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Théoriser le passage à l‟acte délinquant : Gary S Becker et la récidive 78

Chapitre 1. “Help wanted!” : Des rôles possibles de l’économiste dans le débat public

1) Théoriser le passage à l‟acte délinquant : Gary S Becker et la récidive 78

La recherche en économie commence à s‟intéresser à la criminalité dans les années 1960, sous l‟impulsion notable de l‟école de Chicago et en particulier de Gary S. Becker. Cette mouvance cherche à appliquer des approches micro-économiques à un ensemble de phénomènes sociaux, comme les choix familiaux, dans une perspective opérationnelle. Ces travaux sont « fort nombreux quoique souvent répétitifs » (Robert 1984b, p. 123) et apportent un regard nouveau sur la délinquance. En effet, ils ne considèrent plus les personnes qui transgressent la loi comme fondamentalement différentes de celles qui ne le font pas, mais expliquent les comportements criminels par un ensemble d‟incitations dans un contexte de maximisation d‟utilité (a). Par extension, ces modèles peuvent aider à mieux comprendre les effets potentiels des aménagements de peine par rapport à l‟incarcération sur la récidive ; nous construisons ici une telle analyse pour montrer que les alternatives à la prison peuvent ne pas être uniformément bénéfiques (b).

a) Les modèles « beckeriens » : un comportement rationnel soumis à des incitations

L‟article de Gary S. Becker publié en 1968 a pour vocation d‟adopter une approche économique concernant le crime et les sanctions qui lui sont appliquées (“Crime and Punishment: An Economic Approach”). La perspective est normative, puisque l‟auteur cherche à déterminer les dépenses optimales nécessaires à l‟application de la loi. Il va en fait beaucoup plus loin puisqu‟il livre une véritable théorie du comportement criminel, explicable selon lui par un arbitrage effectué par les potentiels délinquants. Plusieurs paramètres entrent en jeu, notamment les bénéfices escomptés de l‟infraction, les coûts anticipés d‟une potentielle sanction mais aussi la

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Comme nous l‟avons évoqué dans l‟introduction générale, le concept de « récidive » et les représentations qui lui sont associées évoluent selon les contextes et les systèmes pénaux. Par ailleurs, ce phénomène est compliqué à définir et à mesurer. Malgré toutes ces réserves, nous l‟utiliserons comme point d‟appui durant tout ce chapitre au regard de son importance dans le débat public et médiatique.

Des rôles possibles de l‟économiste dans le débat public sur la récidive

- 79 - probabilité d‟être arrêté par les forces de l‟ordre. Ceux-ci sont évalués différemment par chaque individu, en fonction de ses aptitudes (par exemple son capital criminel), de ses préférences et de son attitude vis-à-vis du risque. Dans l‟interprétation la plus simple de ce cadre, une infraction est commise dès lors que l‟utilité qui en est retirée, notée , est supérieure à l‟utilité de réserve, c‟est-à-dire celle obtenue sans passer à l‟acte, notée :

( ) ( ) ( )

Dans cette équation, représente le bénéfice retiré de l‟infraction84, le coût de la sanction si l‟individu est arrêté par la police, ce qui arrive avec une probabilité . Ce modèle permet d‟établir des prédictions ; par exemple, les délinquants vont réagir à une augmentation des salaires légaux ( s‟accroît), à une diminution des forces de police ( diminue) ou à des lois pénales qui accentuent la répression ( augmente) ou au contraire favorisent des alternatives à l‟incarcération ( diminue). Les pouvoirs publics disposent de deux principaux leviers d‟action selon ce cadre théorique : la probabilité de sanction et son coût anticipé par les potentiels délinquants . Le taux de criminalité devrait diminuer si l‟on augmente l‟un de ces deux paramètres. On peut par ailleurs montrer qu‟un individu maximisateur décide de passer à l‟acte si « le rapport gains (en cas de succès) sur pertes (en cas de condamnation) [est] supérieur au risque relatif de condamnation » (Monnery 2016, p. 15)85. Ainsi, si sa probabilité d‟être arrêté est deux fois supérieure à celle de ne pas l‟être, il commet une infraction seulement si son gain d‟utilité ce faisant est deux fois supérieur aux pertes liées à une éventuelle condamnation.

Gary S. Becker conclut son article, dont nous avons présenté ici le résultat le plus simple, en soulignant sa principale contribution : “optimal policies to combat illegal behavior are part of an optimal allocation of resources. Since economics has been developed to handle resource allocation, an „economic‟ framework becomes applicable to, and helps enrich, the analysis of illegal behavior” (Becker 1968, p. 45). En effet, il s‟agit là d‟une « économie du crime », puisqu‟il cherche à conceptualiser le comportement criminel en partant des postulats de base de la micro- économie, supposés applicables à n‟importe quel phénomène social où se pose un problème « d‟allocation de ressources ». Ce modèle est ensuite enrichi, notamment par Ehrlich (1973) qui en propose une vision dynamique : l‟arbitrage n‟est plus statique mais concerne des flux d‟utilité

84 On suppose ici que ce bénéfice est maintenu même si l‟individu est appréhendé par les forces de l‟ordre, ce qui correspond par exemple aux infractions à la législation sur les stupéfiants. En effet, il est difficile dans ce cas d‟estimer précisément les sommes tirées d‟un trafic de drogues et d‟infliger des amendes d‟un montant correspondant aux personnes condamnées. Cette hypothèse peut cependant être levée si besoin.

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future dont la valeur est actualisée. En particulier, le coût anticipé de l‟infraction correspond à une somme intertemporelle, puisque l‟individu subit sa peine pendant une certaine période sans pouvoir bénéficier de son salaire légal, par exemple. Sa décision dépend donc également de sa préférence pour le présent ; plus celle-ci est importante et moins il valorise les coûts et les bénéfices futurs. Les bénéfices escomptés de l‟infraction étant généralement immédiats, il est prévisible qu‟une personne qui a une forte préférence pour le présent soit conduite à plus commettre d‟infractions, toutes choses égales par ailleurs. Dans ses travaux, Ehrlich se concentre également sur les effets de dissuasion induits par les peines. Il montre ainsi théoriquement que le taux de criminalité diminue si la peine de mort est en vigueur, puisqu‟elle permet d‟augmenter le coût anticipé des potentielles sanctions.

Le modèle du crime comme choix rationnel aide à comprendre des phénomènes observés empiriquement. Par exemple, les vols de métaux à Londres sont très sensibles à l‟évolution de leurs prix sur les marchés internationaux (Draca, Koutmeridis et Machin 2015) ; en Italie, les suicides de détenus sont plus nombreux lorsque les débats parlementaires sont défavorables aux grâces collectives (Campaniello, Diasakos et Mastrobuoni 2017). De nombreux comportements criminels réagissent ainsi rationnellement aux incitations extérieures, comme le suggère le modèle de Becker. Dans cette perspective théorique, beaucoup d‟articles de recherche en économie du crime supposent un arbitrage entre bénéfices et coûts de l‟infraction ; l’encadré 4 en donne un exemple parmi bien d‟autres possibles.

Encadré 4 – Un exemple d’utilisation de la théorie beckerienne du crime.

L‟article de Mastrobuoni (2011), intitulé “Optimal Criminal Behavior and the Disutility of Jail: Theory and Evidence on Bank Robberies”, s‟intéresse aux hold-up et aux vols commis dans les banques italiennes entre 2005 et 2007 afin d‟estimer la désutilité de l‟emprisonnement. L‟auteur part de l‟hypothèse beckerienne de comportement rationnel. Plus encore, il la pousse à l‟extrême en supposant qu‟une fois entré dans une banque, l‟auteur d‟un hold-up arbitre en permanence entre les gains marginaux qu‟il peut obtenir en restant une minute de plus à l‟intérieur du bâtiment et les risques encourus ce faisant. Cet arbitrage permet à celui qui braque une banque de choisir le temps optimal pour commettre son forfait, celui durant lequel il obtient un butin maximal tout en ne se faisant pas arrêter par la police pour autant. Mastrobuoni présume donc que l‟agresseur sait parfaitement estimer les bénéfices et les risques de son action, y compris pendant celle-ci.

Une fois ces hypothèses présentées, l‟article comprend un modèle empirique pour calculer l‟ordre de grandeur de la désutilité de l‟emprisonnement, qui dépend notamment de la longueur de la peine. Cette désutilité est également fonction des gains marginaux espérés (qui augmentent avec chaque minute de plus passé à l‟intérieur de la banque), de la taille du butin moyen emporté et du risque marginal d‟être arrêté. Pour obtenir des estimations de ces trois paramètres,

Des rôles possibles de l‟économiste dans le débat public sur la récidive

- 81 - Mastrobuoni se fonde sur des données portant sur les braquages réussis de banque italiennes, en supposant toujours que la durée observée des vols correspond à la durée optimale calculée en connaissance de cause par les auteurs d‟infraction. La désutilité de l‟emprisonnement est donc la seule variable inconnue pour le chercheur dans ce modèle, puisque les autres paramètres sont estimés à partir de données empiriques.

Cette stratégie d‟identification lui permet de conclure que la majorité des criminels ont une désutilité faible de la peine de prison ; seuls quelques-uns ont une désutilité très importante. Pour Mastrobuoni, il s‟agit de ceux qui sont le plus compétents en matière de braquage, car pour eux le coût d‟opportunité d‟une période d‟emprisonnement ferme est très élevé compte tenu des gains qu‟ils pourraient empocher s‟ils étaient en liberté. Il y a donc une forte hétérogénéité parmi les auteurs potentiels de hold-ups. D‟après Mastrobuoni, cela signifie que l‟échelle italienne des sanctions en cas d‟attaques de banque est trop basse : il faut accroître les peines en la matière afin que l‟effet de dissuasion soit plus fort. D‟après lui, une telle mesure conduirait les braqueurs les plus expérimentés à se retirer de ce marché du travail illégal pour se concentrer sur d‟autres activités, en raison de leur importante désutilité de la peine de prison.

L‟ambition du modèle de Becker et de ceux qui le suivent n‟est pas seulement de représenter théoriquement le comportement criminel ; il s‟agit aussi et surtout d‟expliquer pourquoi certains individus commettent des infractions quand d‟autres s‟en abstiennent. En cela, ce courant de pensée se rapproche de la criminologie classique ; on pense par exemple à la théorie de Merton selon laquelle l‟acte délinquant prend sa source dans l‟écart existant entre les objectifs sociétaux, fixés extérieurement à la personne et vers lesquels tout l‟encourage à aller, et les moyens à sa disposition pour les atteindre (Merton 1997 [1949]). Néanmoins, dans le cas de la criminologie, la déviance s‟explique par une différence entre l‟individu qui transgresse les règles et celui qui ne le fait pas : le premier ne dispose pas des moyens suffisants pour parvenir à ses fins, pour reprendre l‟exemple de Merton. Dans les modèles économiques, la perspective est toute autre : le passage à l‟acte ne s‟explique pas par une différence de nature entre les acteurs, mais par des choix individuels, conformément aux principes individualistes de la micro-économie (Robert 1984b, p. 126)86. Chacun devient alors un délinquant en puissance et la criminalité n‟est pas ancrée dans les gènes ou déterminée : elle apparaît en situation, en comparant les coûts et les bénéfices escomptés d‟une activité illégale. Pour cela, il est nécessaire que chacun ait une perception correcte de ces avantages et de ces inconvénients ; plus encore, les individus sont supposés connaître les peines encourues et avoir une idée des aménagements ou des remises de

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Cette caractéristique même a d‟ailleurs pu faire l‟objet de critiques virulentes, comme dans Raveaud (2008) : « l‟individualisme méthodologique fait fausse route, puisqu‟il prend comme donné ce qu‟il faut expliquer, c‟est- à-dire la possibilité d‟un choix individuel. Toute l‟histoire de la sociologie et de l‟anthropologie renvoie à cette question de l‟émancipation de l‟individu, à laquelle la modernité est associée » (p. 30).

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peine possibles87. Par ailleurs, une partie non négligeable des entrants en détention déclarent consommer régulièrement de la drogue ou de l‟alcool (Fauchille et al. 2016, p. 346), ce qui fait peser le doute sur l‟existence d‟un arbitrage rationnel entre coûts et bénéfices d‟une infraction88

.

Il ne s‟agit pas pour autant de la seule hypothèse à avoir fait l‟objet de critiques. En effet, d‟aucuns soulignent la série de conjectures réductrices qui émaillent ce modèle de délinquance (Robert 1984b, p. 130). Par exemple, les préférences ou les valeurs ne sont pas bien prises en compte par ce modèle ; les articles qui suivent celui de Becker mettent parfois l‟accent sur « l‟aversion au risque », la « préférence pour l‟honnêteté » ou « l‟attrait psychique ressenti pour la criminalité » sans toutefois s‟attacher à fonder empiriquement ces notions ou même à les définir clairement. Certes, une telle opération s‟avère compliquée, ce qui explique que les économistes n‟intègrent pas ces éléments dans leurs analyses.

Les modèles d‟économie du crime se révèlent donc souvent être plutôt des études de la dissuasion que des études du comportement délinquant. Ainsi, « concrètement, il va s‟agir de déterminer si la certitude ou la sévérité de la répression – et accessoirement certaines variables d‟opportunité comme l‟accroissement des salaires ou la diminution du chômage – co-varient avec l‟évolution de la délinquance » (Robert 1984b, p. 131). Les analyses fondées à la suite de Becker pour analyser théoriquement les phénomènes de criminalité permettent finalement d‟aider à la décision publique ; elles ont pour vocation première d‟être utiles et opérationnelles, comme on le reverra au chapitre 3. Elles permettent d‟isoler les effets de différents facteurs, de mieux les mettre en relation les uns avec les autres et d‟obtenir des prédictions claires qui peuvent être validées ou réfutées empiriquement (Levitt and Miles 2007). Elles facilitent également la compréhension des conséquences du système pénal en place ; dans cette perspective, on peut tenter d‟étendre le modèle beckerien pour prendre en compte non seulement les effets de l‟incarcération mais aussi des aménagements de peine sur la récidive.

b) Aménagements de peine et récidive : une perspective beckerienne

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Cette hypothèse d‟information parfaite peut néanmoins être relâchée dans certains modèles. 88

Il est cependant possible d‟améliorer les modèles théoriques à la marge pour tenir compte de ces réserves, spécifiquement en ce qui concerne la consommation d‟alcool et de drogue ; à ce sujet, voir Van Winden et Elliot 2012.

Des rôles possibles de l‟économiste dans le débat public sur la récidive

- 83 - Il s‟agit ici d‟illustrer les effets potentiels d‟un aménagement de peine ou d‟une peine d‟emprisonnement sur la récidive à l‟aide d‟une règle de décision simple fondée sur des comparaisons d‟utilités. Pour cela, nous partons du paradigme beckerien d‟un arbitrage entre coûts et bénéfices espérés d‟une infraction, mais nous décalons le regard afin de nous focaliser sur la récidive et non sur la première infraction. Dans cette perspective, on peut commencer par supposer qu‟un ancien condamné récidive après avoir purgé une peine de sévérité si l‟inégalité suivante est vérifiée :

( ) ( ) ( ) ( )

Dans cette équation, U représente l‟utilité de l‟absence d‟une nouvelle infraction ; B le bénéfice (en termes d‟utilité) retiré d‟une nouvelle infraction ; C le coût (toujours en termes d‟utilité), d‟une peine future ; et p la probabilité d‟être sanctionné. On fait l‟hypothèse que la sévérité perçue de la précédente peine, s, est plus importante dans le cas d‟une détention que dans celui d‟un aménagement de peine : . De plus, on s‟attend à ce que ( ) soit

négatif. En effet, une personne condamnée à une peine plus lourde, sous la forme d‟une incarcération plutôt que d‟un placement sous surveillance électronique par exemple, aura moins d‟opportunités de retrouver une place sur le marché du travail légal par la suite (Western, Kling et Weiman 2001) ; elle retirera moins d‟utilité d‟une vie sans nouvelle infraction. Ensuite, nous faisons l‟hypothèse que les prisons sont des « écoles du crime », où les détenus accumulent une forme de capital criminel, qu‟il s‟agisse de compétences ou de réseaux relationnels (Bayer, Hjalmarsson et Pozen 2009). Dans ce cas de figure, ( ) est positif. Nous supposons que ( ) est aussi positif, en nous appuyant pour cela sur la théorie de la dissuasion spécifique (specific deterrence). En effet, les condamnés qui ont reçu une lourde peine dans le passé s‟attendent à recevoir une sanction du même type en cas de récidive ; à l‟inverse, ceux qui ont vu leur précédente peine aménagée ont certainement une estimation basse du coût d‟une peine future (Fajnzylber, Lederman et Loayza 2002). Par ailleurs, la probabilité d‟être sanctionné p est supposée constante89. Enfin, nous faisons une dernière hypothèse en nous plaçant dans une situation de neutralité des condamnés par rapport au risque.

89 Cependant, nous pourrions imaginer qu‟un condamné qui a passé du temps derrière les barreaux en compagnie de détenus plus expérimentés que lui apprend à diminuer cette probabilité d‟être détecté et poursuivi ; dans ce cas, p’(s) est négatif. D‟un autre côté, on pourrait également imaginer que les anciens détenus sont suivis de plus près par la police ; ici p’(s) est positif. Par souci de simplifier le raisonnement, nous supposons finalement que

p’(s) =0 et que ces deux effets se compensent : la probabilité d‟être sanctionné à nouveau ne varie pas avec la

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En modifiant légèrement cette première équation, on constate que cet agent récidive si :

( ) ( ) ( ) ( )

On appelle ( ) le membre ( ) ( ) ( ) : il correspond à la propension à récidiver. Nous cherchons à connaître l‟effet de la sévérité de la sanction sur cette propension.

( ) ( ) ( ) D‟où :

( ) ( ) ( ) ( )

Dans cette équation, ( ) correspond à ce que l‟on peut appeler « l‟effet du capital criminel » : plus la sévérité de la précédente peine est importante et plus l‟agent a eu l‟occasion d‟augmenter son capital criminel derrière les barreaux, donc plus les bénéfices espérés en termes d‟utilité d‟une nouvelle infraction sont importants ( ( ) ). ( ) correspond à l‟effet de désocialisation induit par la peine : plus est grand et plus faibles sont les chances de pouvoir se réinsérer par la suite ( ( ) donc ( ) ). ( ) correspond à un « effet de dissuasion » : plus est grand et plus le coût attendu de la prochaine sanction est important ( ( ) ). Dans l‟équation précédente, le membre de gauche tout comme le membre de droite sont positifs. On peut aisément en déduire une interprétation économique, selon l‟équivalence suivante :

( )

Cette dernière équation signifie que la prison est criminogène (c‟est-à-dire que la propension à récidiver augmente avec la sévérité perçue de la précédente peine ) si les effets conjugués de capital criminel (noté ) et de désocialisation (noté ) sont supérieurs à l‟effet de dissuasion (noté ). En d‟autres termes, il faut que les effets négatifs de la prison soient suffisamment importants (en ce qui concerne les mauvaises fréquentations que l‟on y rencontre ou la dégradation des perspectives de réinsertion qui s‟ensuit) pour compenser la peur que ce mode de sanction est censé susciter. Après une peine de prison, ceux qui récidiveront seront donc ceux que l‟expérience carcérale aura intégrés dans des réseaux criminels ou ceux qui ne parviendront

Des rôles possibles de l‟économiste dans le débat public sur la récidive

- 85 - pas à retourner sur le marché du travail légal. À l‟inverse, les autres craindront suffisamment l‟éventualité d‟une nouvelle sanction pour ne pas récidiver.

Ce petit modèle nous permet de mettre en évidence les différents effets de la prison sur la probabilité de récidive. L‟incarcération est potentiellement criminogène lorsque les établissements pénitentiaires ne sont pas conçus pour favoriser la réinsertion et donnent simplement aux détenus la possibilité d‟accroître leur capital criminel (dans ce cas, est fort) ; lorsque le contexte socio- économique est tel que les anciens prisonniers souffrent d‟une stigmatisation importante sur le marché de l‟emploi (dans ce cas, est fort) ; ou encore lorsque la prison ne fait pas suffisamment peur aux personnes qui en sortent (dans ce cas, est faible). Dans toutes ces situations, le risque de récidive augmente avec la sévérité de la sanction et il est toujours préférable de favoriser des modalités d‟exécution de la peine moins dures comme les aménagements de peine. À l‟inverse, la prison n‟est pas criminogène lorsque l‟encellulement individuel est pratiqué, ce qui empêche les détenus d‟accroître véritablement leur capital criminel (dans ce cas, est faible) ; lorsque les personnes incarcérées bénéficient de formations professionnelles et suivent des enseignements, ce qui leur permet de retrouver facilement un emploi par la suite (dans ce cas, est faible) ; lorsque les conditions de détention sont difficiles, ce qui les dissuade fortement de commettre de nouvelles infractions (dans ce cas, est fort). Dans ces situations, on peut privilégier l‟incarcération aux aménagements de peine, plus criminogènes90

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Le principal résultat de ce modèle théorique réside dans un constat : si le critère d‟efficacité retenu est le taux de récidive suite à une première condamnation, les aménagements