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La propriété utilisée à titre de garantie

Dans le document La consignation (Page 189-200)

TITRE DEUXIÈME : UN ENTIERCEMENT

SECTION 1 : LE PRINCIPE DE LA DÉSAPPROPRIATION

A. L A PROPRIÉTÉ DU CONSIGNATEUR

2) La propriété utilisée à titre de garantie

381. Transformation de la propriété ? Le droit des biens est, depuis plusieurs années, le

lieu d’apparition de nombreux mécanismes qui en contredisent les principes de façon plus ou moins marquée, suscitant de réelles difficultés d’analyse. Sans doute les textes n’ont-ils guère évolué mais « le droit des biens a changé »855. Même la propriété, « mécanisme fondamental du droit »856, a été profondément retouchée.

382. L’utilisation de la propriété à titre de garantie est l’une des grandes (r)évolutions en

droit des biens. La clause de réserve de propriété, reconnue par le législateur en 1980857 et

régie depuis 2006 par les articles 2367 du Code civil, la cession Dailly consacrée en 1981858 et

régie par les articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier, puis la fiducie, consacrée en 2007859 et régie par les articles 2011 et suivants, 2372-1 et suivants et 2488-1 et

suivants du Code civil, ont suscité et suscitent encore d’importants débats relatifs à la possibilité d’utiliser la propriété comme moyen de garantir la bonne exécution par le débiteur de ses obligations.

383. Réserve de « propriété » ? La consécration de la clause de réserve de propriété a

emporté la satisfaction d’une partie de la doctrine. Monsieur Michel Cabrillac860 et Madame

Françoise Pérochon861 ont ainsi défendu que la propriété pouvait être accessoire sans être

dénaturée. Monsieur Pierre Crocq a défendu dans sa thèse la compatibilité de la propriété avec la fonction de garantie862. Admise à jouer un tel rôle, la propriété serait, en somme, la

« nouvelle reine des sûretés » 863.

855 R. BOFFA et P. CHAUVIRÉ, « Le changement en droit des biens », RDA, n° 10, févr. 2015, p. 67 s. 856 F. ZÉNATI, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », art. préc.

857 L. n° 80-335 du 12 mai 1980 relative aux effets de la clause de réserve de propriété dans les contrats de vente. 858 L. n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises.

859 L. n° 2007-211 du 19 févr. 2007 instituant la fiducie.

860 M. CABRILLAC, « Les accessoires de la créance », in Études dédiées à Alex Weill, Dalloz-Litec, 1983,

p. 107 s., n° 11 s.

861 F. PÉROCHON, La réserve de propriété dans la vente de meubles corporels, avant-propos J. M. MOUSSERON,

préf. F. DERRIDA, Litec, Bibl. dr. entrep., t. 21, 1988, n° 141 s.

862 P. CROCQ, Propriété et garantie, op. cit., Partie I. Adde L. BOUGEROL-PRUDHOMME, Exclusivité et garanties de paiement, préf. P. CROCQ, LGDJ, Bibl. dr. priv., t. 538, 2012, n° 242 s.

863 A. CERLES, « La propriété, nouvelle reine des sûretés ? », in Mélanges en l’honneur de Michel Vasseur,

384. Mais cette « reine » n’est-elle pas plutôt un usurpateur qui a pris son titre pour régner

sur les garanties réelles ? Les débats en la matière sont nombreux864. Certains auteurs doutent

que la « propriété » utilisée à titre de garantie soit toujours « la » propriété. Monsieur Philippe Malaurie parle ainsi, en matière de clause de réserve de propriété, de « quasi-propriété »865 ;

Madame Saint-Alary-Houin souligne la « singulière situation que celle de cet acquéreur non propriétaire » : « simple détenteur au regard de nos catégories, son droit n’est pas entaché de précarité… Dénué en droit d’animus domini, il exerce cependant le corpus avec l’intention de devenir propriétaire et la simple détention constitue un préalable à l’appropriation… » 866.

385. « Propriété » fiduciaire ? La question est la même avec la fiducie, dans laquelle il y

aurait transfert au fiduciaire d’une propriété. Monsieur Claude Witz a ainsi pu définir la fiducie comme le « contrat par lequel une personne aliène à une autre un bien corporel ou incorporel dans le but de garantir une créance, à charge pour l’acquéreur de retransférer en principe ce bien, lorsque la garantie n’a plus lieu de jouer »867. Pour Monsieur Pierre Crocq,

le créancier (que ce soit en fiducie ou en présence d’une clause de réserve de propriété) serait le véritable propriétaire mais souscrirait des obligations à l’égard du débiteur868.

386. Nombre d’auteurs se refusent toutefois à considérer que la propriété n’est pas affectée

par son utilisation à fin de garantie. Mouly soulignait ainsi que « la propriété utilisée comme garantie est un concept différent de celui de la propriété utilisée aux fins habituelles de jouissance complète »869. Pour « sauver » la qualification de propriété, la doctrine en est venue

à proposer une « dissociation de la propriété en une propriété de la valeur et une propriété

864 D’autant que les débats sur le terrain du droit des biens se doublent d’un débat en droit des obligations. Sur

l’analyse de la clause en tant que modalité de l’obligation de transférer la propriété : J. GHESTIN, « Réflexions d’un civiliste sur la clause de réserve de propriété », D. 1981. Chron. 1, n° 15 (retenant la qualification de terme) ; A. GHOZI, « Nature juridique et transmissibilité de la clause de réserve de propriété », D. 1986.

Chron. 317, spéc. I (y voyant une condition) ; F. PÉROCHON, La réserve de propriété dans la vente de meubles corporels, op. cit., n° 49 s. (considérant que cela dépend des situations et de la volonté des parties, le terme ou la

condition étant en toute hypothèse à effet suspensif). Pour la dénaturation par une cour d’appel ayant retenu la qualification de « condition résolutoire », Com., 20 nov. 1979, n° 77-15.978. Comp. C. civ., art. 2367, al. 1er : la

clause « suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation ».

865 P. MALAURIE, « Rapport de synthèse », in Faut-il retarder le transfert de propriété ?, JCP E 1995, n° 46,

p. 47.

866 C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Réflexions sur le transfert différé de la propriété immobilière », in Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz-Sirey, 1985, p. 733 s., n° 33.

867 C. WITZ, La fiducie en droit privé français, op. cit., n° 151 (nous soulignons). 868 P. CROCQ, Propriété et garantie, op. cit., n° 103 s.

869 C. MOULY, « Procédures collectives : assainir le régime des sûretés », in Aspects actuels du droit commercial français, Études dédiées à René Roblot, LGDJ, 1984, p. 529 s., n° 34.

des utilités matérielles »870 ; il n’y aurait « plus dans le Code civil une propriété, mais des propriétés »871 : « la nouvelle “propriété fiduciaire”, telle qu’elle est présentée par le législateur, n’est pour le moins pas un facteur d’unité mais plutôt un facteur d’éclatement de la propriété »872. La constitution de la fiducie n’emporterait « pas à proprement parler transport du droit » mais « transmutation de celui-ci »873. Pour Monsieur Michel Grimaldi, le

fiduciaire aurait une sorte de « propriété-pouvoirs » quand le bénéficiaire ou le fiduciant aurait la « propriété-richesse »874.

387. Critique de la qualification de « propriété ». La « propriété » réservée et la

« propriété » fiduciaire sont-elles vraiment des propriétés ? Il est en possible d’en douter, à la suite de la très convaincante démonstration menée par Monsieur Charles Gijsbers dans sa thèse, soulignant l’ « irréductibilité de la propriété-sureté au droit de propriété »875.

388. L’auteur, après avoir rappelé que l’exclusivité est une composante de la propriété876,

plus précisément la « face externe » de ce droit, constate que cette exclusivité n’est pas transposable à l’hypothèse de la propriété-sûreté. Affirmer que l’exclusivité de la propriété est une fin en soi, détachée de la face interne du droit de propriété, « revient à présenter les propriétés-sûretés sous le jour d’une propriété qui n’aurait plus que sa carapace, d’une armure sans corps, d’un contenant sans contenu, d’une coquille vide »877. Dans la sûreté-

propriété, le pouvoir d’exclusion des tiers est la seule chose qui importe : « l’exclusivité n’est pas seulement en périphérie du droit, elle n’est pas son enveloppe protectrice, mais apparaît comme son contenu, comme sa face interne. Elle n’est plus cette “muraille” censée protéger la liberté d’action du propriétaire sur le bien (liberté d’action qui fait défaut au créancier)

870 C. GIJSBERS, Sûretés réelles et droit des biens, op. cit., n° 91 (l’auteur critiquant cette conception).

871 R. BOFFA et P. CHAUVIRÉ, « Le changement en droit des biens », art. préc., n° 13. Les auteurs résument le

propos par l’équation « 544 + 2011= 2 propriétés ».

872 B. MALLET-BRICOUT, « Fiducie et propriété », art. préc., p. 325.

873 J. LE BOURG, La remise de la chose, op. cit., n° 58. Comp. G. BLANLUET, Essai sur la notion de propriété économique en droit privé français, Recherches au confluent du droit fiscal et du droit civil, préf. P. CATALA et M. COZIAN, LGDJ, Bibl. dr. priv., t. 313, 1999, n° 317.

874 M. GRIMALDI, « La fiducie : réflexions sur l’institution et sur l’avant-projet de loi qui la consacre », Defrénois 1991. 898, n° 18. Adde F. BARRIÈRE, La réception du trust au travers de la fiducie, op. cit., n° 420 s. Comp. A. BÉNABENT, « La fiducie (analyse d’un projet de loi lacunaire) », JCP N 1993. 275, n° 4 (distinguant la

« propriété-fonction » du fiduciaire et la « propriété-actif »).

875 C. GIJSBERS, Sûretés réelles et droit des biens, op. cit., n° 76 s. et n° 161 s.

876 Dans le même sens, M. LEVIS, L’opposabilité du droit réel, De la sanction judiciaire des droits,

préf. P. RAYNAUD, Economica, Droit Civil, Études et Recherches, 1989, n° 12.

mais joue au contraire comme une prérogative substantielle dont le créancier usera contre les tiers susceptibles de menacer son complet paiement »878.

389. En résumé, « le vendeur réservataire ou le banquier fiduciaire n’invoque pas ce pouvoir d’exclusion à la manière d’un vrai propriétaire qui chercherait à protéger sa jouissance plénière du bien, mais à la manière d’un créancier qui tente d’obtenir par ce biais un paiement prioritaire contre ses rivaux sur un élément de richesse de leur débiteur commun »879. En somme, si les propriétés-sûretés sont effectivement des sûretés, elles ne sont

pas des propriétés. Le créancier réservataire et le créancier fiduciaire-bénéficiaire ne sont pas propriétaires de l’objet vendu ou mis en fiducie. C’est qu’en réalité, le débiteur est le véritable propriétaire du bien, ce qui se justifie par la vocation qu’implique la propriété.

390. Propriété et vocation. À considérer que la propriété se caractérise par la vocation du

propriétaire à recouvrer, à terme, les utilités de la chose880, il semble que, dans le cadre des

propriétés-sûretés, le débiteur soit le véritable propriétaire. Il pourrait être proposé de distinguer selon que l’obligation garantie a in fine été exécutée ou non : si oui, le débiteur est considéré comme propriétaire, si non, la propriété est acquise au créancier. Mais cette seconde hypothèse implique corrélativement l’extinction de la dette du débiteur : ce dernier profite de la réalisation de la sûreté puisque sa dette disparaît à hauteur de la valeur du bien. Le créancier obtient quant à lui, via la réalisation de la sûreté, une satisfaction mais dans la seule limite de ce qui lui est dû : si la valeur du bien excède le montant de la dette garantie, il doit reverser au débiteur une « somme égale à la différence entre cette valeur et le montant de la dette »881. Car le créancier ne doit pas « s’enrichir par le biais de l’exécution de sa sûreté »882.

391. À quitter le terrain des seules sûretés pour s’intéresser à la fiducie-gestion ou à la

fiducie-libéralité (même si cette dernière est prohibée par l’article 2013 du Code civil), la propriété doit être reconnue au constituant. Le rapport privilégié du constituant à l’objet placé en fiducie résulte clairement de l’article 2025, alinéa 2, du Code civil qui dispose qu’ « en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage

878 C. GIJSBERS, Sûretés réelles et droit des biens, op. cit., n° 177. 879 C. GIJSBERS, Sûretés réelles et droit des biens, op. cit., n° 179. 880 Cf. supra n° 377 s.

881 C. civ., art. 2372-4, al. 1er (fiducie mobilière), 2488-4, al. 1er (fiducie immobilière) et 2371, al. 3 (clause de

réserve de propriété).

commun [des créanciers de la fiducie], sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire ».

392. Ce texte, s’il prive tout de même la fiducie d’une partie de son intérêt au regard de la

séparation patrimoniale qu’elle est supposée permettre, se comprend : la fiducie sert au premier chef l’intérêt du constituant. Sans doute le bénéficiaire peut-il être un tiers ou encore le fiduciaire, selon l’article 2016, mais cela profite toujours au constituant : si le bien est transmis à un tiers, cela ne se fait que contre l’extinction d’une dette du constituant à l’égard du bénéficiaire ou moyennant rémunération883. Sans doute la propriété du bien pourrait-elle in fine être acquise à un tiers mais seulement en raison d’une contrepartie bénéficiant au constituant. Tant que la désignation n’a pas été faite, le constituant doit être considéré comme le propriétaire, comme tout propriétaire tant qu’il n’a pas décidé de céder son bien. Dès lors que l’on sait où le droit « finira par arriver », il faut probablement considérer qu’il n’y a pas de doute : le constituant est toujours propriétaire884. Ainsi, la conception retenue de la

propriété ne paraît pas remise en cause par la consécration des mécanismes fiduciaires.

B.L

A DÉSAPPROPRIATION JUSTIFIÉE PAR LA POTENTIALITÉ

393. Concurrence impossible de propriétés. Dans son étude consacrée à la propriété,

Vareilles-Sommières constatait la parfaite compatibilité entre la propriété et les droits réels démembrés, indiquant par contre qu’ « il y a un droit, un seul, avec lequel le droit de propriété est inconciliable sur une même chose : c’est un autre droit de propriété »885. Le

verdict est sans appel : « deux droits de propriété ne peuvent pas coexister sur une chose »886.

En effet, l’admission de cette situation entraînerait « ou bien l’inertie absolue des droits rivaux ou bien au contraire leur lutte sans fin et sans trêve, en tout cas une situation qui n’a de nom dans aucune langue, pour cette bonne raison qu’elle n’existe et ne peut exister nulle

883 Si la fiducie-libéralité était consacrée en droit français, l’absence de contrepartie ne serait admise qu’en raison

de l’existence d’une intention libérale (sur laquelle, P. MALAURIE et C. BRENNER, Droit des successions et des libéralités, op. cit., n° 313).

884 Contra N. THOMASSIN, De la propriété, Contribution à une théorie générale, op. cit., n° 139 : « la fiducie- gestion de l’article 2011 du Code civil plonge la propriété dans un trou noir juridique : on sait d’où vient le droit fiducié et où il finira par arriver… mais le doute entoure sa titularité tant que le contrat est en cours ».

Comp. B. MALLET-BRICOUT, « Fiducie et propriété », art. préc., n° 18, spéc. p. 313-314 qui évoque la possibilité d’envisager que « le droit de propriété existe à l’état latent durant l’exécution du contrat de fiducie, droit en

sommeil, potentiellement rattaché au bénéficiaire ou au constituant selon les hypothèses ».

885 G. DE VAREILLES-SOMMIÈRES, « La définition et la notion juridique de la propriété », art. préc., n° 52. 886 Ibid.

part »887. Sans doute l’auteur évoque-t-il la possibilité pour « plusieurs personnes » d’avoir

une chance « d’avoir le droit de propriété sur la chose » mais l’auteur indique qu’ « une seule à la fois peut avoir le droit » : plusieurs personnes peuvent certes être « propriétaires sous condition » mais une seule peut être le propriétaire plein et entier888.

394. Précisément, dans la consignation, il pourrait être tentant de considérer que le

consignateur comme le bénéficiaire sont tous deux propriétaires de l’objet : puisque le consignataire détient pour le compte de qui il appartiendra889, pourquoi ne pas reconnaître la

qualité de propriétaire au consignateur comme au bénéficiaire ? La solution peut ne pas satisfaire. Après tout, il peut arriver que le bénéficiaire ne soit pas identifié : tout débiteur d’une lettre de change peut ainsi consigner le montant de la lettre le jour de l’échéance ou dans les deux jours ouvrables qui suivent à défaut de présentation de le lettre de change au paiement890, la consignation étant notamment justifiée, précisément, par l’impossibilité

d’identifier le bénéficiaire. Surtout, les intéressés à la consignation n’ont qu’un droit potentiel, qui est incompatible avec la qualification de propriété.

395. Le potentiel chasse la propriété. Comme cela a été développé, la consignation a

pour raison d’être la protection d’un droit potentiel sur l’objet : plusieurs personnes ont potentiellement droit d’obtenir l’attribution de la chose, cette concurrence de prétentions au même objet justifiant que ce dernier soit remis à un tiers891. En somme, si la vocation suffit à

identifier le propriétaire, la consignation est mise en place en raison, précisément, de l’incertitude sur l’identité du titulaire légitime de cette vocation.

396. L’identification de la personne ayant vocation légitime aux utilités de la chose est en

effet impossible. Le consignataire se contente de détenir la chose d’autrui : s’il venait à se

887 Ibid.

888 G. DE VAREILLES-SOMMIÈRES, « La définition et la notion juridique de la propriété », art. préc., n° 54. Sans

doute existe-t-il des hypothèses d’indivision (C. civ., art. 815 s.) et de copropriété (L. n° 65-557 du 10 juill. 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis), mais la théorie de la juxtaposition des propriétés individuelles parfaites en matière de copropriété a vécu (F. TERRÉ et P. SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., n° 619 s.), les réformes successives de l’indivision ayant considérablement éloigné le régime applicable de celui de la propriété individuelle. Il n’est que de songer à la diminution progressive de l’unanimité : chaque atteinte à la règle de l’unanimité marque un recul de la propriété individuelle dans le cadre de ces institutions (un « propriétaire » pouvant se voir imposer de plus en plus d’actes sur « son » bien).

889 Cf. infra n° 667 s. 890 C. com., art. L. 511-30. 891 Cf. supra n° 120 s.

comporter en était propriétaire, il serait passible des peines de l’abus de confiance892. Lui

reconnaître la qualité de propriétaire irait contre la réalité de l’opération. Il ne serait pas plus satisfaisant de considérer que l’une ou l’autre des parties intéressées à la consignation est propriétaire : aucune ne peut, tant que la situation à l’origine de la consignation se maintient, affirmer avec certitude qu’elle a vocation à recevoir l’objet.

397. Le parallèle entre la situation à l’origine de la consignation et l’expérience de pensée

d’Erwin Schrödinger a déjà été fait893 : tout comme le chat dans sa boîte peut être vivant ou

mort, sans certitude tant que la boîte n’est pas ouverte, le consignateur ou le bénéficiaire est propriétaire, sans certitude tant que la mesure de consignation est justifiée. Dès lors, puisqu’il est impossible pour la propriété d’être concurrencée par une autre propriété, mieux vaut conclure à l’absence de droit de propriété bénéficiant à quiconque.

398. Aussi bien, il est impossible de vérifier les caractères de la propriété relativement à

l’objet consigné. En effet, comme cela a été rappelé, la propriété en France est un droit absolu, perpétuel et exclusif894. Or, en matière de consignation, nul ne peut prétendre à la

plénitude des utilités de la chose : c’est même tout le contraire, nul ne peut disposer de l’objet, le consignataire étant simplement chargé de le conserver. Quant à la perpétuité, elle est écartée par l’existence d’une règle de prescription extinctive frappant la demande de restitution de l’objet consigné895. Quant à l’exclusivité, la concurrence des droits sur l’objet

l’empêche précisément d’être assurée, d’où l’idée de désappropriation qu’il est ici proposé de retenir. Consignation et propriété semblent ainsi parfaitement incompatibles.

399. Certains auteurs l’ont bien senti, en affirmant que la propriété de l’objet ne revient ni

au séquestre, ni au potentiel créancier, ni au potentiel débiteur : « en définitive, tout se passe comme si les biens ou fonds séquestrés se trouvaient hors tout patrimoine et si le séquestre créait une sorte de patrimoine d’affectation temporaire échappant aux trois parties » 896.

Consignation et séquestre se confondant897, l’analyse peut être étendue à la consignation.

892 Cf. infra n° 655 s. 893 Cf. supra n° 127 s. 894 Cf. supra n° 376. 895 Cf. infra n° 409 s.

896 A. BÉNABENT, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., n° 802, spéc. p. 535. Adde : J.-

D. PELLIER, v° « Séquestre – Sources et régime », art. préc. n° 34.

Simplement, puisque la théorie du patrimoine-but n’a jamais été consacrée en droit français898

et que propriété et patrimoine semblent intimement liés, il est possible de se contenter de ce que l’objet consigné est désapproprié, hors de tout patrimoine.

400. Entre abandon et privation. Dès lors que l’objet consigné est désapproprié, cela

implique que l’action de consigner soit analysée en un mécanisme de perte de propriété. Le débiteur se libère par exemple en renonçant à la chose, le possesseur actuel de la chose peut s’en trouver privé et le candidat à telle profession réglementée offrira une chose en garantie, délaissant la propriété de cette chose.

401. Lorsque la consignation est volontaire, elle implique non seulement la perte du corpus

possessoire mais aussi la disparition de l’animus sur cet objet : le possesseur actuel souhaite effectivement se débarasser de la chose pour obtenir un avantage spécifique. Cette perte des

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