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Corpus et méthodologie

1. Les textes

1-1. Ahmadou Kourouma (1927-2003)

Ivoirien né en 1927, Kourouma attira très vite l‟attention à cause de ses activités politiques. Après son passage à Lyon où il exerça des activités d‟actuaires, il retourna en Côte-d‟Ivoire en pleine crise politique (1963). Son premier roman, Les Soleils des indépendances se fait l‟écho des turbulences postcoloniales dont il a été, à l‟instar de son héros, victime.

Mais ce qui a surtout attiré l‟attention dans ce premier roman, c‟est la manière dont il a été écrit. Découvrant un fossé entre la langue d‟écriture et la réalité représentée, il essaya d‟écarter les chaînons de la langue française pour y introduire des maillons dont la vocation était de fonctionner en cohérence avec l‟ensemble du système linguistique. Il s‟agit d‟examiner cette forme d‟écriture dans son dernier roman que voici :

2000, Allah n’est pas obligé. Paris, Seuil4

Un enfant africain orphelin, Ibrahima, part à la recherche de sa tante Mahan, sa tutrice. Il est accompagné par Yacouba le féticheur et voyage à travers le Libéria et la Sierra-Léone de la guerre tribale qui a dévasté cette région dans les années 90. Il deviendra enfant-soldat. Pour raconter ses

4 Les références dans le corps de cette étude seront de la forme : (Allah + page)

péripéties d‟enfant-soldat non sans humour et sarcasme, mais également avec gravité, il utilisera quatre dictionnaires pour parodier le langage des adultes qui a notamment causé cette catastrophe humaine. On comprend alors la problématique du langage par rapport au réel quand nommer devient problématique parce que l‟on s‟adresse à un public à la croisée des langues, et aussi quand la réalité dépasse la fiction. Le choix de ce roman pour notre problématique était donc une évidence.

1-2. Ousmane Sembene (1923-2007)

Né au Sénégal (Ziguinchor) dans une famille wolof, Sembène participera très tôt aux mouvements sociaux tels que la grève des cheminots du Dakar-Niger en 1947, une expérience qui inspirera plus tard l‟une de ses œuvres majeures : Les bouts de bois de Dieu.

Mais c‟est son passage en France qui lui permettra d‟écrire son premier roman: Le Docker noir (1950). Cette passion littéraire, cet engagement social, le poussera vers le cinéma pour atteindre un plus grand auditoire, attendu que la majorité de sa cible était analphabète; d‟où la question de la langue qui est centrale dans l‟ensemble de ses ouvrages parmi lesquels Xala qui fait partie de notre corpus.

1973, Xala. Paris, P.A.5

Une observation aiguë de la société sénégalaise dans son évolution permet à Sembène de décrire un évènement socioculturel : le xala d‟Elhadji Abdou Kader Bèye qu‟il a contracté lors de son troisième mariage.

Au-delà du thème immédiat (le xala est un sort jeté à un homme lors de son mariage pour l‟empêcher d‟avoir un rapport sexuel avec la mariée ; cela se manifeste par une impuissance momentanée), c‟est la nouvelle bourgeoisie nationale qui constitue la véritable cible de Sembène. En effet, le xala, par

5 Les références dans le corps de cette étude seront de la forme : (Xala + page)

une mise en abyme, est un xala économique et politique des nouveaux dirigeants de cette période.

1-3. Pape Pathé Diop

Né en 1945 à Dakar, Pape Pathé Diop fut professeur d‟histoire-géographie. Auteur local et peu connu, son choix s‟explique par la complémentarité qu‟il peut avoir avec un Sembène mondialement connu.

1984, La Poubelle, Paris/Dakar, Présence Africaine6

La Poubelle a comme source de création la farce, l‟ambiguïté, la comédie humaine, la complexité de la société à cause du paraître. En effet, Camara avait cultivé un mythe autour de sa poubelle en y jetant à chaque fois des objets encore fonctionnels, affichant ainsi sa bonne situation sociale. Mais quand on a découvert que les objets jetés venaient de la poubelle de ses amis, alors tout le roman se déploie autour du pourquoi de la nécessité de cultiver un mystère pour paraître aisé. Et cette réalité sociale ne prend forme que grâce à la langue, au langage qui épouse ses contours.

1-4. Kossi Efoui

Efoui est né au Togo en 1962 ; romancier et dramaturge, il a reçu en 1989 le prix qui le propulsa au devant de la scène (Grand prix Tchicaya U Tam‟Si pour sa première pièce, Le carrefour. Il fait partie de cette nouvelle génération, avec les trois auteurs qui suivent, qui ne veut plus qu‟on analyse la littérature africaine uniquement à partir de la recherche de l‟africanité de l‟œuvre. Tout écrivain voulant conclure à la singularité, il importe aussi, tout en ne niant pas la question de l‟origine, d‟analyser les liens non essentialistes de l‟œuvre. Nous avons appelé cette forme d‟écriture:

« l‟écriture du divers. »

6 Les références dans le corps de cette étude seront de la forme : (Poubelle+ page)

2001, La Fabrique de cérémonies, Paris, Seuil7

Edgar Fall était étudiant africain en Union Soviétique, mais l‟Union Soviétique n‟existe plus. Comme traduire Pouchkine dans une mascarade parisienne ne lui suffit plus de se nourrir, il accepta la proposition de son ami Urbain Mango, qui a fait, lui aussi l‟Union Soviétique: il s‟agit d‟aller faire des repérages en Afrique pour le compte d‟une agence de voyage, Périple Magazine. On comprend tout de suite le traitement de l‟espace qui n‟est plus ancré dans un endroit bien déterminé. Comme dans la technique du roman picaresque, il s‟agit d‟aller d‟un espace à l‟autre pour déployer sa littérature-monde et sa critique.

D‟autres textes d‟Efoui peuvent ponctuellement être cités, comme :

1998, La polka. Paris, Seuil (Citation : Polka + page)

2000, L’entre-deux-rêves de Pitagaba. Paris, Acoria (Citation : Pitagaba + page)

1-5. Sami Tchak

Sadamba Tchakoura connu sous le nom de Sami Tchak, né en 1960 est un écrivain Togolais qui vit et travaille à Paris. Après des études de philosophie à Lomé, il part étudier la sociologie en France où il obtiendra le grade de docteur en sociologie. En 2004, il se voit décerner le Grand prix de littérature d'Afrique noire pour l'ensemble de son œuvre. Son écriture unique et son audace à aborder les thèmes les plus dérangeants font de Sami Tchak un auteur à part dans la littérature africaine d'aujourd'hui. Cette singularité se manifeste notamment dans « l‟écriture du divers » que nous analysons dans cette étude.

2004, La Fête des masques, Paris, Gallimard8

7 Les références dans le corps de cette étude seront de la forme : (Fabrique + page)

8 Les références dans le corps de cette étude seront de la forme : (La Fête+ page)

Un homme, Carlos, passe la soirée chez une femme, Alberta. Ça pourrait marcher... mais après l'acte, il l'étrangle, et elle en meurt. Là-dessus, le fils de la morte, Antonio, rentre chez lui, comprend ce qui s'est passé et décrète que Carlos doit mourir à son tour ; ce qui est étrange c‟est que ce dernier semble accepter la sentence. Le stoïcisme, le calme apparent des deux personnages, fait penser à la tragédie grecque, où les personnages acceptent un destin qui les dépasse. Le personnage de Carlos est écrasé par une grande sœur qui se comporte davantage que lui "en homme", allant jusqu'à fréquenter les ministres, et par des parents dont la relation se nourrit de violence, une violence acceptée voire voulue par la mère. C'est donc sur un malentendu que le bouchon va sauter... et c'est Alberta qui en fait les frais. Carlos reste calme, dès lors, et raconte sa vie à Antonio. Et puis, au fond, où se passe cette histoire? L'auteur entretient ici un flou qui permet de la placer un peu partout dans le monde, tout en donnant quelques pistes, finalement fort générales. Cette translittérature devait naturellement intéresser « l‟écriture du divers » d‟où notre choix pour illustrer cette théorie.

1-6. Aminata Zaaria

Zaaria est née en 1973 à Thiès (Sénégal) et vit actuellement à Paris.

Journaliste chroniqueuse depuis l‟âge de 21 ans, elle est l‟auteur d‟une pièce de théâtre jouée dans cinq pays d‟Afrique. La nuit est tombée sur Dakar constitue son premier roman, un roman osé qui utilise un langage tabou dans une société qui aurait pu mal le juger s‟il était écrit en wolof. Là aussi, la langue devient un enjeu sociolinguistique important.

2004, La nuit est tombée sur Dakar, Paris, Grasset9

Il s‟agit de deux villageoises sénégalaises qui vont à la conquête de la capitale: Dakar... Elles ont 17 ans. L‟une d‟entre elles, Dior Touré, fréquente

9 Les références dans le corps de cette étude seront de la forme : (La Nuit + page)

depuis quelques mois Paul Grenelle, un Français installé à Dakar, et la relation semble être un jeu de dupes : le toubab cherche à assouvir son désir d‟exotisme, et l‟autochtone veut se tirer de sa vie de misère en exploitant le premier. La deuxième adolescente, la narratrice, est la « naïve » de service, celle qui reste derrière Dior Touré, celle qui essaie de résister à cette tentation de la « facilité ». Mais jusqu‟à quand, puisqu‟elle reconnaît que Dior lui donne des conseils avisés ? Pourtant, toutes ces histoires, toutes ces

« nuits fauves » de Dakar ne vont pas forcément aboutir à un dénouement heureux. Dans un langage cru, qui ose nommer le sexuel, Zaaria semble donner un avertissement comme quoi la tragédie est souvent au seuil des rêves qui nous semblent les plus faciles à réaliser.

Cependant, ce qui a guidé notre choix, c‟est plus l‟auteur elle-même, par le positionnement qui est le sien dans un entretien qu‟elle nous a accordé et qui rejoint le positionnement du « divers » de cette nouvelle génération d‟écrivains qui vivent hors d‟Afrique et qui doivent négocier leur place dans le monde.

1-7. Alain Mabanckou

Alain Mabanckou est né en 1966 au Congo Brazzaville. Son enfance se passe à Pointe-Noire, capitale économique du Congo, ville côtière, où il commence des études primaires et secondaires et obtient un baccalauréat option Lettres et Philosophie.

Il poursuivra ses études en France, à l‟Université Paris-Dauphine où il obtient un DEA en Droit des affaires. La Lyonnaise des Eaux – aujourd‟hui SUEZ – l‟engage alors comme conseiller, et il occupera ce poste pendant une décennie. Parallèlement il publie des livres de poésie couronnés par le Prix Jean-Christophe de la Société des poètes français, puis fait paraître un premier roman en 1998, Bleu-blanc-rouge, qui lui vaut le Grand prix littéraire d‟Afrique noire.

Par la suite il en publiera d‟autres. Actuellement il enseigne au Département d‟études francophones et de littérature comparée de l‟Université de Californie-Los Angeles, UCLA.

L‟entretien qu‟il nous a accordé autour de son dernier roman en date, Black bazar, nous amène à le prendre comme exemple de cette génération qui pratique une littérature-monde.

2009, Black bazar, Paris, Seuil10

Le narrateur, originaire du Congo, habite Paris depuis plus de 15 ans.

Lorsque sa copine le quitte, il fréquente le Jip’s, un bar du premier arrondissement de Paris, rencontre des personnages truculents et se lance dans l‟écriture pour évoquer avec sarcasme et cocasserie la folie du monde qui l‟entoure. Mabanckou use de ce prétexte pour explorer une diversité gommée. L‟Africain n‟est pas le même qu‟il soit de l‟Est ou de l‟Ouest, d‟un pays ou de l‟autre. Tous différents jusque dans les rivalités, dans les discours. Faut-il considérer l‟individu groupal ou l‟individu individuel? La réponse de l‟auteur dans l‟entretien éclaire cette écriture qui essaye un autre positionnement par rapport aux aînés qui ont pratiqué une littérature qui appelait une analyse essentialiste. Ces textes mentionnés sont complétés par des paratextes qui les évoquent et les éclairent. On les trouvera en annexes de ce travail.