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Chapitre 1 – Introduction à l’objet de l’étude, l’autonomie des vêtements connectés

2 Thermoélectricité

2.1 Ressources et principe d’exploitation

Le corps humain est une source naturelle et constante de chaleur : sa température est globalement régulée à 𝑇𝑐 = 37°C. Lorsque l’air ambiant est plus froid, par exemple à 𝑇𝑎= 20°C, la différence de température induit un flux de chaleur, d’une puissance surfacique que l’on peut estimer par la formule :

Ps= h(Tc− Ta) (1-4)

Avec un coefficient de transfert thermique d’environ 8 W/m²/°C pour la peau [34], on peut déterminer la puissance thermique dissipée pour différentes températures ambiantes : 30 mW/cm² (à 0°C), 13.6 mW/cm² (à 20°C), 5.6 mW/cm² (à 30°C). L’abondance de cette source d’énergie est donc dépendante des circonstances thermiques, mais également de la zone du corps. En effet, la température de la peau n’est pas uniforme, et dépend elle-même des conditions extérieures [35]

(FIGURE 1-7a).

(a) (b)

FIGURE 1-7(a) Dépendance de la température de la peau au niveau du front, du poignet et du bout des doigts à la température de l’air ambiant [35]. (b) Schéma d’un thermocouple [34].

La thermoélectricité est un phénomène par lequel un gradient de température peut être converti directement en énergie électrique. Plus précisément, l’effet Seebeck (du nom du physicien qui en fit le premier l’expérience en 1822) décrit l’apparition d’un champ électrique 𝐸⃗ 𝑠 (V/m) à la jonction d’un couple de matériaux soumis à un gradient de température⃗⃗⃗ 𝑇, suivant la relation :

Es

⃗⃗⃗⃗ = s ∇⃗⃗⃗ T (1-5)

avec 𝑠 le coefficient de Seebeck. (Ce phénomène étant réversible, il existe son réciproque, nommé effet Peltier, selon lequel un flux thermique peut être induit par un courant électrique traversant le couple de matériaux).

La structure de base appliquant l’effet Seebeck pour la conversion de l’énergie thermique en énergie électrique est le thermocouple. Il est formé de l’association en série de deux

semi-Tc Tf

I > 0 Charge

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conducteurs, de types p et n, compris entre deux jonctions, l’une en contact avec la source chaude et l’autre avec la source froide (FIGURE 1-7b). Suivant le dopage du semi-conducteur, celui-ci possède un coefficient de Seebeck positif (pour le type p) ou négatif (pour le type n). Les porteurs de charges (respectivement, trous et électrons) diffusent de la source chaude vers la source froide, entraînant l’apparition de la tension électrique aux bornes de la structure. La mise en série de plusieurs thermocouples dans un module thermoélectrique (ou thermopile) permet d’additionner les tensions produites.

La performance d’un matériau thermoélectrique est généralement évaluée dans la littérature par le biais d’une figure de mérite, le produit adimensionnel 𝑍𝑇̃ tel que :

Z =ρλs2 (1-6)

𝜌 et 𝜆 sont respectivement la résistivité électrique et la conductivité thermique du matériau, et : T̃ =Tchaud+ Tfroid

2 (1-7)

Plus ce critère 𝑍𝑇̃ est élevé, meilleure est l’efficacité de la conversion thermoélectrique. Aux températures de l’environnement humain, les matériaux les plus performants aujourd’hui (tel le tellure de bismuth Bi2Te3) ont un 𝑍𝑇̃ proche de 1.

2.2 Convertisseurs thermoélectriques sur la personne

Une application « portée » emblématique est la montre Thermo développée par Seiko dès 1999.

Composé de plus d’un millier de thermocouples, le générateur thermoélectrique intégré rend le fonctionnement de la montre complètement autonome, ce qui correspond à une puissance électrique de quelques µW [36].

L’IMEC (Belgique) a travaillé sur la génération thermoélectrique sur la personne depuis les années 2000, dans une optique d’alimentation de systèmes électroniques de santé, comme des capteurs biologiques communicants [21,35]. Les premières études ont concerné un système porté au poignet [37], formé de plusieurs modules thermoélectriques achetés dans le commerce et produisant environ 100µW (FIGURE 1-8a). Des versions améliorées ont été développées par la suite [38], diminuant l’épaisseur du système global pour aboutir à des dimensions proches d’une montre classique (FIGURE 1-8b), et générant (en intérieur) quelques 200 - 300µW. Des systèmes portés autour de la tête ont également été étudiés à l’IMEC, composés de plusieurs modules thermoélectriques. Un premier prototype [21] récupère le flux de chaleur au niveau du front, au moyen de 10 modules fixés à une bande élastique (FIGURE 1-8c). Le générateur est associé à une électronique de gestion et alimente un système d’électroencéphalogramme (EEG) avec module de transmission sans fil, d’une consommation moyenne d’environ 0.8mW. Pour une température ambiante de 23°C, une puissance électrique moyenne d’environ 2mW (soit 31µW/cm²) est générée, ce qui permet de couvrir les besoins de l’application. Lorsque la température ambiante est trop faible (dès 19°C), le flux thermique augmente (du fait du gradient de température plus grand entre la peau et l’air), et le dispositif provoque une sensation de froid au niveau du contact. Ce dispositif est conçu pour fonctionner à des températures ambiantes entre 21 et 26°C, plage sur laquelle le confort thermique de l’utilisateur est respecté.

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(a) (b) (c) (d)

FIGURE 1-8Travaux réalisé à l’IMEC sur les générateurs thermoélectriques pour la personne.

(a) & (b) Systèmes portés au poignet [37][38]. (c) & (d) Dispositifs portés sur le front, seuls ou superposés à des modules photovoltaïques, pour l’alimentation d’un système électroencéphalogramme [21].

En effet, l’exploitation du corps humain comme source de chaleur présente des contraintes en termes de santé et de confort. Dans l’exemple de la tête, qui est très régulée en température, le drain excessif de cette énergie thermique par un convertisseur thermoélectrique peut entraîner un refroidissement dangereux pour les zones du cerveau proches. Il y a donc une limite de sécurité biologique au niveau de la source, et de façon plus générale une limite de confort quant à la sensation de froid conséquente au prélèvement de cette énergie thermique.

Pour prendre en compte cette contrainte de confort, et pallier les limites qu’elle impose aux performances du générateur thermoélectrique en particulier à basses températures ambiantes, une solution possible est d’utiliser un système hybride associant des convertisseurs thermoélectriques, pertinents aux températures régulées d’intérieur, et photovoltaïques pour les conditions d’extérieur, avec des températures plus variables mais une illumination propice à cette transduction. Un prototype réalisé sur ce principe à l’IMEC (FIGURE 1-8d) produit 1 mW dans la plupart des circonstances, ce qui reste suffisant pour l’application d’EEG visée.

L’intégration dans un vêtement de cette association thermoélectrique/photovoltaïque a également été réalisée [26], mais les deux types de transducteurs sont ici séparés (FIGURE 1-9a). Les générateurs chargent une batterie secondaire, qui alimente un système d’électrocardiogramme (ECG) intégré dans une chemise, d’une consommation de 0.5 mW. 14 modules thermoélectriques (épaisseur 6.5 mm, surface 3 x 4 cm²) sont intégrés sur le devant de la chemise, et produisent (en intérieur, à 23°C) une puissance de 1mW quand la personne est au repos, et 3 mW lors de la marche (soit une densité surfacique de puissance variant de 6 à 18µW/cm²).

(a) (b) (c)

FIGURE 1-9(a) Modules thermoélectriques et photovoltaïques portés sur une chemise (IMEC) [26]. (b) Bande flexible avec 11 thermocouples [39]. (c) Principes de textile thermoélectrique [40]

La flexibilité des générateurs est un sujet de recherche important aujourd’hui. La difficulté consiste notamment à produire des structures suffisamment fines pour obtenir un comportement flexible. Néanmoins, la différence de température entre les deux faces des thermogénérateurs décroit avec la réduction de l’épaisseur du système, réduisant la puissance électrique produite. Il est

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par conséquent difficile de concilier les deux objectifs. Retenons par exemple un prototype récent [39], comportant 11 thermocouples sur un substrat flexible d’environ 5cm². Au contact de la peau (FIGURE 1-9b), il produit à température ambiante de 19°C une puissance électrique de 3µW (soit 0.6 µW/cm²). Quelques efforts ont également porté sur l’adaptation au format textile [40], par l’utilisation de fibres tissées couvertes d’une couche de matériau thermoélectrique (FIGURE 1-9c), avec des performances encore insuffisantes pour notre application : seulement 62µW/cm² mesuré pour un 𝛥𝑇=55°C. La puissance dépendant quadratiquement de la valeur du gradient de température, on peut envisager une densité de puissance d’environ 2µW/cm² pour un 𝛥𝑇 de l’ordre de 10°C.

2.3 Conclusion sur l’énergie thermoélectrique

A l’instar de l’option photovoltaïque, la récupération thermoélectrique pour des applications portées par un utilisateur est très dépendante des conditions environnementales, tant dans ses performances (faibles à « hautes » températures ambiantes, et au mieux de quelques dizaines de µW/cm² à 20°C) que dans son confort d’utilisation. Sur ce dernier point, les études menées jusqu’à présent semblent indiquer que cette option ne peut être viable qu’avec des contextes de températures modérées (donc notamment en intérieur), ce qui restreint son champ d’application.

Le coût assez élevé des matériaux thermoélectriques ajouté aux éléments précédents amène à la conclusion que ce mode de transduction semble difficilement envisageable comme solution d’alimentation du vêtement connecté au vu des besoins et contraintes de celui-ci.