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DÉCOUVERTE PREMIÈRE PARTIE

I. LES PATHOLOGIES DE L’HÉMOSTASE PRIMAIRE

3. LES THROMBOPÉNIES CONSTITUTIONNELLES

3.1. Généralités

Les thrombopénies acquises telles que les purpuras thrombopéniques immunologiques ou idiopathiques (PTI) sont beaucoup plus fréquentes que les thrombopénies constitutionnelles ou génétiques. En effet, ces dernières sont des entités rares et hétérogènes mais certainement sous-diagnostiquées car souvent étiquetées thrombopénies auto-immunes. Ce sont des thrombopénies chroniques définies par un taux de plaquettes inférieur à 150 G/l. Une vingtaine de gènes ont été décrits comme responsables de ces thrombopénies. Leur

diagnostic précis est nécessaire car elles n’ont pas toutes le même pronostic, certaines pouvant notamment se compliquer d’hémopathies. Dans un premier temps, il est important de réunir un faisceau d’arguments orientant vers l’origine constitutionnelle : l’existence dès l’enfance de la thrombopénie et d’autres cas dans la famille constitue un argument fort. La deuxième difficulté est d’orienter l’étude génétique permettant de poser un diagnostic précis. Les variantes à l’origine de ces thrombopénies agissent à des phases distinctes de la mégacaryocytopoïèse et entraînent des thrombopénies aux caractéristiques différentes[41] Les signes cliniques hémorragiques seront présents ou absents suivant qu’une thrombopathie est associée ou non. II n’y a pas de proportionnalité entre l’intensité de la thrombopénie et la présence de signes hémorragiques. La notion de dissociation clinique entre l’importance des signes hémorragiques et le taux de plaquettes, c’est-à-dire une symptomatologie hémorragique marquée avec un taux de plaquettes modérément abaisse, doit faire rechercher une anomalie de fonction surajoutée.

3.2. La Classification

Plus de 20 gènes ont été décrits comme responsables de thrombopénies constitutionnelles (Tableau 5 ci-dessous). Le mode de transmission peut être lié à l’X, autosomique dominant ou autosomique récessif (homozygote ou hétérozygote composite). Les formes à transmission autosomique récessive sont très souvent liées à un contexte de consanguinité. La classification la plus répandue des thrombopénies constitutionnelles est celle basée sur la taille plaquettaire évaluée par la mesure du volume plaquettaire moyen (VPM) par les automates ou la mesure de la taille des plaquettes en microscopie sur frottis sanguin coloré au May-Grünwald-Giemsa (tableau 6 ci-dessous). On distingue trois groupes : le groupe 1 avec des macroplaquettes ou des plaquettes géantes (taille entre 4 et 8 µm ou > 8 µm respectivement), le groupe 2 avec des plaquettes de taille normale (entre 4 et 8 µm) et le groupe 3 avec des plaquettes de petite taille (< 4 µm).D’autres classifications prennent en considération la présence ou non de manifestations extra-hématologiques (thrombopénies syndromiques), et puis d’autres en fonction du niveau d’atteinte de la mégacaryocytopoièse[42].

Tableau 5 : Thrombopénies constitutionnelles. Classification en fonction de l’anomalie génétique [41]

Tableau 6 : Principales thrombopénies constitutionnelles. Classification en fonction de la taille des plaquettes et du caractère isolé ou syndromique[42].

syndrome MYH9, de transmission autosomique dominante, conséquence de mutations localisées sur le gène Myosine heavy chain MYH9, gène découvert en 2000. Ce groupe de thrombopénies constitutionnelles avec macroplaquettes et plaquettes géantes associées à des inclusions leucocytaires ou pseudocorps de Döhle comprend les syndromes de May-Hegglin, de Fechtner, d’Epstein, de Sebastian, et le syndrome « Alport-like » avec macrothrombocytopénie regroupés dans une même entité. Les anomalies caractéristiques de ces syndromes ont d’abord été rapportées par May (en 1909) et Hegglin (en 1945) puis les différents syndromes associés ont été décrits successivement par Epstein (en 1972), Fechtner (en 1985) et Sebastian (en 1990). Ces entités présentent des signes cliniques variés mais sont toutes associées à la présence d’une macrothrombopénie (20–120 G/L). Les signes hémorragiques sont inconstants, habituellement modérés, surtout provoqués lors de traumatismes ou d’interventions chirurgicales. Dans certains cas les hémorragies sont plus sévères. Les syndromes de May-Hegglin et de Sebastian sont caractérisés exclusivement par la présence d’inclusions leucocytaires de différentes tailles appelées corps de Döhle alors que les syndromes d’Epstein et de Fechtner associent aux corps de Döhle la présence d’une surdité, d’une néphrite et/ou d’une cataracte.[43]

3.3. A propos d’un cas de la littérature :[44]

Une jeune fille âgée de 15 ans, d’origine comorienne, est hospitalisée dans le service pour une fièvre à 38,7 °C associée à une éruption cutanée évocatrice de varicelle. Elle séjourne en France depuis deux ans et ne rapporte aucun antécédent médical ou chirurgical particulier. Une thrombopénie à 20 G/l est détectée lors d’un hémogramme réalisé avant l’admission par son médecin traitant. Elle n’avait jamais eu d’analyse sanguine auparavant. Le tableau clinique à l’admission retrouve des lésions cutanées diffuses, vésiculeuses typiques d’une varicelle. Les lésions n’ont pas de caractère hémorragique et il n’existe pas de purpura. La patiente ne signale par ailleurs aucune hémorragie extériorisée. Devant une dyspnée et une toux, la radiographie thoracique confirme l’existence d’un syndrome interstitiel évocateur de pneumopathie varicelleuse. Il n’existe pas d’hépatosplénomégalie.

Le bilan biologique constate : hémoglobine 11,7 g/dl, leucocytes 3,73 G/l avec 1,19 G/l polynucléaires neutrophiles et 2,35 G/l lymphocytes. Le chiffre des plaquettes est à 17 G/l avec un volume plaquettaire moyen (VPM) à 20,2 fl. L’analyse cytologique du frottis

sanguin confirme la présence de macroplaquettes et détecte aussi des pseudocorps de Döhle dans le cytoplasme des polynucléaires neutrophiles. Le bilan auto-immun met en évidence des anticorps antinucléaires (titre 1/400 d’aspect moucheté sans spécificité) sans anti-DNA natifs. La créatinine sérique est normale et la recherche d’une protéinurie des 24 heures négative. Les tests de Coombs érythrocytaire et la recherche d’anticorps antiplaquettes par la technique du MAIPA (monoclonal antibody specific immobilization of platelets antigen) sont négatifs. Le diagnostic retenu est celui d’une thrombopénie à plaquettes géantes dans le cadre d’une maladie de May-Hegglin, découverte fortuitement lors d’une varicelle. Cette jeune patiente n’a jamais présenté de manifestations hémorragiques malgré un taux de plaquettes stable oscillant entre 30 et 14 G/l.

Fig15 : Pseudocorps de Döhle (B) [44] 3.4. Démarche diagnostique

Les thrombopénies constitutionnelles ou héréditaires ont longtemps fait partie de groupe d’affections hématologiques méconnues, réservées aux spécialistes et aux fondamentalistes dont la thématique de recherche était la mégacaryocytopoièse. Cependant, la pratique systématique de la numération plaquettaire, et donc l’augmentation de détection en fréquence de ces anomalies, ont impliqué le biologiste plus activement dans le rôle d’orientation diagnostique en cas de thrombopénie dont l’étiologie et les mécanismes n’apparaissent pas identifiables. Aujourd’hui et grâce aux données cliniques, aux aspects biologiques et aux connaissances actuelles moléculaires et génétiques en matière de thrombopénies constitutionnelles, l’approche diagnostique à ce groupe de pathologies est plus facile et mieux établie.

La découverte d’une thrombopénie isolée, sans anémie ni leucopénie, et sans syndrome tumoral, évoque le plus souvent chez l’enfant le diagnostic de purpura thrombopénique immunologique (PTI). Nonobstant dans certains cas, il faut savoir évoquer d’autres diagnostics tels qu’une hypoplasie médullaire idiopathique ou constitutionnelle (anémie de Fanconi, dyskératose congénitale), une myélodysplasie ou une thrombopénie d’origine génétique. De même, devant certaines thrombopénies prolongées dans le temps, il faut savoir remettre en question le diagnostic souvent posé de PTI persistant ou chronique et évoquer l’hypothèse d’une thrombopénie constitutionnelle. Une thrombopénie chez l’enfant reste définie par un chiffre de plaquettes inférieur à 150 G/L, les valeurs normales avant l’âge de 15 ans se situent pour 95 % des enfants entre 165 G/L et 473 G/L avec une valeur médiane à 299 G/L[45].

Les principaux éléments cliniques qui doivent évoquer, chez l’enfant, la possibilité d’une thrombopénie constitutionnelle sont les suivants :

• Des antécédents familiaux de thrombopénie et/ou de manifestations hémorragiques, d’hémopathie myéloïde et/ou de myélodysplasie ;

• Des anomalies cliniques associées, morphologiques ou fonctionnelles : syndrome dysmorphique, fente vélopalatine, eczéma, anomalies osseuses, malformations, infections à répétition, troubles auditifs, ophtalmologiques, rénaux, en sachant que certains de ces signes peuvent apparaître secondairement;

• Un syndrome hémorragique plus sévère que ne le laisserait prévoir le nombre de plaquettes évoquant une thrombopathie associée ;

• L’absence de modification ou une remontée faible du nombre de plaquettes après traitement, par gammaglobulines ou corticoïdes, dans l’hypothèse d’un PTI.[46]

Sur le plan hématologique, la découverte d’une thrombopénie impose de vérifier les autres paramètres de l’hémogramme : volume plaquettaire (en sachant que le résultat de l’automate est une moyenne), leucocytose, aspect des polynucléaires neutrophiles, et formule sanguine, taux d’hémoglobine, volume globulaire moyen, absence de schizocytes et de cellules anormales. Il faut également regarder la morphologie plaquettaire sur le frottis sanguin.

Il peut exister des anomalies de la morphologie (inclusions intraplaquettaires, couleur des plaquettes) ou de la taille des plaquettes (macrocytaires ou microcytaires), ou la présence d’inclusions intraleucocytaires (pseudo-corps de Dohle).

Toute thrombopénie « atypique » ou prolongée justifie un bilan simple comportant : • Une numération plaquettaire des parents ;

• Une recherche d’autoanticorps sériques ou fixés à la surface des plaquettes (MAIPA) (surtout si la thrombopénie est modérée) ;

• Un dosage du facteur Willebrand antigène et du cofacteur de la ristocétine dans l’hypothèse d’une maladie de Willebrand de type 2B ;

• Un myélogramme doit être discuté.

Ce bilan peut être complété en fonction du contexte clinique et hématologique, par :

• Une étude des fonctions plaquettaires à la recherche d’une thrombopathie associée. • L’étude biochimique des glycoprotéines de membrane plaquettaire, ou de constituants intracytoplasmiques (protéine WASP) ou granulaires (fibrinogène, facteur Willebrand). L’analyse par immunofluorescence de la distribution de la myosine intraplaquettaire et leucocytaire.

• Un caryotype, avec technique d’hybridation in situ fluorescence (FISH), voire une analyse par CGH array ;

• Et surtout, une analyse moléculaire génétique en fonction des orientations cliniques et hématologiques avec l’étude des gènes connus et identifiés actuellement dans des entités cliniques syndromiques bien individualisées : GPIb (BSS), WAS, MYH9, c-Mpl, AML-1, GATA1, FlI-1[47].