• Aucun résultat trouvé

Les données disponibles : d‟importantes différences entre détenus et placés 116

Chapitre 2. Une évaluation des effets du placement sous surveillance électronique sur

2) Les données disponibles : d‟importantes différences entre détenus et placés 116

Dans cette étude, nous avons fusionné deux bases de données fournies par la Direction de l‟Administration pénitentiaire. La première d‟entre elles correspond à une cohorte de détenus libérés durant l‟année 2002, et la seconde porte sur la population des 580 premiers bénéficiaires d‟un bracelet électronique en France, octroyés entre 2000 et 2003 (a). Finalement, nous disposons de 2 827 individus, dont 457 ont fait l‟objet d‟une mesure de placement et 2 370 ont purgé leur peine en prison. Les deux groupes sont assez différents, comme le montrent quelques statistiques descriptives (b).

- 117 - a) La fusion de deux bases de données

La première base de données comprend un échantillon de 8 499 personnes sorties de prison entre le 1er juin et le 31 décembre 2002 (il s‟agit donc uniquement de détenus). Elle s‟appuie sur deux sources, les dossiers individuels et les casiers judiciaires. Les premiers sont complétés par les surveillants pénitentiaires durant la détention, comme on le verra aux chapitres 5 et 6 ; ils comportent notamment des informations sociodémographiques (genre, date et lieu de naissance, statuts professionnel et familial, niveau d‟éducation, adresse) et pénales (date et nature de l‟infraction, condamnation(s), lieu de l‟incarcération, dates d‟entrée et de sortie de prison, réductions de peine octroyées). Les casiers judiciaires, eux, renseignent sur l‟ensemble des peines prononcées, que ce soit avant celle ayant conduit à l‟incarcération de 2002 ou après. Ils ont été consultés en 2008, ce qui permet de savoir si ces sortants de prison ont récidivé ou non cinq années après leur libération.

Cet échantillon n‟a pas été tiré aléatoirement sur l‟ensemble de la population pénale française libérée en 2002. En effet, certaines catégories de détenus ont été retenues exhaustivement : les femmes, les mineurs et les personnes ayant fait l‟objet d‟une libération conditionnelle. Ces choix correspondent à des questionnements internes à la DAP à l‟époque du recueil des données, et traduisent donc plutôt l‟intérêt de l‟institution que la réalité de la population carcérale. Les autres catégories ont été incluses dans la base par le biais d‟un tirage au sort pondéré, avec un poids inversement proportionnel à leur fréquence. Afin de retrouver un échantillon représentatif des sortants de prison, nous incluons dans les estimations toutes les variables utilisées pour construire les pondérations initiales (le genre, l‟âge, la nature de l‟infraction et le fait d‟avoir obtenu une libération conditionnelle), suivant en cela les recommandations de Solon, Haider et Wooldridge (2015).

La deuxième base de données utilisée est la seule étude existante en France sur la récidive des condamnés placés sous surveillance électronique. Elle comprend des informations sur la population des 580 premiers placés, depuis le début de l‟expérimentation en octobre 2000 dans les quatre sites pilotes jusqu‟en mars 2003110

. On trouve là encore des variables sociodémographiques et pénales, et un suivi du casier judiciaire cinq années après la fin de la mesure.

- 118 -

Encadré 6 – Comment définit-on la récidive ?

Comme nous l‟avons évoqué dans l‟introduction générale, il existe plusieurs définitions de la récidive, qui traduisent chacune une conception bien particulière du terme et qui diffèrent d‟un article à l‟autre. Nous avons choisi ici de nous intéresser aux recondamnations, quelles que soient la nature de la nouvelle infraction et de la peine prononcée. Nous nous focalisons parfois en particulier sur les nouvelles peines de prison ferme, c‟est-à-dire sur les réincarcérations, afin d‟analyser les formes les plus graves de récidive. Il est vrai que les recondamnations ne donnent qu‟une mesure imparfaite de la récidive réelle, puisqu‟une partie des nouvelles infractions n‟est ni détectée ni poursuivie. De plus, elles n‟apprennent rien sur la réinsertion possible de ces condamnés. Néanmoins, il n‟est pas possible en pratique de satisfaire à ces deux objections compte tenu des données existantes ; de plus, nous pensons que, même si l‟absence de récidive n‟est pas synonyme de réinsertion, un taux élevé de récidive suggère, à l‟inverse, un échec patent de la politique pénale en la matière.

La période de suivi est de cinq années après la libération, ce qui est une durée standard en France pour les études de récidive ; cependant, la plupart des articles de recherche étrangers s‟appuient sur des périodes bien plus courtes (Marie (2015) utilise par exemple une durée de deux ans après la libération dans son étude sur le Royaume-Uni). Ces cinq années débutent le jour de la sortie de prison pour les détenus, et le jour de la pose du bracelet électronique pour les placés, puisqu‟ils peuvent commettre de nouveaux faits dès la période de l‟aménagement de peine111

. Enfin, nous considérons également comme « récidivistes » les 26 personnes qui ont bénéficié d‟une mesure de placement avant de se la voir retirée et d‟être envoyées en prison du fait d‟incidents répétés ou de la commission d‟une nouvelle infraction. En effet, ne pas les prendre en compte reviendrait à biaiser la comparaison entre le PSE et la prison en faveur du premier.

Après avoir rassemblé les deux bases de données, nous disposons de 9 079 individus, dont 580 ont été placés (le groupe de traitement) et 8 499 ont été incarcérés (le groupe de contrôle). Cependant, nous avons opéré quelques restrictions dans cet échantillon initial afin d‟exclure de l‟analyse les personnes qui n‟avaient aucune chance de toute façon d‟obtenir un bracelet, et ce quel que soit l‟endroit de leur condamnation. Les détails de ces restrictions sont présentés à

l’annexe 1-D.

Une partie des observations ne peut ainsi pas être utilisée à cause d‟un trop grand nombre de valeurs manquantes (du fait de la mort de la personne ou de l‟absence de retour pour son casier judiciaire, par exemple) ou d‟une période de suivi insuffisante (inférieure à cinq ans). Nous

111 Il aurait également été possible de commencer la période de suivi des personnes placées à la fin de leur mesure. Cependant, ce choix conduirait à faire l‟impasse sur les infractions commises pendant le PSE, et donc à surestimer la baisse de la récidive permise par le bracelet électronique. Dans les tests de robustesse en annexe 1-

F, nous montrons que nos estimations ne sont en fait pas affectées par ce choix de la date de début de la période

- 119 - choisissons également de ne retenir dans l‟échantillon que les personnes placées qui ont fait l‟objet de la mesure avant toute incarcération. En effet, nous cherchons à obtenir l‟effet sur la récidive d‟une peine purgée sous PSE plutôt qu‟en détention. Les personnes qui ont d‟abord été incarcérées avant de sortir sous bracelet électronique font partie à la fois de ces deux groupes et risquent de compliquer l‟interprétation des résultats obtenus. Pour cela, nous excluons de nos données les 65 personnes concernées. De plus, nous enlevons également tous les détenus dont la peine de prison ferme est supérieure à 1 an, et qui ne pouvaient donc pas recevoir de PSE avant leur entrée en détention, ainsi que ceux qui se déclarent sans domicile fixe et qui ne satisfont donc pas les critères d‟octroi. Enfin, nous retirons de l‟échantillon les personnes qui ont fait l‟objet d‟un mandat de dépôt le jour même de leur condamnation, puisque nous les considérons comme radicalement différentes de celles qui ont été placées. En effet, les juges ont considéré que la peine de ces condamnés devait être rapidement purgée en détention. À l‟inverse, le fait de bénéficier d‟un PSE montre que les personnes concernées n‟étaient pas vues comme dangereuses pour la société. De ce fait, notre groupe de contrôle ne comprend que des détenus qui ont été incarcérés au moins 24 heures après leur condamnation. Finalement, ces quelques restrictions nous amènent à un échantillon de 2 827 individus, dont 457 ont bénéficié d‟une mesure de PSE et 2 370 ont purgé leur peine en prison.

b) Deux populations très différentes

Malgré ces restrictions de l‟échantillon, les personnes placées diffèrent de celles détenues par de nombreux aspects. Le tableau 1 présente ainsi des statistiques descriptives portant à la fois sur l‟ensemble des individus (colonne 1), mais aussi sur le groupe de traitement (colonne 2) et le groupe de contrôle (colonne 3). En particulier, on peut noter que les personnes placées sont plus âgées (33 ans en moyenne contre 30 pour les détenus), mais également plus susceptibles de se déclarer en emploi (64 % contre 38 %) et en couple (43 % contre 30 %) lors de leur condamnation. De plus, il s‟agit souvent de condamnés pour des infractions routières (conduite sans permis et conduite en état d‟ivresse notamment, ce qui représente 27 % de l‟ensemble des placés)112.

Les deux groupes différent également significativement en ce qui concerne leur taux de récidive cinq années suivant la libération. Comme le montre la figure 3, 65 % des anciens détenus

112 Ces observations sont similaires à celles effectuées par Kensey et Narcy (2008, p. 4) sur un échantillon plus large de placés sous surveillance électronique.

- 120 -

ont été recondamnés durant cette période de suivi, contre 47 % des anciens placés. L‟écart est encore plus important si l‟on se concentre sur les réincarcérations, puisqu‟il passe de 18 à 24 points de pourcentage.

Figure 3 : Évolution du taux de récidive dans le temps

- 121 -

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques et pénales de l’échantillon.

Variables Ens.113 (1) PSE (2) Prison (3) Diff.114 (4) Intervalle (5) Caractéristiques sociodémographiques Homme 88,3% 93,2% 87,3% *** [0 ; 1] Âge 30,6 33,2 30,1 *** [13 ; 100] En emploi 41,9% 63,9% 37,7% *** [0 ; 1] En couple 32,0% 42,9% 29,9% *** [0 ; 1] A des enfants 42,6% 50,3% 41,1% ** [0 ; 1]

Condamnations précédentes à des peines de prison

Proportion de l‟échantillon 61,5% 69,4% 60,0% *** [0 ; 1] Nombre moyen de condamnations 1,4 0,8 1,5 *** [0 ; 27]

Condamnations précédentes à des peines alternatives

Proportion de l‟échantillon 52,1% 50,8% 52,4% n.s. [0 ; 1] Nombre moyen de condamnations 1,0 1,9 0,8 *** [0 ; 20]

Nature de l’infraction initiale

Homicides, coups et blessures 17,2% 18,4% 16,9% n.s. [0 ; 1] Viols et agressions sexuelles 4,6% 4,8% 4,6% n.s. [0 ; 1] Infractions routières115 20,5% 27,1% 19,2% *** [0 ; 1] Atteintes aux biens116 39,0% 32,4% 40,2% ** [0 ; 1] Infractions à la législation des

stupéfiants

10,7% 8,5% 11,2% ǂ [0 ; 1] Police de l‟immigration 1,9% 0,0% 2,3% *** [0 ; 1] Possession d‟arme illégale 2,0% 2,2% 2,0% n.s. [0 ; 1]

Peine de prison

Peine initiale (en mois) 4,8 5,4 4,6 *** [0 ; 12] Libération conditionnelle 20,0% 0,0% 23,8% *** [0 ; 1]

Caractéristiques de l’établissement pénitentiaire

Type de prison

Maison d’arrêt 78,3% 80,1% 78,0% n.s. [0 ; 1]

Centre de détention 21,7% 19,9% 22,0% n.s. [0 ; 1]

Taux de surpopulation 111,7% 113,5% 111,3% n.s. [0 ; 2,5]

Récidive 5 ans après la libération

Recondamnation 65,4% 46,2% 66,2% *** [0 ; 1] Réincarcération 54,0% 29,8% 55,0% *** [0 ; 1]

Taille de l’échantillon 2 827 457 2 370

L‟échantillon est composé des condamnés qui déclarent un domicile lors de leur condamnation à une peine de prison ferme inférieure à un an et qui ont commencé à exécuter leur peine (en prison ou sous PSE) strictement après leur date de condamnation. ǂ p<10%, * p<5%, ** p<1%, *** p<0,1%.

Sources : Bases « Libérés 2002 » et « Étude PSE » (DAP)

113 « Ens. » signifie « ensemble » ; il s‟agit des caractéristiques de l‟ensemble de l‟échantillon, sans distinction entre les placés et les détenus.

114 « Diff. » signifie « différence » et montre le résultat d‟un t-test de différences entre les proportions de l‟échantillon PSE et celles de l‟échantillon des anciens détenus.

115

La modalité « Infractions routières » inclut notamment les conduites sous l‟empire d‟un état d‟alcoolémie ou de stupéfiants, les excès de vitesse ou les délits de conduite sans permis.

116 La modalité « Atteintes aux biens » comprend tous les types de vols et cambriolages, ainsi que les destructions volontaires, les fraudes et les escroqueries.

- 122 -