et consignations pour administrer les consignations sur l’ensemble du territoire national783.

347. L’usage du passé, à propos de France Domaine, est toutefois nécessaire aujourd’hui :

un arrêté du 19 septembre 2016 a créé la Direction de l’immobilier de l’État (DIE), modifiant l’arrêté du 3 avril 2008 portant organisation de la direction générale des finances publiques. Cette réforme d’ampleur, transformant le simple « service » des Domaines en « direction », réorganise l’administration en matière de politique immobilière de l’État784. L’une des

conséquences de cette réorganisation est un régime différencié quant aux meubles et aux immeubles : contrairement aux Domaines, qui étaient chargés de la gestion de tous les types des biens, la DIE n’est compétente que pour les immeubles. Plus précisément, la Direction nationale d’interventions domaniales (DNID) est chargée des missions opérationnelles en matière immobilière (travaux, inventaire, publicité) tandis que la DIE est chargée de définir la politique et les stratégies de l’État en matière immobilière ; en matière mobilière, en revanche, la DNID est seule compétente, ce qui « aboutit à une configuration étrange, dans laquelle un service opérationnel intervient sous la supervision d’une direction qui n’est plus compétente »785. De même, la DNID se partage avec les Directions régionales des finances

publiques la gestion des successions en déshérence786, ce qui n’est pas sans susciter des

difficultés de détermination des compétences de chaque administration.

348. Cette distinction entre meubles et immeubles n’est guère satisfaisante, a fortiori à

l’étude de la consignation. L’organisation classique de France Domaine, lorsque le Service

782 C. civ., art. 810, al. 3 et al. 4.

783 Sur les préposés comptables du Trésor en Province, J.-F. BOUDET, La Caisse des dépôts et consignations, Histoire, statut, fonction, op. cit.,, p. 91 s.

784 Sur cette réorganisation, C. CHAMARD-HEIM et P. YOLKA, « Immobilier de l’État : la “longue marche” (du

service des Domaines à la DIE) », JCP Adm. 2016. Actu. 797.

785 Ibid. 786 Ibid.

était chargé de la gestion des meubles comme des immeubles, était plus claire. Cela étant, cette administration semble parfaitement apte à recevoir les consignation : d’ailleurs, c’est elle qui reçoit « les biens placés sous séquestre en application d’une mesure de sûreté générale »787, ce séquestre particulier correspondant à celui des biens appartenant à des

ennemis de la France788. La sécurité de la chose serait assurée : sans doute le serait-elle

également entre les mains d’une personne privée mais, quand la personne privée n’est garantie que par une assurance, du reste facultative, un service relevant de l’État bénéficie de la garantie de ce dernier. À supposer donc que la restitution du bien ne soit pas faite en nature, il y a une possibilité absolue, sauf faillite de l’État, de restitution en valeur.

349. Il serait donc opportun de désigner la Direction de l’immobilier de l’État comme

consignataire institutionnel pour les biens autres que les sommes d’argent, sous réserve de clarifier le Service spécifiquement chargé de recevoir les consignations mobilières. Il serait même envisageable de créer un Service spécialement dédié aux consignations, mobilières comme immobilières, avec obligation pour ce Service, lorsque des fonds sont perçus à l’occasion de l’administration des biens consignés, de consigner ces sommes sur un compte ouvert à la Caisse des dépôts. Cela permettrait d’assurer l’impartialité du tiers consignataire et la sécurité de l’objet tout en évitant que la mesure présente un coût pour les parties789.

* * *

350. Conclusion de chapitre. Toute consignation passe par l’entiercement de l’objet, ce

qui implique, déjà, la soustraction de l’objet consigné des mains des intéressés. Cette soustraction suppose que le retrait des mains des intéressés soit matériel et non simplement

787 Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, t. 2, Droit administratif des biens, LGDJ, 15e éd., 2014, n° 50-4. 788 Le premier texte en la matière est une L. du 5 oct. 1940 confiant à l’administration de l’enregistrement

l’administration et la liquidation des biens mis sous séquestre en conséquence d’une mesure de sûreté générale, entérinée après la Libération par l’Ord. n° 45-165 du 2 févr. 1945. Sur cette figure particulière du séquestre, F.- J. PANSIER, v° « Séquestre », art. préc., n° 46 s. Il est intéressant de noter qu’en la matière, le Tribunal des conflits a décidé que les biens allemands n’avaient pas la nature de biens immobiliers de l’État, ce dernier n’en étant pas propriétaire (TC, 12 déc. 2011, n° 3816, AJDA 2012. 510).

789 Si ce choix n’était pas fait et qu’une privatisation était organisée (ce qui serait évidemment coûteux pour les

parties), il faudrait prévoir une forme de contrôle prudentiel pour encadrer l’activité de consignataire. Les consignations de sommes d’argent pourraient par exemple être confiés aux personnes relevant du monopole bancaire (sur lequel v. not. M. ROUSSILLE, « Que reste-t-il du monopole bancaire ? » in Mélanges AEDBF- France, t. VI, Revue Banque Édition, 2013, p. 607 s.) et celles d’autres biens à des professions habituées à la

conservation (administrateurs et mandataires judiciaires, notaires, avocats, huissiers, etc.). Mais, encore une fois, une telle évolution n’apparaît pas souhaitable.

juridique, tout usage contraire devant être condamné : la consignation est plus qu’une simple indisponibilité. Ce retrait de la chose doit également être irrévocable, sans quoi la consignation manquerait à sa fonction de protection.

351. L’entiercement implique également que l’objet consigné soit remis à un tiers. Encore

faut-il que le tiers consignataire soit digne de confiance : c’est pourquoi un monopole a été posé en matière de consignations de sommes d’argent et de titres financiers, lesquels doivent être confiés à la Caisse des dépôts et consignations. Il est en revanche regrettable qu’aucune règle équivalente ne soit prévue pour les autres biens : le législateur pourrait désigner, en qualité de consignataire institutionnel, la Direction de l’immobilier de l’État.

352. Si l’entiercement implique donc une véritable remise de l’objet, un passage matériel

d’une personne à une autre, il faut aller plus loin. Derrière le terme « remise » se profile l’idée d’abandon790 : l’entiercement n’implique pas seulement la dépossession mais aussi la

désappropriation de l’objet consigné.

790 Étymologiquement, remettre vient du latin « remittere », qui signifier renvoyer, relâcher, abandonner,

concéder, laisser (Le Grand Robert de la langue française, v° « Remettre »). L’idée d’abandon transparaît d’ailleurs dans certaines utilisations du terme « remise », notamment en droit : la remise de dette et la remise de peine sont autant de renonciations. Sur ces questions, J. LE BOURG, La remise de la chose, op. cit., n° 1 et n° 96.

353. L’entiercement de l’objet consigné ne consiste pas dans une simple dépossession

matérielle de l’objet. Il ne s’agit pas de considérer que l’entiercement est juridique et non matériel, car la protection de l’objet en pâtirait791 : l’entiercement est toujours matériel mais se

prolonge de conséquences juridiques renforcées. Il faut en effet considérer que, tant que la mesure est justifiée, la chose consignée est sans propriétaire. La mission du consignataire est de conserver une chose qui n’appartient à personne dans l’immédiat. Le propos peut étonner et la règle doit être justifiée, avant d’en tirer les conséquences de régime. Il convient donc de vérifier le principe de la désappropriation (section 1) avant d’en étudier la portée (section 2).

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