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De la théorie à la mise en œuvre : l’encadrement pratique d’une création régionale.

Partie I : De la naissance d'une « esthétique du local » à l’invention de traditions décoratives

Chapitre 2 : Esthétique régionaliste et arts décoratifs : du « revivalisme » à la création d’un

2.2. De la théorie à la mise en œuvre : l’encadrement pratique d’une création régionale.

Au-delà de la conséquence de la formation d'une sensibilité nouvelle au thème rural, le développement d’un régionalisme artistique fut d’autant plus essentiel dans le développement d’une esthétique populaire puisqu’il contribua à l’élaboration de cadres théoriques et pratiques indispensables à son développement. Ce fut du moins ce que reconnut Léandre Vaillat en 1923 dans la préface du premier tome de Murs et toits des pays de chez nous,

« à une période de tâtonnements et de curiosité rétrospective, il aura fait succéder une période de certitude et de logique régionale, parce qu'il aura substitué au faux pittoresque, dont nous menaçait la découverte relativement récente et mal interprétée de l'archéologie provinciale, une savoureuse et substantielle définition des pays de France par les édifices de France. » (Vaillat in Letrosne 1923, p. 20)

À la lumière des propos de Vaillat, il est donc manifeste que le régionalisme ne fut pas qu'une simple thématique architecturale alors en vogue dans certaines stations balnéaires, mais bien une véritable et originale logique esthétique rayonnant sur l'ensemble du champ artistique et idéologique de l'époque. C’est ainsi que la plupart des tenants d’un « régionalisme intellectuel » encouragèrent invariablement les entreprises de reviviscence d’anciennes pratiques décoratives vernaculaires36. La formation d’une esthétique régionaliste

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Sur Roger Marx voir Madeleine Ribérioux « De l’art industriel à l’art social » in Gazette des Beaux-Arts, février 1988, pp. 155 – 158).

36 Pratiques qui étaient considérées comme l’un des éléments constitutifs du rapport d’altérité Paris/Province et qui avaient été présentées, tout au long du dernier tiers du XIXe siècle, comme la preuve du bien-fondé de l’idéologie régionaliste.

serait donc intimement liée à ce mouvement en faveur de la sauvegarde des traditions décoratives populaires ainsi qu’au développement d’une certaine sensibilité à la référence rustique et trouverait, plus particulièrement, son origine dans l’appropriation par le mouvement régionaliste des différents discours visant à la renaissance de ce que l’on considérait alors comme le fruit des anciennes écoles artistiques locales. Par conséquent, alors que l'on connaît aujourd'hui comment les petites industries rurales » furent présentées comme les conservatoires des identités régionales et, par extension, légitimèrent la doctrine régionaliste, il est maintenant essentiel de comprendre comment le débat visant à leur reviviscence devint l’un des principaux fondements d’une esthétique régionaliste.

Une création locale comme solution à la crise.

À une époque où l'on observe l'établissement d'une féroce compétition internationale dans le domaine des arts décoratifs, la valorisation de l'artisanat régional devint en France, au cours de la première décennie du XXe siècle, un moyen de lutte contre l'expansion d'une production industrielle et d'une concurrence étrangère qui menaçait les intérêts économiques nationaux. Dès 1895, Émile Jacquemin (1850 – 1907) avait ainsi fait part, dans les colonnes de la revue L'immeuble et la construction dans l'Est, de sa volonté de faire du local « contre la concurrence du dehors, aussi bien contre celle de l'étranger que contre celle de Paris, ou même celle d'ailleurs de chez nous » (Jacquemin 1895, n. p.). Concurremment au développement d’un nationalisme profondément germanophobe, l’échec de l’Exposition universelle de 1900 et l’incapacité des créateurs à élaborer des solutions innovantes permettant de rivaliser avec les propositions venant d’outre-Rhin avaient conduit de nombreux critiques à présenter l’exemple fourni par les créations populaires comme l’un des derniers remparts devant être élevé contre la menace que faisaient peser les importations allemandes et anglaises sur les créations nationales37. Daniel Le Couédic a justement relevé dans Les architectes et l’idée bretonne que les différentes attentions dont avaient fait preuve

37 À la suite de la déclaration de guerre de 1914, Adolphe Willette (1857 – 1926) fit, à ce titre, un étonnant parallèle, dans un dessin intitulé Ce n’est pas nouveau, entre l’incursion militaire et l’invasion de l’économie nationale par les produits allemands. Dans ce dernier, un poilu déclare : « Des gaz asphyxiants ! à cette heure ! … Oh là là ! Voilà plus de quarante ans qu’ils nous empestent Made in Germany ! ». En 1918, Edouard Driault (1864 – 1941) dans Plus rien d’allemand, avait d’ailleurs déclaré que « La France, avant la guerre, était envahie par les produits allemands ; elle s’était mise à l’école de l’Allemagne. L’avenir de son industrie, les plus belles qualités de son génie national en étaient menacées, déjà compromis. » (Driault 1918, p. 1).

de nombreux régionalistes pour la renaissance des anciennes pratiques décoratives étaient intimement liées à des considérations économiques et ce dernier à rappeler « combien, en 1908, l’Allemagne était apparue conquérante et dangereuse pour les intérêts français en matière d’arts appliqués » (Le Couédic 1995, p. 198). Ce fut du moins ce que prétendit le conservateur du Musée des Beaux-Arts de Lyon Léon Rosenthal (1870 – 1932), lorsqu’il publia le 8 septembre 1923 un article paru dans Les Nouvelles Littéraires intitulé « L’Art et la cité : L’Exposition internationale des arts appliqués » et dans lequel il annonça que l’Allemagne, en 1913, monopolisait plus des deux tiers du marché des exportations d’ameublement en Europe.

Une concurrence qui menaçait non seulement les prérogatives nationales en matière d’ameublement, mais qui risquait surtout de mener à l'extinction des anciennes pratiques artisanales. Devant un tel danger, plusieurs critiques, associant les créations des Werkstatten allemands à un machinisme, fruit d'une modernité urbaine nivelant les singularités régionales, appelèrent, dès lors, à un retour à la simplicité, à l'homme et surtout à l'artisan38. Déjà en 1909, Émile Nicolas s’était alarmé de la situation des industries d’art nationales :

« tous ceux qui ont a cœur la prospérité de l'art français, qu'une concurrence étrangère menace sourdement, à se grouper, à répandre autour d'eux des idées saines et sur l'art, et surtout d'encourager les artistes qui restent au milieu de nous, ne voulant produire que selon leurs conceptions étayées sur notre tradition et sur les indications de la nature de notre pays. » (Nicolas, 1, 1909, p. 92).

L’année suivante, Auguste Chevassus avait expliqué, qu’au regard de l’exemple donné par les créateurs hongrois, le remède le plus approprié afin de remédier à la disparition annoncée de l’artisanat français était justement de puiser dans les répertoires décoratifs populaires (Chevassus 1908, p. 125)39.

Les créations artisanales furent ainsi, tout au long de la première décennie du XXe siècle, présentées comme la source d’un nouveau style. D’un style ne tenant pas plus des

38 Cette association réalisée entre les productions allemandes et les sources d’une esthétique fonctionnaliste en France connaîtra son apogée durant la Première Guerre mondiale, lorsque de nombreux critiques associeront les recherches plastiques menées par les peintres cubistes à « l’art boche » (voir Kenneth Silver, Vers le retour à l’ordre : l’avant-garde parisienne et la Première Guerre mondiale 1914 – 1925).

39 Trois ans plus tard, l’ébéniste toulousain Maurice Alet (1874 – 1967) avait lui-même expliqué, en 1911, dans une communication publiée dans L’Art et les métiers que le style général des travaux réalisés dans la plupart des écoles d’arts décoratifs françaises était alors « influencé de formes germaniques, sans aucun souci de tradition ! » (Alet, 2, 1911, p. 137).

créations étrangères que des développements d’un art floral dont l’Exposition de 1900 avait montré les limites, mais de l’art populaire, seule expression artistique véritablement nationale.

De la disparition à la nécessaire reviviscence.

Un art populaire néanmoins sur le point de disparaitre. En 1907, Pierre Gatier (1878 – 1944) dans un « Mémoire sur l’art breton » présenté lors du Congrès annuel de l’U.R.B., avait justement tenu à dire combien il était péniblement impressionné par la vue de villas de pacotille qui n’avaient aucun rapport avec l’architecture populaire et avait reconnu que « c’était la vie bretonne dans toutes ses composantes qui vacillait : la langue combattue, le costume dénigré, le meuble concurrencé » (Gatier 1907, p. 181). La même année, Henri Clouzot avait, dans un article consacré aux bijoux poitevins et vendéens, reconnu

« Avec l’unification des parlers, des costumes, du mobilier, nous assistons dans les campagnes à la disparition des bijoux si pleins d’originalité qui caractérisaient, il y a quarante ans encore, chacune de nos provinces de France. […]

Celui-ci, tout en reprenant l’idée selon laquelle les arts populaires pouvaient conduire à un renouveau artistique national, poursuivit en précisant l’exemplarité de ces derniers pour les créateurs :

D’ailleurs, qu’importent les origines et les influences dans ces beaux bijoux ? Ce qu’il faut retenir, c’est la pureté de leurs formes prêtes à disparaître […]. Cette industrie charmante est perdue si les artistes et les gens de goût ne s’intéressent à ces productions de notre vieil art national et n’essayent pas de les faire revivre en mettant leurs formes si simples et si pures sous les yeux de nos modernes décorateurs. » (Clouzot 1906, pp. 154 – 156).

L’idée selon laquelle les précédents régionaux devaient indiquer une nouvelle direction artistique était alors si populaire auprès des artistes et des critiques de l’époque que Casimir de Danilowcicz, après la publication de plusieurs articles reconnaissant les bienfaits de l’influence de l’art paysan, expliqua, en 1912, qu’il était non seulement indispensable

d’encourager « la création des musées régionaux où l’art rustique de chaque province trouvera un digne abri » et surtout d’appeler à « la rénovation de certaines branches de l’art populaire par l’encouragement à sa recréation. » (Danilowcicz 1912, n. p.)40. La plupart des adeptes des principes régionalistes étaient alors si convaincus de l’effacement des productions populaires les plus originales qu’en avril 1908 Armand Dayot (1857 – 1934), directeur de la revue L’Art

et les Artistes reconnut que l’on ne pouvait les laisser disparaitre

« La Bretagne eut jadis un art national de toute beauté, cet art national, on peut le faire renaître par un effet de volonté. Il y a là une noble entreprise à tenter, digne de passionner des esprits généreux et qui ont au cœur l’amour de la Bretagne. Il n’est pas de patriotisme plus élevé que celui qui consiste à poursuivre une œuvre de résurrection nationale » (propos rapporté dans Ouest-éclair, daté du 20 mars 1910 du discours de Redon avril 1908 in Ely-Monbet 1908).

Quelques années plus tard, Joseph Stany-Gauthier, revenant sur la situation des arts appliqués et notamment des arts rustiques à la fin de la première décennie du XXe siècle, renchérit en reconnaissant que

« les progrès considérables des moyens de transport et de communication [qui] arrivent à uniformiser le territoire français et, par conséquent, produisent la disparition des éléments pittoresques qu’ont peut encore trouver dans quelques anciennes provinces, ont cru nécessaire de jeter un cri d’alarme. » (Stany-Gauthier, 1, 1929, n. p.).

Reliant un projet muséographique fondé sur la sauvegarde et la préservation de l'art populaire, « Héritier direct des plus vieilles traditions des races », à une entreprise de résurrection des arts rustiques, cet article du conservateur du Musée de Nantes fut, à ce titre, particulièrement éloquent de l’enchevêtrement des questions relatives à la sauvegarde des singularités régionales à celles se rapportant à la rénovation des anciennes pratiques décoratives vernaculaires sous l’égide d’un régionalisme devenu une véritable entreprise de

40 Projet que Lahor avait également forgé dans L’Art nouveau pour le peuple à défaut de l’art par le peuple, en souhaitant assister à « la formation en chaque capitale de nos anciennes provinces d’un musée provincial ». À Bayonne, la mise en place du musée basque et de la tradition bayonnaise avait été préparée dès la création de de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne en 1873 et s’était poursuivis à traves certains projets lancés à la suite du Congrès de la tradition basque de 1889 (Voir P. Hournat, « Historique de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne » in Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne, 1973, nouvelle série n° 129, pp. 1 – 16).

résurrection des anciennes pratiques régionales.

Le cas breton.

Peu de temps avant, en Bretagne, les adeptes d'un régionalisme encore imprégné des préceptes de Maurras et de Mauclair s’étaient attachés avec les mêmes ambitions à la sauvegarde de ce qu’ils considéraient alors comme les caractéristiques ataviques d'une Bretagne immémoriale41. Promptement, François Vallée s'était ainsi donné pour mission la préservation de la langue bretonne afin de lutter contre l'effacement d'une culture régionale forgée sur le populaire, cela afin

« de rappeler aux Bretons qu'ils avaient eu des ancêtres glorieux et que s'il n'était pas utile de connaître le nom du problématique Pharamond ou de Louis Le Pieux, ennemi des Bretons, il était absolument nécessaire, sous peine de forfaire à sa race d'étudier les gestes glorieux des Warroch, des Nomenë, des Judicael et d'honorer les vieux saints qui ont fondé la Bretagne. » (Anonyme 1907, pp. 11 – 12)42.

L’Union Régionaliste Bretonne se donna donc pour principal objectif la reconnaissance de la culture bretonne et se devait pour cela d’encourager les artistes et les artisans à la rénovation de l’ensemble des activités et des pratiques artistiques considérées comme ataviques au sol armoricain. Il faut dire que dans la mesure où les membres de l’U.R.B. avait légitimé leur mouvement sur la réunion d’une somme de valeurs rurales et anti urbaines et avaient considéré ces pratiques comme indissociables de la définition de la

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Mauclair qui avait reconnu Le Figaro, daté du 11 mai 1933, que « les mécomptes et les souffrances de beaucoup d’artistes proviennent de ce qu’on les a éloignés de la terre et qu’on a poursuivi d’une haine néfaste le régionalisme et la décentralisation. » (Mauclair in L’Action Régionaliste, mai 1933, p. 8). Une Bretagne immémoriale dont l'image avait pourtant été forgée, au début du siècle, par une littérature de voyage cherchant à révéler les monuments celtiques enfouis, selon leurs auteurs, au sein même des productions populaires bretonnes. Il est d’ailleurs nécessaire de relever que John Taylor, Charles Nodier et Alphonse De Cailleux s’étaient, eux aussi, inquiétés de la disparition des éléments constitutifs d’une société bretonne traditionnelle. Dans l’ouverture des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, ces derniers, tout en s'alarmant de l'imminence de la disparition des anciens us et coutumes populaires, avaient ainsi expliqué qu'ils devaient se « hâter de reproduire les ruines de la Bretagne, car la civilisation va y entrer par la Normandie […] Chaque jour maintenant va effacer davantage ce que sa physionomie a d’original et de caractéristique. » [J. Taylor, Ch. Nodier & Al. De Cailleux, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, t. 1 Bretagne, Paris, 1821, p. 3].

42 Au Pays basque, la langue vernaculaire était également perçue comme le mortier d’un édifice traditionnel qui, chaque jour, tendait à se fissurer. Dans une correspondance adressée en 1868 au cardinal Lavigerie, Antoine d’Abbadie (1810 – 1897) lui rappela ainsi son « faible espoir de conserver la langue basque et, avec elle, les vraies traditions du passé. » (Bidart 2001, p. 244).

singularité bretonne, ceux-ci ne pouvaient courir le risque de les voir disparaitre. Étudier et sauver l’art breton passait donc nécessairement par sa présentation au sein de manifestations à visées plus ou moins muséographiques ainsi que par des encouragements sans cesse renouvelés à la poursuite de pratiques artisanales considérées comme spécifiques au pays armoricain.

En 1908, l’Union, en organisant une exposition dans les salles de la mairie de Plougastel-Daoulas – une manifestation dont les buts étaient de présenter les dernières réalisations des membres de l'U.R.B. –, avait ainsi tenu à affirmer l’existence d’un art breton ancien et moderne. Notons que l'organisateur Alfred Ely-Monbet (1879 – 1915) fut, avec Jules Henriot (1866 – 1951), l’un des principaux exposants et que tous deux transposèrent au domaine de la décoration intérieure la volonté de bon nombre de régionalistes de voir continuer les traditions soi-disant ancestrales au sein d’une création industrielle. L’U.R.B organisa, de la sorte, diverses manifestations et expositions dont la plus importante fut associée à la première Session normale des Arts appliqués qui, convoquée hors de Paris, se déroula à Rennes du 16 au 30 avril 1922. Cet évènement, qui avait conduit de hauts responsables ministériels dans la ville d’Anne de Bretagne, avait eu pour principal objectif de « mettre en valeur les progrès réalisés par les industries d’art bretonnes, soit qu’elles s’orientent dans le sens de l’art décoratif moderne soit qu’elles s’inspirent des caractères traditionalistes bretons. » (Anonyme, 4, 1922, p. 286).

Par leur volonté de sauvegarder les émanations d’un terroir armoricain qui étaient alors perçues comme les témoignages de son génie populaire et en encourageant la poursuite d’anciennes pratiques artistiques, l’U.R.B. contribua ainsi à la l’élaboration d’une logique esthétique fondée sur la mise en scène d’une pseudo continuité entre passé et présent tout en élevant le thème de la continuité entre tradition régionale et création contemporaine au rang de précepte artistique. L’importance de l’U.R.B. dans le processus de formation d’une telle esthétique fut donc si fondamentale que ce fut justement à propos de l’œuvre entreprise par ses membres que l’on vit la première association des termes de « régionalisme » et de « néo ». (Anonyme 1907, p. 22). Naturellement, les faïenceries quimpéroises (Henriot et de la Grande Maison dite H.B.), installées dans le quartier de Locmaria à Quimper, comme l’ensemble des créateurs et des ateliers alors considérés devaient participer à cette entreprise de relèvement de la culture armoricaine. Toutefois, si l’action entreprise par les membres de l’U.R.B. constitua l’un des jalons essentiels de la formation d’une esthétique régionaliste, il semble que leur démarche ne dépassa jamais véritablement les limites de la Bretagne tant celle-ci demeurait

spécifique à la culture bretonne et au débat régionaliste local.

La part de l’Union Provinciale des Arts décoratifs.

En 1908, la revue L'Art et les métiers, organe de l'Union Provinciale des Arts Décoratifs, publia une lettre ouverte dont l'auteur, constatant « la déchéance des industries régionales », rapporta la création de l'Union, fondée au Congrès de Besançon de 1907, qui devait coordonner tous les efforts utiles à la renaissance des arts décoratifs régionaux tout en appelant à la fin de la centralisation artistique (Anonyme 1908, p. 2). L'un des principaux objectifs de cette nouvelle fédération consistait donc à soutenir

« les initiatives individuelles ou collectives, notamment dans le domaine de : l'éducation artistique au public, l'enseignement professionnel et l'apprentissage, les expositions en France et à l'étranger, l'organisation professionnelle des artistes, artisans et ouvriers d'art » (Anonyme 1908, p. 3).

L’Union Provinciale des Arts Décoratifs avait surtout voulu remédier à la situation qui avait conduit le développement des industries d’art à priver « l’initiative et la production des petits artisans » (Millaud 1911, p. 103). Cette dernière entendait ainsi grâce à une réforme complète de l’enseignement artistique « remettre en honneur l'art de l'artisan […] exciter […] réveiller les forces engourdies, tant par l'effet du nivellement de l'exploitation industrielle que par une déplorable éducation artistique. » (Prouvé 1908, p. 4). C’est du moins ce qu’avait expliqué le député Charles-Maurice Couyba, à la suite du Congrès des Artisans Francs- Comtois de Besançon de 1907. Selon lui, la mission de l’Union consistait, en effet, à

« Restituer aux diverses régions de France leur activité propre, leur autonomie intellectuelle, artistique et industrielle par la rénovation du dessin et des arts décoratifs à l'école, à l'atelier, à l'usine. Démocratiser l'art en associant à sa compréhension, à son évolution, à ses productions, à ses expositions les forces vives du peuple : apprentis, ouvriers, artisans, artistes, syndicats professionnels, assemblées municipales, départementales, régionales. » (La délégation du Bulletin in L’Art et les métiers, juillet – août 1910, n° 7, p. 121)43.

43 Victor Prouvé, futur directeur de l’École des beaux-arts de Nancy avait justement expliqué à propos de l’Exposition de Toulouse qu’« en conviant les artisans d'art de toute catégorie et de tous les points de la France, l'esprit régional sera provoqué dans ce qu'il y a de meilleur et s'animera d'un souffle de nouvelle vie »

En 1911, le peintre Victor Guillaume (1880 – 1942), qui avait été en charge des questions relatives à la décentralisation et à la rénovation des arts appliqués lors du Congrès de l’Union de 1910, rédigea un article aux forts accents antidémocratiques dans lequel il dénonça la centralisation à outrance qui avait conduit à l’absorption de l’atelier par la fabrique d’art et « l'émasculation gratuite et obligatoire [dans les écoles d’art] des instincts naïfs et neufs, par l'étouffement des plus aptes. » (Guillaume 1911, p. 120 ; c.f. annexe 13). Dans cette publication, tout en revenant sur les problèmes de l’industrialisation des métiers d’art, le membre de la Société des Artisans Lorrains se lança alors dans une violente diatribe contre