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Du musée à l’atelier : l'Art populaire et la formation d’une « esthétique du local »

Partie I : De la naissance d'une « esthétique du local » à l’invention de traditions décoratives

Chapitre 1 : Vers un nouvel art national Genèse et développement d’une esthétique du

1.1. Du musée à l’atelier : l'Art populaire et la formation d’une « esthétique du local »

Alors que la première moitié du XIXe siècle avait consacré, en France, la naissance d’une « archéologie régionale » animée d’un intérêt tout particulier pour le monument et les « vestiges celtiques », la seconde partie du siècle assista à l’édification d'une « mémoire patriotique » bâtie sur les ruines imaginaires des anciennes cultures populaires (Poulot 1994, p. 13)11. Désormais, les communautés rurales ne furent plus seulement jugées à travers l’étrangeté de leurs mœurs et de leurs usages, mais comme les vestiges d'un passé agraire déjà mythifié notamment grâce au succès du roman rustique et par une première entreprise d’esthétisation des mondes populaires conduite, dès 1840, par certains peintres et sculpteurs du Salon. Une entreprise qui, en réalité, trouvait son origine dans le succès du roman pastoral dont l’un des plus célèbres exemples demeure L’Astrée. Ouvrage fleuve de plus de cinq mille pages, publié entre 1607 et 1627 par Honoré d’Urfé (1567 – 1625), qui avait initié dans les arts, notamment au travers de la réalisation de nombreux cartons de tapisserie, une nouvelle approche de la référence rurale. Concurremment à un processus de célébration de la pureté et de l’originalité des mœurs et des coutumes vernaculaires, les communautés agraires et plus particulièrement leurs productions orales et matérielles devinrent, grâce aux différents travaux conduits par les nouvelles sociétés de folklore, les gages de la richesse culturelle du pays et les preuves de l’historicité de son passé. Ce mécanisme de célébration des singularités rurales, étroitement mêlé au processus de construction des États-nations européens au cours de la seconde moitié du XIXe siècle ainsi qu’à l’invention de la notion de « petite patrie » et à la définition des nationalismes, entraîna de fait un véritable processus de normalisation du populaire.

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Dans sa Leçon d’ouverture du Cours d’histoire et d’antiquité nationales au Collège de France, le 7 décembre 1906, Camille Jullian (1859 – 1933) entérina justement cette nouvelle destination de l’étude des cultures populaires : « les ruines des monuments ne témoignent pas seulement de la main d’un ouvrier, du plan d’un architecte, mais aussi des sentiments d’un peuple ; elles reflètent, pour une partie, l’esprit d’une génération d’hommes » (Julian 1906, pp. 3 – 4).

La patrimonialisation du populaire.

À la suite de la débâcle de 1870, de nombreuses personnalités, à l’image d’Ernest Renan (1823 – 1892), en fondant leur modèle idéal de société sur les communautés rurales traditionnelles, participèrent à l’élaboration d’une nouvelle communauté symbolique. Le discours que Renan prononça le 11 mars 1882 en Sorbonne intitulé Qu'est-ce qu'une nation fut parfaitement symptomatique de cette association du régional dans le national. D’une filiation symbolique qui conduisit les mœurs et les coutumes populaires à devenir les nouveaux symboles de l'unité historique du pays, symptôme également, selon Michel de Certeau, de l’engouement rusticophile qui s’était alors emparé de la nation (De Certeau 1993, p. 48). L’ensemble des pratiques et des productions vernaculaires fut de la sorte présenté comme participant de la sphère patrimoniale selon « une double grille historique (l’intrapolation des thèmes garantit une communauté d’histoire) et géographique (leur généralisation dans l’espace atteste de la cohésion de celui-ci) » (De Certeau 1993, p. 53).

Aussi, lorsque Frédéric Mistral fonda le Museon Arlaten, celui-ci déclara, à propos des collections censées figurer un panorama de la Provence rhodanienne, que c’était « la meilleure leçon d’histoire et de patriotisme et d’attachement au sol et de piété ancestrale qu’on puisse donner à tous » (Duclos et Veillard 1992, p. 129). Les coutumes et les créations populaires, en devenant les porte-étendards d’une nouvelle identité nationale furent, de la sorte, investies d'une dimension parabolique forgée à partir du récit de la disparition des anciennes sociétés agraires ainsi que d’une fonction symbolique fondée sur leur valeur supposée d’exemplarité et intégrèrent, de fait, la sphère patrimoniale et le domaine de la référence identitaire. Dominique Audrerie a d'ailleurs parfaitement résumé ce processus, dans

Question sur le patrimoine, en expliquant qu'au

« fur et à mesure que les pratiques ou les activités disparaissent la conscience se fait plus forte de leur dimension historique. La crise d’identité rend plus urgent le maintien de souvenirs, dont l’usage tend à s’altérer » (Audrerie 2003, p. 21).

Le dernier tiers du XIXe siècle assista ainsi à la constitution des premières collections d’objets populaires intimement liées, selon Robert Goldwater, aux premières études dédiées à l’analyse des décors considérés comme primitifs et au travail accompli par de nombreuses

sociétés savantes (Goldwater 1988, p. 45)12. Les recherches consacrées aux survivances supposées d’un archaïsme national entrainèrent alors un long processus de « patrimonialisation du folklore » dont l’une des étapes fondamentales demeura la présentation, lors des grandes expositions internationales, de collections d’objets vernaculaires. La présentation de ces objets consacrant un phénomène de « patrimonialisation » qui s’apparentait, selon Dominique Poulot, « à un processus de (re)découverte des richesses culturelles des nations » qui serait lui-même lié à une certaine acceptation de la disparition des cultures populaires et à leur assimilation au sein d’une histoire nationale. Phénomène que Dominique Poulot nomma la « mort du passé » (Poulot 1994, p. 13). Thierry Bonnot a justement relevé en 2002 que le mouvement de fondation des musées régionaux, entre le XIXe et le XXe siècle, était intimement lié à un désir de mettre en valeur des « coutumes et des traditions vouées à la disparition du fait de l’industrialisation. » (Bonnot 2002, p. 127). Ce processus de « mise à mort » des éléments considérés comme emblématiques des cultures rurales les réduisit, alors, au statut de souvenirs nostalgiques tout en les vidant de leurs sens et de leurs destinations originels13. Ce qu’avait justement décrit, en 1978, Raymonde Moulin dans « La genèse de la rareté artistique » en dévoilant comment la présentation d’objets jusque-là considérés comme participant d’une « sphère utilitaire » dans certaines collections avait entraîné une « reconnaissance sociale de ‘‘defonctionnalité’’ » (Moulin 1978, p. 245). Un processus par lequel l’objet se trouva revalorisé par son inutilité et intégra « un statut symbolique plus élevé que celui, trivial, de l’objet utilitaire. » (Bonnot 2004, p. 155). En 1916, l’anthropologue suisse, Eugène Pittard (1867 – 1962), avait justement expliqué dans la préface du catalogue Genève, le Rhône et les Alpes, à travers la collection

Amoudruz, que

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C’est justement ce que révéla Jean-Claude Chirollet dans Les mémoires de l’art à propos de l’extension des études d’esthétique à tout type d’objet durant le XIXe siècle. Selon lui, ce fut « le développement de l’ethnographie scientifique » qui entraina un « intérêt scientifique pour la classification et le catalogue de ces objets et œuvres d’art populaire » (Chirollet 1998, p. 117). Les travaux conduits par des groupements – tels que la Société d’ethnographie nationale et d’art populaire (fondée en 1895), la Renaissance provinciale (créée en 1896) ou encore les revues comme la Revue d’anthropologie publiée sous la direction du Docteur Paul Brocca (1824 – 1880), la Revue celtique et Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, tradition et usages fondés respectivement par Henri Gaidoz (1842 – 1932) en 1871 et 1877 ainsi que la Revue des traditions populaires, publiée entre 1886 à 1918 par Paul Sébillot (1843 – 1918), fondateur et président des « Dîners Celtiques » régulièrement fréquentés par Ernest Renan –, succédant à près d'un demi-siècle de collectes et d'inventaires dédiés au recensement des us et coutumes locales, accréditèrent ainsi l’idée selon laquelle la notion de « diversité » était au cœur de l’histoire de la nation, mais légitimèrent surtout ce mécanisme de fondation symbolique d’un État moderne à partir des vestiges supposés d’un monde agraire tout en contribuant activement à la modification des valeurs qui étaient alors attachées aux productions matérielles populaires.

13 Selon Henri-Pierre Jeudy, c’est, en effet, dans un univers du « déjà vu » et du « déjà là » que se développe le processus de mise en scène muséographique (Jeudy 1999, p. 18).

« Cet art rustique, cet art populaire qui est tout d’abord l’art du paysan et du berger, est une des expressions ethnographiques les plus séduisantes qui soient. Presque toujours il ne doit rien à des influences d’académies, d’écoles, d’éducations dirigées. […] Le gardien de chèvre qui, de la pointe de son couteau sculpte et grave son bâton de berger, n’est-il pas le type même du Préhistorique qui, dans l’immense recul du temps, imagine la première sculpture et la première gravure, cet artiste primitif qu’imitèrent ensuite les autres hommes. » (Eugène Pittard, préface du catalogue Genève, le Rhône et les Alpes, à travers la collection Amoudruz, Genève, Musée ethnographique, 1916, p. 18 in Dufournet 1981, p. 53).

Aussi, comme l’expliquait Henri-Pierre Jeudy, la mort ne met un terme à rien, elle ouvre, au contraire, les portes de l’éternité dans la mesure où l’on s’acharne généralement à produire des traces qui devront rester pour les temps futurs (Jeudy 1999, p. 131).

La beauté du mort et l’esthétisation du populaire.

Du moment où l’on annonça la mort de l’art paysan devant les coups du boutoir d’une modernité transportée par le chemin de fer, on fit de ces expressions les traces d’un passé disparu dont on devait désormais à tout prix conserver le souvenir. Les arts primitifs et plus particulièrement les expressions rurales devinrent de la sorte les arts d’un passé (en de nombreux cas d’un passé très récent) et perdirent de la sorte, selon Robert Goldwater, une « partie de leur fonction antérieure en tant que documents pour l’étude des cultures primitives contemporaines » (Goldwater 1988, p. 28)14. Ceci à la fois libéra et souligna leurs valeurs purement formelles. À ce titre, la composition de la section X de l'Exposition universelle de 1867 est tout à fait symptomatique de la nouvelle mission assignée aux différents processus de présentation des objets populaires. On avait, en effet, adjoint à une section de produits manufacturés destinés à une clientèle populaire une présentation d'anciens costumes paysans afin de figurer la filiation entre passé et présent. Rappelons-nous que le musée est non seulement le lieu où les objets changent de dénomination, mais également l’endroit « où une culturelle matérielle est élaborée » (Poulot 1994, p. 22). Pierre Bourdieu, dans Les règles de

l’art, s’était justement intéressé au rôle joué par les musées sur l’évolution et la modification

14 Isabelle Collet expliqua ainsi, dans « Les premiers musées d’ethnographie régionale en France », que lors de la création à Quimper d’un « musée des costumes bretons » initié par l’archiviste et conservateur du musée archéologique de la ville René-François Le Men (1824 – 1880) et par la Société d’archéologie du Finistère, les mannequins avaient été rassemblés et modelés par le peintre Alfred Beau (1829 – 1907) (Collet 1987, p. 81). Voir Erwan Le Bris du Rest, « Alfred Beau et la noce bretonne, céramiste et muséographe » in Quimper, trois siècles de faïence 1690 – 1990, Quimper, Musée des Beaux-Arts, 1990, pp. 130 – 133 ; Philippe Le Stum, « Le Musée d’ethnographie et la sortie de noce » in Les costumes traditionnels du Finistère, Quimper, Musée départemental breton, 1996, pp. 14 – 16.

des valeurs attachées aux œuvres d’art et avait reconnu que si

« elles favorisent l’accroissement du public des œuvres culturelles [...], les institutions publiques, qui comme les musées […] en amenant les œuvres à leur contexte originaire, les dépouilles de leurs diverses fonctions religieuse ou politique, les réduisant ainsi […] à leur fonction proprement artistique. » (Bourdieu 1992, p. 404).

Le mouvement de fondation des musées d’ethnographie régionale est, à ce titre, remarquable quant à l’ambivalence des buts poursuivis par ces institutions. Il faut dire que la plupart des promoteurs de ces nouveaux musées avaient associé une volonté de conservation des traces des anciennes communautés agraires à une entreprise de réduction des coutumes et des productions rurales à un ensemble d’objets désormais coupés de leurs cultures d’origines. Processus dont les étapes les plus importantes furent la fondation du musée des costumes bretons à Quimper en 1874, du Museon Arlaten en 1896 à Arles, du Musée basque à Bayonne en 1922, puis la création du Musée national des Arts et des Traditions populaires de Paris en 1937 et dont le point d'orgue fût la concession, lors de l'Exposition Universelle de 1900, en bordure de l’esplanade des Invalides de plusieurs terrains à des comités régionaux (Berry, Poitou, Auvergne, Provence, Bretagne). Processus qui avait d’ailleurs été violemment critiqué en 1925 par Le Corbusier (1887 – 1965) dans L’art décoratif d’aujourd’hui. L’architecte s’en était justement pris au processus de sacralisation des collections dans les musées et notamment au « sentiment d’admiration automatique » ainsi qu’au « dénuement de sens critique » du public devant des objets mis sous vitrine et qui étaient par ce fait consacrés comme objets esthétiques (Le Corbusier 1925, pp. 18 – 19).

Or, suite à leur exposition dans des espaces aussi connotés que pouvaient l’être les musées ou les grandes manifestations internationales les créations populaires furent alors affublées d’inédites valeurs esthétiques et symboliques. Jusque-là appréhendées à partir des mêmes critères que ceux utilisés par les missions d'observations conduites en Afrique Noire ou en Asie – Isabelle Collet a justement relevé que l’« ethnographie » s’appliquait alors aussi bien aux objets d’origine locale qu’à ceux de provenance lointaine. » (Collet 1987, p. 78) – furent désormais l'objet d'une approche inédite mêlant considérations ethnographiques et attentions esthétiques15.

15 Voir Jean-Marie Schaeffer, « Objets esthétiques ? » in L'Homme. Revue française d'anthropologie, n° 170, avril – juin 2004, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, pp. 25 – 47.

La collection Champfleury : un cas d’école.

L’histoire d’une des plus précoces et des plus célèbres collections privées d’objets dits populaires est d’ailleurs particulièrement éloquente de l’évolution des valeurs symboliques et esthétiques qui avaient été attachées à ces objets entre le début et la fin du XIXe siècle. Longtemps entendue comme le fruit de l’intérêt personnel que l’administrateur de la Manufacture nationale de Sèvres avait nourri pour les expressions populaires, la collection Champfleury, semble, au contraire, avoir été constituée grâce à un dense réseau d’amateurs et de marchands. Indice particulièrement révélateur de l’intérêt d’un certain public pour les faïences anciennes. Phénomène nouveau, car lorsque M. Grasset, maître de forges à la Charité-sur-Loire, avait souhaité offrir ses collections de faïences à Nevers afin d’y fonder un musée, ses vœux ne reçurent aucun écho et celui-ci fut amené à s’en séparer en 1847 sans véritable succès.

Après l’acquisition de plusieurs pièces provenant de cet ensemble, Champfleury constitua une collection de plusieurs centaines de faïences et publia Histoire des faïences

patriotiques sous la Révolution en 1867. Plus tard, en 1881, dans son introduction à la

première Bibliographie céramique, Jules François Félix Fleury-Husson (dit Jules Champfleury 1821 – 1889) expliqua alors qu'

« il était réservé au XIXe siècle, d’entrer de plain-pied dans l’histoire des arts céramiques […], d’en donner l’historique, d’étudier en même temps les grands centres comme leurs plus petits réseaux et d’en faire pressentir la renaissance (Champfleury 1881, p. 6).

Ce fut le début d’un véritable engouement pour les faïences anciennes. En 1876, Léon- Auguste Asselineau (1808 – 1889) publia Céramique du moyen âge et de la Renaissance tandis qu’Albert Jacquemard (1808 – 1875) et Edouard Garnier (1840 – 1903) éditèrent respectivement, en 1893, une Histoire de la céramique et un Dictionnaire de la céramique. Point d’orgue de ce mouvement, la dispersion de la collection Champfleury, les 28 et 29 avril 1890 à Paris. Lors de cette vacation, la ville de Paris fit l’acquisition d’une centaine de faïences destinées au musée Carnavalet entérinant le nouvel intérêt suscité par les productions populaires.

Le succès de la dispersion de la collection de l’administrateur de la Manufacture nationale de Sèvres montra ainsi que les créations populaires n’étaient désormais plus seulement propres au domaine de l’ethnographie, mais participaient également du champ

esthétique. Déjà, la publication, en 1863, de l’ouvrage de Louis Du Broc de Seganges (1856 – 1885), Les faïenciers et émailleurs de Nevers, avait contribué à la modification du regard porté sur ces œuvres de terre. Deux ans plus tard, la parution de l’Essai de classification des

poteries normandes des XIIIe, XIVe et XVe siècles d’André-Ariodant Pottier (1799 – 1867)

participa d’un mouvement en faveur de la redécouverte des anciennes faïences françaises qui ne se démentait plus. En 1872, Marcellin Auguste Alexandre Mareschal put ainsi expliquer, dans La Faïence Populaire au XVIII siècle. Sa forme, son emploi, sa décoration, ses couleurs

et ses marques, que

« l’on a dédaigné de nous montrer jusqu’à présent et dont on n’a jamais dit un mot aimable, ce sont ces faïences populaires, pâle reflet sans doute des grandes pièces dont il vient d’être parlé, mais qui n’en sont pas moins l’expression exacte des mœurs de leurs temps et qui ont tout le caractère que leur demandaient ceux qui ne ressentirent peut-être jamais le besoin d’en posséder de plus belles.

À l’époque où ces faïences se fabriquaient pour le peuple, ce dernier était encore bien au-dessous de l’échelon d’où les seigneurs d’alors laissaient complaisamment tomber sur lui quelque rare sourire, et la fortune usant du même procédé, le paysan n’eut que bien tard la possibilité de posséder partie de ces richesses qu’il ne devait jamais convoiter.

[…]

Ce fut alors que, sans descendre la gamme de ses couleurs, mais seulement en simplifiant l’ornementation de ses produits, le fabricant de faïence répandit dans les campagnes cette intéressante variété de types que l’on retrouve aujourd’hui.

Rarement inspiré par les plus beaux modèles, le dessinateur a su conserver dans la décoration de cette faïence populaire, un faire souvent original, un goût primesautier, une entente de couleur très souvent remarquable, et certains traits d’analogie avec la palette des artistes en renom.

À peine la mode eut-elle remis en faveur les beaux produits dont nous avons parlé au commencement de cet article, qu’une curiosité naissante s’en mêlant, on voulût l’historique de ceci ou de cela, on se passionna vite pour telle ou telle fabrique » (Mareschal 1872, pp. 3 – 4).

Mareschal, particulièrement soucieux d’attirer l’attention de son lectorat sur les indéniables qualités esthétiques des faïences populaires, se mit alors à conjecturer de l’avenir de la décoration populaire : « Nous allons maintenant essayer d’attirer l’attention sur ce qu’il y a d’intéressant au point de vue de l’art, dans ces pauvres faïences qui serviront un jour de modèles aux chercheurs intelligents. » (Mareschal 1872, p. 4). Simultanément à ce processus de redécouverte des anciennes productions de faïence stannifère, la presse et plusieurs auteurs élaborèrent, dès le milieu du siècle, une nouvelle mythologie nationale, reposant sur la création d'un inédit panthéon composé de figures historiques et notamment celle de Bernard Palissy :

« l’engouement croissant pour le Moyen Âge et la Renaissance […]; l’amour du drame et du pittoresque ; l’essor de l’Histoire, le souci patriotique de substituer aux Héros de l’Antiquité classique les grands hommes issus du sol national – tout concourut, en effet, à conférer à Maître Bernard le nimbe héroïque du martyr » (J. Gleississon dans Bernard Palissy mythe et réalité, Musée de l'Echevinag Saintes, 1990 in Leyzour et Oger 2002, p. 20)16.

Une mythologie qui fut diligemment mise au service des créateurs contemporains.

L’Illustration datée du 28 août 1847 consacra ainsi un article à Charles Jean Avisseau (1796 –

1861) qui, en réactualisant selon le modèle classique de Plutarque les topoi biographiques de la Renaissance, évoqua la vie du céramiste à partir d’un jeu d'analogies avec la vie et les œuvres de Palissy (Leyzour et Oger 2002, p. 20). Cette évolution du regard jusque-là porté sur les productions vernaculaires fut d’ailleurs particulièrement perceptible dans une plaquette intitulée Le musée d'ethnographie scandinave à Stockholm : fondé et dirigé par Artur

Hazelius : notice historique et descriptive rédigée par Jules-Henri Kramer (1827 – 1910) et

Artur Hazelius (1833 – 1901) en 1879 à la suite des présentations suédoises lors de l'Exposition universelle parisienne. Dans celle-ci, Jules-Henri Kramer expliqua justement la nécessité pour chaque peuple de posséder un musée d’ethnographie afin de conserver un lien avec son passé et de trouver des modèles et des motifs permettant de garder la légitimité de ses expressions artistiques.

Le dernier tiers du XIXe siècle assista ainsi à l’émergence d’une nouvelle notion esthétique celle d’« art populaire » qui allait diligemment être transposée sur le terrain de l’expérimentation artistique.

De l’art populaire à l’art rustique.

Aussi, tandis que les objets populaires avaient jusque-là été traités comme des éléments informatifs renseignant le passé lointain de la nation tout en ayant une fonction de