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LA THEÂTRALISATION DE DON QUICHOTTE DANS L’HOMME QUI N’Y ETAIT POUR RIEN DE M’HAMED BENGUETTAF

2.1.2.1. Thèmes donquichottesques

a. La folie livresque

L’analogie la plus évidente entre Quichott, l’homme qui n’était pour rien est Don Quichotte réside dans le thème principal qu’ils ont en commun : l’influence de la lecture romanesque sur le comportement des protagonistes qui sombre dans une folie livresque. En cela, la pièce de Benguettef parait comme une variation sur ce thème qui émaille toute la pièce. Ainsi, sur la quatrième de couverture, il est écrit : « Le célèbre chevalier de la Manche (...) se nourrissant de

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ses lectures romanesques pour plonger dans une sorte de délire » Mais quels types de livres sont

responsables du délire de Quichott ?

Le livre dont il est question dans la pièce de Benguettaf est bien celui de Don Quichotte, car la folie de Quichott est liée essentiellement au caractère fictif du roman cervantin, qui emporte son imagination et l’invite à s’identifier avec le personnage de Cervantès. Ce n’est pas par hasard si le protagoniste de la pièce se nomme Quichott et récite et cite constamment Don Quichotte comme l’affirme cette didascalie de la première scène où Quichott donne à lire à son ami Pancho le livre de Cervantès « Constatons la surprise de Pancho, il lui tend le livre de

Cervantès. »(QLR, 18) Ici, Benguettaf fait de Pancho un personnage lettré contrairement à son

modèle de référence qui était illettré et ignorant Il lui fait lire des passages entiers du premier chapitre de la première partie de Don Quichotte.

Pancho : Quichott...Sancho ! (IL rit. Lisant) « Dans un village de la Manche, vivait il n’y a pas si longtemps, un de ces gentilhomme avec l’ancre au râtelier et rosse décharnée. Notre gentilhomme frisait la cinquantaine, il était de constitution robuste, sec de corps et grand chasseur. » (QLR, 18)

Cet extrait de l’incipit du roman de Cervantès montre à quel point Quichott est influencé par le roman de Cervantès qui ne cesse d’être évoqué à chaque fois que le protagoniste de la pièce bute sur un obstacle.

Quichott (le coupant et poursuivant de mémoire) : « Un jour, il lui vint la plus étrange pensée. Il crut bon et nécessaire pour l’éclat de sa renommée de se faire chevalier errant...D’aller de par le monde avec ses armes et accompagné d’un fidèle écuyer, chercher les aventures. (QLR, 19)

Les deux personnages vont se référer tout au long de la pièce au roman de Cervantès. C’est Pancho qui en lit encore une fois un long passage.

Pancho (lisant toujours) : « Mais voilà qu’un muletier arriva dans l’étable où Don Quichotte s’était installé pour passer la nuit. Il s’approcha pour donner à boire à ses mules. Comme le brave homme s’inclina pour ôter de l’abreuvoir les armes de notre chevalier, Don Quichotte, sans dire un mot, leva sa lance et fendit en quatre la tête du muletier. (QLR, 18)

179 Voici donc encore une fois un Pancho lecteur de Don Quichotte. Sans doute est-ce là un renversement des rôles que Benguettaf opère au niveau de l’hypotexte : Pancho semble partager la folie de son maitre.

Pancho (en sortant à reculons) : Cet homme m’a donné mille preuves de sa folie et je suis encore plus fou de lui obéir.( QLR,42)

Poursuivant sa lecture de Don Quichotte, Quichott, métamorphosé en enfant, évoque le conarrateur du roman, l’historien arabe Sid Ahmed Benengeli dont Cervantès lui endosse la paternité du roman de Cervantès.

L’Enfant : Bienvenue au royaume de Sidi Ahmed Benengeli, dernier Prince avant le Néant, héritier du ravin de la femme sauvage, maître des conteurs et grand poète du miracle.(QLR, 39)

Benguettaf procède ici à une translation spatiale du narrateur-personnage Sidi Ahmed Benengeli qui se voit naturalisé algérien dans la mesure où il est rattaché au ravin de la femme sauvage251, un lieu légendaire situé à Oued Kniss à Alger.

On voit dans toutes ces références directes au roman cervantin, combien Don Quichotte hante la mémoire du Quichott. Il le remémore et le récite à chaque moment de la pièce, une façon de signifier au lecteur toute l’influence du roman de Cervantès sur ce personnage. Mais Quichott est-il fou comme son modèle de référence ?

Décidément, oui. Plusieurs fois, est évoquée la folie de Quichott dans la pièce :

Miranda : Ton ami serait-il fou ?

Louisette : Pas de doute... Il est vraiment fou (QLR, 24)

Outre, ce dialogue, Pancho est convaincu que son ami est vraiment fou.

Pancho : (en sortant à reculons) : Cet homme m’a donné mille preuve de sa folie et je suis encore plus fou de lui obéir (...) D’ailleurs, même lui n’est plus fou qu’un autre. (QLR, 42)

Ce monologue de Pancho trouve son écho dans celui de Sancho qui, sur le chemin du village de Toboso, reconnaît la folie de son maitre « Je suis le premier à dire que je tiens monseigneur

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- Le ravin de la femme sauvage est un lieu légendaire situé entre Bir Mourad Raïs et Oued Kniss à Alger. La légende raconte qu’une femme fut captivée par des pirates de la Méditerranée. Refusant de se soumettre au chef des pirates, elle fut jetée dans un ravin sans nourriture. Elle survécut et après sa mort, on surnomma ce lieu : le ravin de la femme sauvage.

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don Quichotte pour un fou accompli » (DQII,33,280), mieux encore, il avoue qu’ il la partage

: « Je ne lui dois rien en échange, je suis même plus fou, puisque je le suis et le sers, si le

proverbe est vrai qui dit : « dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es » (DQII, 10,94)

Ici, la folie du Quichott n’est pas d’origine pathologique mais elle est d’origine livresque comme dans le cas de son aïeul. Elle sera responsable du délire de ce personnage qui provoque une confusion entre réalité et fiction.

b. Le délire

Le délire de Quichott est une conséquence directe de la lecture de Don Quichotte. Il est manifeste dans son attitude et sa conduite folâtres. En effet, il prend Pancho pour Sancho et sa mobylette pour une mule.

Quichott : Alors qu’est ce que vous attendez ? Charger donc votre mule à l’arrière, « Sancho » !

Pancho : Pancho, Monsieur, Pancho...Je m’appelle Pancho Quircha. (QLR, 14)

Et Miranda, la chef des bandits, pour Dulcinée :

Miranda (le coupant) : Ecoute mon gars ! D’abord, je n’ai pas de confession à vendre. Ensuite je ne suis la Dulcinée de personne, ou plutôt de tout le monde. (QLR, 27)

Et les éoliennes pour des ombres malgré les explications de son ami Pancho :

Quichott : Depuis un moment nous sommes suivis par des ombres. » (QLR, 33)

Pancho : allons donc, Monsieur, ce ne sont que des éoliennes qui font ce qu’elles ont à faire quand le vent souffle : tourner.(DLR, pp.33-34)

Ces références montrent à quel point Quichott est influencé par le roman de Cervantès. C’est son livre de bord. Il le récite constamment pour faire coïncider la fiction à la réalité ; une sorte de refuge dans lequel il tente oublier sa situation de rescapé de la violence terroriste.

c. L’errance

L’errance est l’un des thèmes principaux du roman de Cervantès. Elle est le résultat de la folie livresque de don Quichotte. A titre de rappel, elle commence au moment où il est proclamé chevalier errant par le « châtelain ».Accompagné de son écuyer Sancho Pança et de son cheval

181 Rossinante, il sillonne la Manche à la recherche des aventures. Elle ne prend fin qu’avec la mort du chevalier errant.

Dans Quichott, l’homme qui n’y était pour rien, le thème de l’errance est actualisé en fonction d’une vision très moderne : Benguettaf met son Quichott au volant d’un pick-up et le fait errer sur les routes d’un lieu inconnu, probablement l’Algérie d’aujourd’hui, accompagné d’un

autostoppeur nommé Pancho. L’errance de Quichott prend une dimension initiatique dans le

sens où le personnage se trouve confronté à des épreuves qui lui permettent de connaitre d’avantage les maux qui rongent la société dans laquelle il vit. Mais à la différence de don Quichotte dont l’errance acquiert une dimension religieuse dans le sens où son odyssée remet en mémoire celle de la figure du Christ252 ; celle de Quichott prend une dimension proprement existentielle dans la mesure où le protagoniste verse dans une attitude contemplative qui accroit son désespoir et le renferme « dans un quiétisme du désespoir253 » où la beauté est négligée et le

sordide est montré.

Outre cette analogie thématique entre les deux œuvres, plusieurs aventures donquichottesques sont transposées par Benguettaf : la fameuse aventure des mouline à vent et celle des bandits catalans.

2.2.2. LA TRANSPOSITION DAVENTURES DONQUICHOTTESQUES