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Partie I : De la naissance d'une « esthétique du local » à l’invention de traditions décoratives

Chapitre 3 : Vers une esthétique de la tradition

3.2 La tradition en invention, sources et modèles

« Il ne faut cesser de contempler ces exemples du passé, de les avoir comme guide, après les avoir étudiés et même bien oubliés ; il faut s’efforcer de les faire ressusciter au moment de l’enfantement fécond qui amalgame en une conception unitaire, aussi bien les souvenirs effacés que les inspirations spontanées que provoque la flamme créatrice. » (Henri Godbarge, Arts basques anciens et modernes, origines et évolutions, Hossegor, Edition Chabas, 1931, p. 108).

Au cours de la première décennie du XXe siècle, alors que de nombreux critiques et créateurs appelèrent de leurs vœux la naissance d’une esthétique du local, ceux-ci présentèrent, par là même, les arts vernaculaires comme les nouveaux référents d’une inédite démarche artistique qui, fondée sur une volonté de préservation des singularités régionales, devait déboucher sur l’élaboration d’un art décoratif social et moderne. En 1918, l’un des plus fervents défenseurs de la cause régionaliste, Léandre Vaillat, dans un article intitulé « L’Art rustique en Alsace », fit justement de la poursuite des anciennes traditions décoratives populaires la solution la plus naturelle quant à la direction que devaient suivre les architectes en charge des différents programmes de reconstruction dans les régions dévastées du nord de la France (Vaillat, 1, 1918, pp. 190 – 195). Alors qu’il était indispensable, selon lui, que les nouvelles constructions s’inspirassent des précédents régionaux, les artisans du décor devaient, quant à eux, autant tenir compte du style de l’édifice que des pratiques décoratives locales. Pour cela et au regard des lacunes de la plupart des collections des musées régionaux,

le critique se proposait, aussi, de « répertorier les objets simples et familiers » afin que les créateurs n’aient plus qu’à choisir entre diverses formules décoratives (Vaillat,1, 1918, p. 195). Toutefois, Vaillat ne fut pas le seul défenseur d’un régionalisme artistique et cette époque vit un grand nombre de critiques et de créateurs qui, tout en faisant des arts et traditions populaires des exemplum virtutis, arrêtèrent un ensemble d’instructions relatives aux moyens et aux manières grâce auxquels les créateurs pourraient concevoir des œuvres qui continueraient les anciennes traditions décoratives locales. De nombreux membres d’associations régionalistes et de critiques, tout appelant à un « réveil des provinces », élaborèrent ainsi un certain système de mise en image des régions françaises souvent plus proche d’un mythe agraire que d’une véritable démarche archéologique (c.f. annexe 28).

L’invention et la définition de modèles « traditionnels ».

Jean Choleau, industriel, économiste et l’un des membres fondateurs de la Fédération régionaliste de Bretagne (F.R.B.), fut l’un des premiers a reconnaître qu’afin de sauver les derniers éléments d’une société traditionnelle bretonne périclitante, « l’artisan des Cornouailles » devait s'inspirer davantage du pays tout en revenant « franchement à la tradition » (Choleau 1910, n. p.). Plus tard, en 1931, Henri Godbarge livra, à son tour, dans

Arts basques anciens et modernes, origines et évolutions, la manière avec laquelle les artisans

pourraient, selon lui, être à la fois modernes et régionalistes :

« c’est d’abord en multipliant les efforts pour que la composition soit moderne et s’adapte strictement au programme moderne et, ensuite, en adaptant ou des lignes ou des motifs décoratifs qui soient des survivances ou des rappels même effacés des arts locaux. Et cela n’a pas échappé à quelques décorateurs régionaux. » (Godbarge, 1, 1931, p. 110).

Godbarge, en se voulant l’historien des arts originaires basques et landais, jeta alors les bases d’une logique d’esthétique régionale. Pour cela, l’architecte releva des thèmes qui, selon lui, permettraient de continuer les anciennes traditions décoratives vernaculaires (c.f. annexe 44). C’est ainsi que la figuration de « têtes de vieux pêcheurs, de vieux paysans, [de] couples aux traits ethniques, très accentués, [de] joueurs de pelote (pelotaris), [de] danseurs souletins » (Godbarge, 1, 1931, p. 110) était, à son sens, non seulement conforme à la

tradition locale, mais conduirait surtout à la rénovation de la sculpture basque. La même année, dans un article paru dans la revue L’Architecte, Godbarge, avant de délivrer une nouvelle fois une liste des éléments architectoniques emblématiques des anciennes habitations euskariennes, précisa sa pensée en expliquant que

« Les architectes [comme l’ensemble des créateurs] gagnés aux idées du régionalisme devaient trouver là [dans la tradition basque], tous les éléments nécessaires à une rénovation ou, mieux, à l’affirmation […], d’un processus architectural continu. » (Godbarge, 2, 1931, p. 78).

Il faut dire que pour de nombreux régionalistes, la poursuite des traditions régionales devait être le point de départ indispensable d’une esthétique moderne. C’est du moins de la sorte qu’au lendemain de la guerre, Marc Varenne (1877 – inc.), dans un article consacré au meuble provençal paru dans la revue La Renaissance de l’Art français et des Industries de

luxe en 1920, avait présenté l’influence de la tradition provençale sur les créateurs

contemporains :

Déjà en 1890, J. Charles-Roux avait présidé à l’installation d’une galerie du mobilier provençal au cercle artistique de Marseille et, en 1906, dans une section de l’exposition organisée dans notre grand port méditerranéen il avait montré, en mettant sous les yeux de tous des modèles de l’ébénisterie provençale, quel art charmant et original était celui des maîtres menuisiers d’autrefois, des fustiers, dont nos artisans modernes doivent s’inspirer afin de continuer la bonne et saine tradition du meuble régional. » (Varenne 1920, p. 524).

Auparavant, lors du premier congrès international des Arts Décoratifs, organisé du 19 au 24 juillet 1913 à Gand en Belgique l'Union Provinciale des Arts Décoratifs, Jules Destrée (1863 – 1936) auteur du texte la Lettre au roi, répondant à l’allocution du nouveau président du bureau de l’Union, le sénateur Émile Humblot, avait pu expliquer qu’afin d’élaborer un art décoratif moderne et social les créateurs devraient s'attacher au sol et êtres de leur région56.

Dans cette allocution, Destrée, revenant sur le « le goût malencontreux d'un faux bien- être, d'un faux luxe » qui entrainait « le public vers des imitations d'œuvres du passé », expliqua que « l'idée de beauté doit s'incorporer à la conscience collective » (Destrée 1913, p. 18). Cette beauté qui, selon lui, ne se trouvait non dans les « immeubles de rapport » tout autant que dans « les races, les mœurs et les climats » (c.f. annexe 46). Cette beauté surtout

56 Une idée que le maire de Joinville défendit au Sénat lors d’un discours prononcé le 27 juillet 1920 sur les arts appliqués et le budget des Beaux-Arts.

qui, selon Humblot, était menacée par une centralisation contre laquelle devaient se battre les artistes et les artisans régionaux afin de préserver les anciennes traditions décoratives.

La tradition pour valeur plastique.

Aussi, tandis que la connaissance des anciennes traditions régionales devint, de fait, la condition sine qua non de l’élaboration d’un art décoratif moderne, il semble, au regard de l’article de Vaillat ou des propos de Godbarge et d’Humblot, que la notion de « tradition » passa concurremment pour une inédite valeur plastique rassemblant l’ensemble des prédicats esthétiques dont les cultures populaires avaient été jusque-là l’objet.

En 1931, Henri Godbarge, dans Arts basques anciens et modernes, s’était justement intéressé à la question des origines de l’art basque cela afin de distinguer « entre la part qui revient à la survivance d’arts voisins et celle qui est créée par l’apport et la stylisation purement ethniques. » (Godbarge, 1, 1931, préface). Toutefois, la démarche qui animait l’architecte n’avait pas pour seul objectif une meilleure connaissance historique des caractéristiques ataviques l’art euskarien, mais visait à connaître et à sélectionner les éléments qui pourraient être employés dans les programmes néo-basques. Puis l’architecte, dans un autre chapitre, se pencha alors au domaine décoratif et expliqua que la plupart des

« vieux intérieurs euskariens […] étaient fort simples, des murs nus, quelques portes inspirées de la Renaissance, quelques rares lambris semblables aux portes, des plafonds aux poutres apparentes […]. Thèmes non seulement simples, mais pauvres, car ils furent plutôt rudiments que sources d’inspiration. Toutefois, ils servirent de point de départ et permirent des essais et des réussites dignes de remarques et d’éloges, car ces rénovateurs modernes comprirent qu’ils devaient plus s’attacher à l’esprit qu’à la lettre de ces arts euskariens » (Godbarge, 1, 1931, p. 104).

Aussi, faire de la tradition rurale une donnée plastique devait amener, pour de nombreuses personnalités de l’époque, les créateurs à ne pas reproduire les erreurs de l’historicisme du siècle passé ou à éviter encore les copies serviles et les pastiches stériles. Cela d’autant plus que le régionalisme n’était pas un traditionalisme et que ses adeptes les plus convaincus esperaient bien le démontrer. M. de Fourcaud, lors du Congrès de la Tradition basque, avait justement invectivé les artisans basques :

« N’imitez rien du dehors : soyez en tout ce qu’il est en vous d’être ; vivez sur le fond de votre nature et n’acceptez comme des progrès que ce qui est conforme à vos authentiques, à vos fondamentales aspirations – en un mot, soyez de plus en plus soucieux de vous bien connaître et, pour y parvenir, prenez assidûment conscience de vos traditions. Rappelez-vous qu’il n’est pas question de revenir vers le passé et d’en pasticher les formes, mais qu’il sied de profiter fidèlement des leçons du passé, en ce qu’elles gardent de libre et de naïf » (Discours prononcé à Saint-Jean-de-Luz à l’occasion de l’ouverture du Congrès de la Tradition basque in La tradition en Pays Basque, Ethnographie, Folklore, Art populaire, Histoire, Hagiographie, Congrès à l’initiative de la Société d’Ethnographie nationale et d’Art populaire, Saint-Jean-de-Luz, , 1992, p. 6).

Quelques années plus tard, Henri Godbarge, dans un article paru dans la revue

L’Architecte, avait ainsi différencié régionalisme et historicisme en expliquant que l’une « des

particularités du régionalisme, ce n’est pas le pastichisme étroit et servile de l’ancien, mais l’interprétation individuelle, selon les tempéraments différemment reflétés par des manières diverses, non pas de la lettre, mais de l’esprit général et surtout ethnique qui a présidé aux créations anciennes. » (Godbarge, 2, 1931, p. 80).

Auparavant en 1921, Henri Clouzot dans un article consacré au sculpteur Jean Baffier (1851 – 1920) paru dans la revue La Renaissance de l’Art français et des Industries de luxe, avait justement expliqué que puisque Baffier puisait son inspiration dans le culte de la terre, celui-ci devait être considéré comme un artiste qui avait su conserver « une originalité et une conscience qui se perdent bien vite à Paris » (Clouzot, 2, 1921, p. 22). Toutefois, à la différence des anciens artisans régionaux et compte tenu que l’isolement des régions françaises était désormais impossible autant que la suppression du chemin de fer, de l’automobile, des musées, ou des revues d’art étaient inenvisageables, Baffier n’appartenait pas, selon Clouzot, à une veine traditionaliste mais, était, avant tout, un artiste régionaliste. Plus exactement, un créateur qui avait su continuer et adapter une tradition décorative locale (Clouzot, 2, 1921, p. 22). Pourtant, au regard des liens unissant l’œuvre de Baffier aux anciennes créations berrichonnes – relation uniquement iconique si l’on en croit Clouzot : « Les éléments décoratifs de ses fleurettes ou de ses plantes se retrouvent dans toute la France […]. Quant à ses figures paysannes, le costume, ou, pour mieux dire, la coiffe seule, les rattache au Berry » (Clouzot, 2, 1921, p. 21) –, il est manifeste que Baffier avait surtout cherché à figurer une certaine continuité entre tradition régionale et création contemporaine.

Au regard de l’œuvre de Baffier et de sa qualification de « régionaliste », il semble donc que le développement d’une esthétique du local dans les arts décoratifs aurait suivi une double dynamique. Les créateurs auraient d'abord été conduits à s'intéresser aux traditions

locales selon une perspective rationaliste – la création de modèles répondant à des besoins dictés par des nécessités locales –, puis selon une logique ouvertement régionaliste. Une logique au sein de laquelle la poursuite des pratiques décoratives régionales devait amener à la figuration d’un lien plus ou moins direct avec l’idée de ce que l’époque se faisait alors des univers vernaculaires.

Les particularismes locaux pour tradition.

De concert avec cette célébration du régional dans le national, un grand nombre d'érudits locaux et de « touristes » entamèrent alors des catalogues exhaustifs des éléments constitutifs de ces « nouvelles » singularités régionales, qui allaient dorénavant être présentées comme les emblèmes et les symboles de la Nation. A la suite d'une longue tradition de littérature de voyage dans laquelle le pittoresque était quasiment devenu une norme littéraire – en 1835 Prosper de Lagarde, quelques années avant le célèbre Les Pyrénées de Victor Hugo (1802 – 1885), avait publié Voyage dans le Pays basque et aux Bains de Biarritz –, plusieurs auteurs, tels que Wenthworth Webster (1828 – 1907) pasteur anglican installé à Sare depuis 1882, associèrent les populations à leurs terroirs et définirent ces derniers en entrelaçant des données géographiques et historiques, des considérations anthropologiques ainsi que diverses attentions ethnologiques57.

Aussi, du moment où les premières enquêtes dédiées aux univers populaires avaient présenté les productions vernaculaires comme l'héritage d'une communauté rongée par de profonds bouleversements, il ne restait plus aux élites locales ou aux voyageurs de passage qu'à ériger la classe paysanne locale en symbole d'une société rurale confrontée à une modernité galopante dépourvue de repères. De fait, alors que les paysans et les singularités régionales passaient dorénavant pour les preuves de la grandeur du pays, ils devinrent, par là même, les symboles de son historicité. Camille Jullian (1859 – 1933) avait d’ailleurs reconnu

57 Louis Ramond de Carbonnières (1755 – 1827), figure importante du mouvement de découverte de la chaîne pyrénéenne, proposa, dès 1789 l'une des premières et des plus notables apologies du peuple basque. Pour ce dernier, « celle-ci apparaît comme une sorte de conclusion à ses Observations faites dans les Pyrénées..., œuvre majeure de la littérature de voyage du XVIIIe siècle, qui aura une influence énorme sur le regard porté sur la chaîne durant plus d'un siècle. Ramond de Carbonnières, cependant, ne visita jamais le Pays Basques ; ses ''explorations » » pyrénéennes se limitèrent aux régions comprises entre le massif de la Maladetta et celui du Mont-Perdu. Son évocation des Basques fut ainsi essentiellement alimentée par des sources littéraires – parmi lesquelles figure probablement en bonne place l'œuvre de l'historien Oihenart – réinterprétées à la lumière de son expérience auprès des autres peuples pyrénéens. » (Briffaud 1997, pp. 28 – 29).

dans un numéro de la revue basque Gure Herria de 1926, « que le peuple basque a, à un très haut degré le sens de la tradition et qu’il excelle à conserver, à « embaumer » ce qu’il adopte » (Courteault 1926, p. 8).

Auparavant, dans sa Leçon d’ouverture du Cours d’histoire et d’antiquité nationales qui se déroula le 7 décembre 1906 au Collège de France, Jullian avait expliqué que : « les ruines des monuments ne témoignent pas seulement de la main d’un ouvrier, du plan d’un architecte, mais aussi des sentiments d’un peuple ; elles reflètent, pour une partie, l’esprit d’une génération d’hommes » (Jullian 1906, pp. 3 – 4). Déjà, Henri O'Shea (1838 – inc.), dans

La maison basque, s'était, quant à lui, plu à constater l’originalité de la langue et des

différentes « expressions culturelles » euskariennes dont il avait aussitôt expliqué les archaïsmes par une théorie évolutionniste largement influencée par les préceptes d'Hyppolite Taine (1828 – 1893) et sa notion de « température morale »58.

En prenant pour postulat que l’existence des diversités régionales était le fruit de la conjonction du milieu et de ses occupants, les idées positivistes participèrent ainsi au développement d’une sensibilité nouvelle aux créations vernaculaires. Toutefois, au-delà de leur seule collaboration à un mouvement qui contribua à l’élaboration de la notion d’« art populaire », les principes inspirés par Taine firent, de concert avec le succès d’une sensibilité régionaliste, de l’idée de diversité une authentique donnée esthétique. Thiébaut Flory n'avait-il pas reconnu, dans Le mouvement régionaliste français : sources et développements, que « l’acceptation d’un certain déterminisme [et] la reconnaissance du principe de continuité, [...] sont les deux aspects de [la] philosophie positiviste qui ont profondément imprégné la doctrine régionaliste » (Flory 1966, pp. 33 – 34). L'une procédant nécessairement de l'autre. D'ailleurs, Selon Flory

« le régionalisme en rattachant l’homme à son milieu, en l’épanouissant dans le cadre régional, est en effet fidèle à la philosophie positiviste. L’homme est en quelque sorte « déterminé » par son milieu régional, et le

régionalisme ne fait que répondre aux exigences de ce déterminisme » (Flory 1966, pp. 34-35) 59.

58

En 1881, Taine expliqua dans Philosophie de l'art que « De même qu’il y a une température physique qui, par ses variations, détermine l’apparition de telle ou telle espèce de plante, de même il y a une température morale qui, par ses variations, détermine l’apparition de telle ou telle espèce d’art ». Le rayonnement de la pensée positiviste fut alors tel dans la société française de la première moitié du XXe siècle que la célèbre formule de l'auteur de Voyage aux Pyrénées, « la race, le milieu, le moment » servit régulièrement de justification à un discours célébrant les disparités régionales, nouvelle assise de la grandeur du pays.

59 Longtemps entendu comme la source théorique d'un régionalisme artistique, le positivisme occupa une place singulière dans le champ artistique de la première moitié du XXe siècle. Il faut dire que cette idéologie fut, durant tout le premier quart du siècle, librement adaptée à divers projets de rénovation des arts français et

Elevée au rang de norme esthétique, la notion de « tradition » et à travers elle les pratiques décoratives les plus originales et emblématiques des arts vernaculaires devinrent ainsi les éléments d’un inédit répertoire décoratif qui ne tarda pas à se structurer autour d’un dense corpus théorique.

Le corpus théorique.

En 1931, Henri Godbarge fit justement de la notion de « diversité » un élément esthétique au fondement même de la démarche qui devait animer les architectes régionalistes. Selon lui, à un moment où les constructeurs devaient tenir compte des anciens styles régionaux, ceux-ci ne devaient pas oublier que « Chacune de nos régions possède un style particulier déterminé par les matériaux dont elle dispose, le climat, le sol, les influences artistiques, les traditions artistiques » (Godbarge, 2, 1931, p. 73). Auparavant, en 1911, Vaillat avait expliqué les notions de « diversité » et de « localité » :

« La localité, autrefois en architecture – et j’entends par ce mot la différenciation des édifices suivant le climat, les coutumes, les provinces, – était une loi parfaitement observée. Sauf en ce qui concerne les palais qui ont une destination représentative plus qu’utilitaire, et encore ! les édifices du passé sont toujours rigoureusement adaptés aux nécessités climatiques et harmonisées avec le paysage qui les entoure : la prédominance de tel vent, la moyenne des pluies, la chute des neiges, une ligne de colline à l’horizon, un terrain en pente, voilà qui détermine un mur plein, la pente d’un toit, une silhouette. Il est impossible de confondre les maisons de Bretagne, du Dauphiné, de Normandie, de l’Artois, de la Bourgogne, du Languedoc ou de la Provence ; la vie de ces provinces se reflète exactement dans leurs anciennes habitations. Les nécessités auxquelles obéissaient les constructeurs n’ont pas, que je sache, sensiblement changé ; il tombe, à peu de chose près, autant de neige en Savoie, au XXe siècle qu’au moyen âge » (Vaillat, 3, 1911, p. 131).

joua notamment un rôle fondamental dans la naissance d’une esthétique rationaliste. En 1907, Charles Plumet en fit, dans les pages de la revue L'Art et les Artistes, le fondement d’une logique artistique teintée de préoccupations régionalistes et dans laquelle le pittoresque devait incarner une inédite valeur plastique : « Lorsque les architectes comprendront que leur rôle n’est pas de composer en assemblant des éléments choisis dans d’autres architectures, mais, au contraire, de créer des formes découlant des besoins, ils feront œuvre originale, et la beauté résultera tout naturellement de la logique avec laquelle ces besoins sont traduits. Certaines maisons de paysans perdus dans les replis des vallons helvétiques sont des exemples probants de cette théorie ; nous avons vu que ces habitations formées d’éléments disparates qui ne rappellent aucun motif d’architecture et qui, par leur pittoresque et leur imprévu logique, présentent des ensembles absolument parfait. » (Plumet, 2, 1907, p. 265).

Huit ans plus tard, Émile Bayard se lança, à son tour, dans la conception d'une théorie