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DÉCOUVERTE PREMIÈRE PARTIE

I. LES PATHOLOGIES DE L’HÉMOSTASE PRIMAIRE

2. LES THROMBOPATHIES CONSTITUTIONNELLES

Les thrombopathies constitutionnelles représentent un groupe de pathologies très hétérogènes, rares, dont la fréquence est estimée à 1/10.000 individus en France. Elles sont dues à des anomalies génétiques affectant l’expression ou la fonctionnalité des glycoprotéines (GP) impliquées dans les différentes étapes de l’activation des plaquettes (sécrétion, adhésion, agrégation, activité pro coagulante)[14]. Les thrombopathies que nous allons aborder en raison de leur gravité et de leur fréquence sont celles impliquant deux complexes protéiques majeur, les complexes GPIIbIIIa et GPIb-IX-V.

2.1. La thrombasthénie de Glanzmann

2.1.1. Historique

La thrombasthénie de Glanzmann a été découverte en 1918, à Berne, en Suisse, par un pédiatre du nom d’Édouard Glanzmann. Les enfants atteints de cette maladie provenaient tous d’un petit village, appelé Le Valais, situé en altitude dans les Alpes suisses. Dans ce village, les mariages entre proches étaient fréquents. Glanzmann décrivit un nouveau type de purpura, différent du purpura anaphylactoïde et de la maladie de Wehrlof, un purpura avec une numération plaquettaire normale et un temps de saignement allongé. Cette nouvelle maladie fut nommée

«thrombopathie hémorragique héréditaire» ou «maladie des bleus»[25].

Fig11 : Portrait d’Edouard Glanzmann

En 1956, Braunsteiner et Pakesch passèrent en revue les troubles de la fonction plaquettaire et décrivirent cette thrombopathie comme une maladie héréditaire caractérisée par des plaquettes de taille normale et un temps de saignement allongé et une étude de rétraction du caillot altérée. Les caractéristiques diagnostiques de la TG, y compris l’absence d’agrégation plaquettaire comme caractéristique principale, ont été clairement établies en 1964 dans le rapport d’une étude faite sur 15 patients français de Caen et al[25].

L’importance historique de cette maladie rare réside dans le fait que l’analyse de sa physiopathologie a permis le développement de médicaments antiplaquettaires.

2.1.2. Définition

La thrombasthénie de Glanzmann (TG) est une maladie hémorragique héréditaire de transmission autosomique récessive (dans la majorité des cas), liée à une anomalie quantitative

ou qualitative du récepteur membranaire plaquettaire αIIbβ3 (GPIIbIIIa), impliqué dans l’agrégation des plaquettes, induisant un trouble de l’hémostase primaire[26]

Il s’agit d’une maladie rare qui touche environ 500 patients en France, toutefois elle est relativement fréquente dans certaines régions du globe où les mariages consanguins sont communs telle la population gitane[28]. Certaines régions du Maroc figurent parmi les foyers géographiques de la TG[28].

Il existe plusieurs types de TG : les types I, II et les variants. Les types I et II présentent des anomalies quantitatives du récepteur αIIbβ3 (GPIIb-IIIa) : dans le type I, le déficit est majeur et le récepteur est absent ou n’est présent qu’à l’état de traces (< 5 %) ; dans le type II, le taux résiduel est de l’ordre de 5 à 20 %. Les variants sont des anomalies qualitatives du récepteur, présent à des taux proches de la normale.

2.1.3. Le diagnostic positif

L’examen clinique soigneux s’attachera à caractériser le type d’atteinte cutanéomuqueuse, l’existence de signes évocateurs d’une affection associée et/ou d’une atteinte organique induisant une pathologie acquise de l’hémostase. L’interrogatoire orienté devra caractériser le type de manifestation hémorragique, sa nature et sa fréquence, déterminer le mécanisme spontané ou provoqué, apprécier la sévérité du syndrome hémorragique et le retentissement global de cette atteinte de l’hémostase. Stéréotypé et informatif, cet interrogatoire devra aussi relever les antécédents chirurgicaux et médicaux, l’histoire clinique personnelle et familiale, les traitements récents ou non, et même établir un arbre généalogique et l’existence d’une éventuelle consanguinité.

Biologiquement la Thrombasthénie de Glanzmann est facile à diagnostiquer :

-La numération plaquettaire : Dans la Thrombasthénie de Glanzmann le nombre de plaquettes est normal. Cette méthode est un examen de première intention devant tout désordre hémorragique. Elle reflète l’équilibre entre la production au niveau de la moelle osseuse et la destruction périphérique. Le taux physiologique est compris entre 150 à 400 G/L.

-Le temps de saignement est allongé TS > 20min [29]. Plusieurs techniques ont été utilisées mais la technique d’Ivy incision est considérée comme la technique de référence. Avant toute pratique d’un TS, l’interrogatoire doit rechercher la prise de salicylés ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, qui allongent le TS par l’inhibition pharmacologique des fonctions plaquettaires.[30]

- Le temps d’occlusion : L’utilisation in-vitro du platelet function analyseur (PFA-100) est proposée pour remplacer la réalisation d’un TS dans le diagnostic des troubles de l’hémostase [31]. Le PFA-100 se révèle être un excellent outil de diagnostic grâce à sa grande sensibilité de détection des dysfonctionnements plaquettaires.

Fig12 : Platelet function analyser

- L’agrégation plaquettaire : L’agrégation plaquettaire est nulle [29]. Les tests d’agrégation sont réalisés en première intention avec un plasma riche en plaquettes préparé par centrifugation lente de sang total anticoagulé. Le sang total est recueilli sur citrate, dans les conditions habituelles pour les études de la coagulation. On utilise pour stimuler l’agrégation plaquettaire, des inducteurs physiologiques tels que l’ADP, le collagène, l’acide arachidonique, l’adrénaline, la thrombine. Quel que soit l’inducteur utilisé, les plaquettes ne s’agrègent pas entre elles. La Ristocétine, qui n’est pas un activateur plaquettaire physiologique, provoque l’agglutination des plaquettes par la fixation du facteur Von Willebrand plasmatique à la Gp Ib plaquettaire. L’absence d’agrégation quel que soit l’inducteur, mais avec persistance d’un

changement de forme et d’une agglutination en présence de Ristocétine est très évocatrice d’une thrombasthénie de Glanzmann.[30]

Fig13 : Aspect d’une TG sur un test fonctionnel plaquettaire [28]

Fig14 : Quatre hématologistes au congrès de Buffalo (1949) de gauche à droite: Jean-Pierre Soulier, Marcel Bessis, Jean Bernard, Jean Dausset (DR)

2.2. Le syndrome de Bernard-soulier

2.2.1. Historique:[32]

Le syndrome de Bernard-Soulier a été découvert en 1948 par deux hématologues français : Jean Bernard et Jean-Pierre Soulier. Ils publièrent un article dans le numéro du 28 décembre 1948

de La Semaine des hôpitaux, intitulé : «Sur une nouvelle variété de dystrophie thrombocytaire hémorragipare congénitale». Cette publication rapportait le cas d’un jeune garçon affecté

dès le début de sa vie par une diathèse hémorragique dont la sœur aînée était elle-même décédée par une hémorragie mortelle. Les plaquettes de cet enfant étaient géantes et le temps de saignement allongé. Une nouvelle maladie venait d’être reconnue. Son étude pendant plusieurs décennies allait se montrer particulièrement fructueuse pour la compréhension des modalités de mise en œuvre des glycoprotéines de membrane dans l’activation des plaquettes et pour l’exploration des mécanismes complexes de l’interaction des plaquettes avec les endothéliums vasculaires lésés. Le syndrome était rare mais sa découverte d’importance. La place de cette première description est aujourd’hui universellement reconnue sous le nom de « syndrome de Bernard-Soulier » (BSS pour les Anglo-Saxons), honorant ainsi le nom de ses découvreurs, et soulignant une des nombreuses contributions françaises aux progrès dans ce domaine. Ce syndrome continue à être au centre de nombreux travaux sur la glycoprotéine Ib-IX, que l’on sut, une trentaine d’années plus tard, être le chaînon défaillant dans cette maladie. Le flambeau de l’étude des plaquettes, de leurs fonctions et de leurs interactions avec les endothéliums vasculaires fut ensuite repris par Jacques Caen et son équipe et porté au niveau de reconnaissance médicale et scientifique internationale.

2.2.2. Définition

Le syndrome de Bernard Soulier est une maladie hémorragique héréditaire autosomique récessive caractérisée par des plaquettes géantes, une numération plaquettaire normale ou une thrombopénie habituellement modérée, un temps de saignement allongé et une absence d’agglutination à la Ristocétine.Les plaquettes des patients BSS présentent généralement un défaut d’expression en surface de la glycoprotéine Ib-IX-V, un complexe de signalisation et d’adhérence spécifique des plaquettes, composé de disulfure de GPIba lié à GPIbβ et associé de manière non covalente à GPIX et à GPV[33]. C’est une maladie rare. La prévalence est inférieure à un par million d’habitants dans les populations les plus étudiées : Europe, Amérique du nord et Japon, mais semble sous-estimée. En effet, de 1948 à 1998, seulement 88 cas ont été décrits dans la littérature[34].

2.2.3. Le diagnostic positif

La thrombopénie est variable dans le SBS et le nombre de plaquettes varie généralement entre moins de 30 et 200 × 103 /μL. Le temps de saignement est d’ordinaire nettement prolongée[35]. L’évaluation du frottis sanguin périphérique révélera des plaquettes de grande taille; généralement plus du tiers des plaquettes ont environ la moitié de la taille d’un globule rouge (3,5 μm), et certaines plaquettes sont aussi grosses ou plus grosses qu’un lymphocyte[36].

Les échantillons de biopsie de moelle osseuse présentent un nombre normal de mégacaryocytes sans anomalies morphologiques significatives. Des tests modernes de la fonction plaquettaire, tels que le PFA-100, peuvent être utiles pour identifier des troubles plaquettaires qualitatifs tels que le SBS, mais avec une sensibilité variable, en fonction de la gravité du défaut. Actuellement, leur utilisation est limitée au dépistage d’un dysfonctionnement plaquettaire, et des tests supplémentaires, tels que l’agrégométrie ou la cytométrie en flux, sont nécessaires pour confirmation[37]. Les études d’agrégation plaquettaire in vitro montrent de manière caractéristique un échec d’agrégation avec la Ristocétine et une réponse lente avec de faibles doses de thrombine. Cette absence d’agrégation ne peut pas être corrigée par l’ajout de plasma normal, ce qui distingue le SBS de la maladie de Von Willebrand. Les plaquettes montrent une agrégation normale avec l’épinéphrine, l’adénosine diphosphate, le collagène et l’acide arachidonique[36].

La cytométrie en flux peut être utilisée pour confirmer les défauts du complexe GPIb-IX-V par des anticorps dirigés contre l’antigène CD42b de l’antigène plaquettaire de surface, révélant une réduction ou un déficit sévère de GPIba. Les autres antigènes plaquettaires, CD41 (GPIIb) et CD61 (GPIIIa), sont normaux.

La cause de la thrombocytopénie dans le SBS est inconnue, et des études préliminaires ont suggéré une diminution de la survie plaquettaire. Cependant, une étude ultérieure utilisant des plaquettes marquées à la 111-oxyde d’indium montre une diminution faible ou nulle de la durée de survie des plaquettes, suggérant une thrombopoïèse inefficace ou en diminution [38], [39].

2.3. Les autres thrombopathies:[40]

Il existe d’autres types d’anomalies héréditaires touchant la fonction plaquettaire, nous citons :

- Maladie de von Willebrand de type plaquettaire : gain de fonction de la glycoprotéine Ib-IX-V.

- Anomalies des récepteurs agonistes des plaquettes : les mutations rares du récepteur de l’ADP, P2Y12 et du récepteur de la TxA2.

- Anomalies de la sécrétion plaquettaire :

_ Delta-granules (déficit en pool de stockage , syndrome de Hermansky – Pudlak, syndrome de Chediak – Higashi, thrombocytopénie avec syndrome des rayons absents)

_ Alpha-granules (syndrome des plaquettes grises, maladie des plaquettes du Québéc, Syndrome de Paris – Trousseau – Jacob)

_ Granules alpha et delta. - Syndrome de Wiskott – Aldrich - Thrombocytopénie liée à l’X

- Anomalies des phospholipides membranaires - Syndrome de Scott

- Syndrome de Stormorken

- Anomalies des voies de transduction du signal;