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Un circuit passif d’auto-polarisation : le « doubleur de Bennet »

Chapitre 5 – Systèmes triboélectriques à polarisation contrôlée

2 Un circuit passif d’auto-polarisation : le « doubleur de Bennet »

La méthode d’auto-polarisation décrite au paragraphe précédent nécessite un processus de prélèvement/injection de charges électriques dans la capacité variable. Plusieurs circuits électroniques actifs ont été étudiés dans la littérature pour réaliser cette fonction [170–174]. Citons par exemple les travaux de G. Despesse [173], dans lesquels est proposé un circuit basé sur un convertisseur Flyback bidirectionnel contrôlé à partir de la détection des extrema de capacité. La nécessité d’utiliser des éléments de détection et de contrôle pour la phase de polarisation est un inconvénient pour la réalisation d’un circuit autonome, car ils impliquent une consommation d’énergie non négligeable et une complexité électronique plus ou moins importante. A partir des années 2010, un type de circuit alternatif, complètement passif, a commencé à être étudié. Il est basé sur le principe d’une pompe de charge actionnée mécaniquement proposée au XVIIIe siècle, désigné aujourd’hui dans la littérature comme étant le « doubleur de Bennet ».

2.1 Histoire : le doubleur de tension de Bennet

En 1787, Abraham Bennet et Richard Kaye présentent une méthode de mesure de charges électrostatiques réduites [175]. Elle s’appuie sur le principe de la pompe de charges, avec un fonctionnement cyclique en deux phases (FIGURE 5-4). A l’issue de chaque cycle, les charges électriques portées par les électrodes sont doublées, le but étant d’augmenter la charge électrique portée par l’électrode de mesure (chargée initialement) suffisamment pour la rendre détectable par un électroscope.

FIGURE 5-4Principe du doubleur de Bennet original (d’après [176]).

Cette méthode a été adaptée en version électronique pour la génération d’énergie par De Queiroz et al. en 2010 [176], circuit ensuite étudié et employé dans plusieurs travaux sur les récupérateurs d’énergie électrostatiques [177–182], avec un intérêt croissant du fait des rendements atteignables importants (jusqu’à 75 %, d’après [182]) et de la simplicité de sa mise en œuvre. En particulier, son caractère passif est très appréciable dans le domaine de la récupération d’énergie.

2.2 Doubleur de Bennet électronique

Le doubleur de Bennet a été traduit en circuit électronique suivant plusieurs variantes et représentations [176,178,183]. Nous considérons ici la représentation « série-parallèle » proposée

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dans [183], dans sa configuration la plus simple (FIGURE 5-5a). Ce circuit associe une capacité variable 𝐶𝑣𝑎𝑟à deux capacités constantes 𝐶1, 𝐶2 ainsi que trois diodes 𝐷𝑠, 𝐷𝑝1 et 𝐷𝑝2.

Pour illustrer le fonctionnement de ce circuit, un exemple a été simulé à partir du module Simscape de Matlab. Les composants sont ici supposés parfaits (aucun courant de fuite, seuils des diodes négligés). Pour cet exemple, on a considéré une variation de 𝐶𝑣𝑎𝑟 entre 𝐶𝑚𝑖𝑛= 0.5nF et 𝐶𝑚𝑎𝑥 = 5nF (𝛾 = 10), avec une fréquence de cycle de 1Hz (la forme de la variation temporelle de 𝐶𝑣𝑎𝑟 est semblable à FIGURE 5-3a). Au point de départ, 𝐶𝑣𝑎𝑟= 𝐶𝑚𝑎𝑥, et sa tension initiale est fixée à 𝑈𝑣𝑎𝑟(0) = 20V. Les deux capacités fixes 𝐶1= 10nF, 𝐶2= 20nF sont initialement déchargées (𝑈1(0) = 𝑈2(0) = 0). L’évolution des tensions aux bornes des différentes capacités correspondant à cette configuration est donné FIGURE 5-5b, ainsi que le détail d’un seul cycle (i.e.

cycle de variation de 𝐶𝑣𝑎𝑟) FIGURE 5-5c. Les étapes de ce cycle typique sont les suivantes :

- Initialement (point 1, FIGURE 5-5c), 𝐶𝑣𝑎𝑟= 𝐶𝑚𝑎𝑥. Le circuit est à un équilibre résultant du cycle précédent (𝑈𝑣𝑎𝑟= 𝑈1 = 𝑈2). Immédiatement après le départ, toutes les diodes sont à l’état bloqué.

- La capacité variable décroît de 𝐶𝑚𝑎𝑥 à 𝐶𝑚𝑖𝑛(1→3) : cette phase de « génération » correspond à l’accroissement de l’énergie électrostatique emmagasinée dans le système. Deux parties peuvent être distinguées dans cette phase :

o De 1 à 2, toutes les diodes sont à l’état bloqué : la décroissance de 𝐶𝑣𝑎𝑟 s’opère à charge constante (circuit ouvert), et sa tension 𝑈𝑣𝑎𝑟 augmente rapidement.

o Le point d’inflexion 2 correspond à l’instant où 𝑈𝑣𝑎𝑟= 𝑈1+ 𝑈2. La diode 𝐷𝑠 devient passante : les trois capacités sont alors en configuration série (FIGURE 5-5e). De 2 à 3, 𝐶𝑣𝑎𝑟 poursuit sa décroissance jusqu’à 𝐶𝑚𝑖𝑛, et ce qui se traduit par la croissance des tensions 𝑈𝑣𝑎𝑟, 𝑈1et 𝑈2 (toujours avec 𝑈𝑣𝑎𝑟 = 𝑈1+ 𝑈2dans cette configuration série).

Les capacités 𝐶1 et 𝐶2 sont ainsi chargées par le condensateur variable, par un déplacement de charges électriques représenté par le courant 𝑖 sur la FIGURE 5-5e.

- La deuxième partie du cycle (3→6) correspond à la croissance de la capacité variable 𝐶𝑣𝑎𝑟

(𝐶𝑚𝑖𝑛 𝐶𝑚𝑎𝑥). Durant cette phase de « polarisation », la tension 𝑈𝑣𝑎𝑟 décroît.

Immédiatement après le début de cette phase, 𝑈𝑣𝑎𝑟 < 𝑈1+ 𝑈2, la diode 𝐷𝑠 repasse donc à l’état bloqué. Deux situations se succèdent :

o De 3 à 4, toutes les diodes sont à l’état bloqué : la croissance de 𝐶𝑣𝑎𝑟 s’effectue à configuration parallèle se traduit par un transfert de charges électriques de la capacité fixe 𝐶1(puis 𝐶1et 𝐶2) vers le condensateur variable, qui est ainsi « polarisé » (FIGURE

5-5f).

- Dans la situation finale 6, qui est le début du cycle suivant, 𝐶𝑣𝑎𝑟= 𝐶𝑚𝑎𝑥et 𝑈𝑣𝑎𝑟 = 𝑈1= 𝑈2 à nouveau. Ces tensions sont cependant supérieures à celle de départ : l’énergie électrostatique dans le système s’est accrue au cours du cycle.

131 (a)

(b)

(c) (d)

(e) (f)

FIGURE 5-5Fonctionnement du « doubleur de Bennet » électronique, avec une capacité variable 𝐶𝑣𝑎𝑟 et deux capacités constantes 𝐶1 et 𝐶2. (b) Exemple de courbe de croissance des tensions aux bornes des trois capacités du système. (c) Détail de l’évolution des tensions au cours d’un cycle de variation capacitive 𝐶𝑚𝑎𝑥(point 𝟏) 𝐶𝑚𝑖𝑛(point 𝟑) 𝐶𝑚𝑎𝑥(point 𝟔). (e) Diagramme Q-V de la capacité variable (𝑄𝑣𝑎𝑟= 𝐶𝑣𝑎𝑟𝑈𝑣𝑎𝑟), relatif à ce même cycle. (e) Configuration « série » prise par le circuit durant la partie 𝟐 𝟑 de la phase de « génération » (décroissance 𝐶𝑚𝑎𝑥 𝐶𝑚𝑖𝑛 de la capacité variable). (f) Configuration « parallèle » prise par le circuit durant les parties 𝟒 𝟓 (𝑖1> 0, 𝑖2= 0) puis 𝟓 𝟔 (𝑖1 > 0, 𝑖2> 0) et de la phase de « polarisation » (croissance 𝐶𝑚𝑖𝑛 𝐶𝑚𝑎𝑥 de la capacité variable).

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Cet accroissement de l’énergie est la conséquence de l’asymétrie des configurations « série » et

« parallèle » prises par le système lors de la décroissance et la croissance de la capacité variable, respectivement. Il est possible de visualiser cet effet par le tracé du diagramme Q-V [184] (charge-tension) de la capacité variable pendant un cycle considéré (FIGURE 5-5d). L’aire pseudo-rectangulaire que fait apparaître ce diagramme Q-V correspond à l’énergie générée au cours du cycle. Celle-ci incrémente l’énergie emmagasinée dans le système complet, ce qui se traduit par l’augmentation observée des tensions des condensateurs d’un cycle au suivant.

A l’instar de son modèle historique, ce « doubleur de Bennet » électronique permet donc d’augmenter de l’énergie électrostatique par des cycles successifs, c’est-à-dire de réaliser la fonction d’auto-polarisation telle que définie précédemment (extraction-réinjection de l’énergie de la capacité variable). Il est utile de préciser que les tensions ne sont pas nécessairement « doublées » d’un cycle à l’autre, bien que ce type de circuit soit souvent désigné par « doubleur de Bennet » en référence à son origine. Comme illustré FIGURE 5-5b, la croissance des tensions obtenue (et donc de l’énergie totale) est exponentielle. De ce fait, le circuit ayant un fonctionnement totalement passif, il doit être adapté pour son application à la récupération d’énergie pour contrôler les tensions et éviter que celles-ci ne dérivent indéfiniment (ou plus vraisemblablement jusqu’à la rupture d’un ou plusieurs composants) ; par exemple en lui ajoutant un circuit d’extraction d’énergie (voir ci-après).