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Langue, sociétés et écriture

GRAMMAIRE [ UNIVERSELLE

3. Imaginaire linguistique dans le paratexte et

déconstruction/reconstruction des normes dans le texte hétérolingue13.

Sans remonter aux origines de la notion d’imaginaire linguistique (cf.

Ngalasso, 2009), nous retiendrons la systématisation d‟Houdebine sur ce concept qu‟il faut comprendre comme « rapport du sujet à la langue, la sienne et celle de la communauté qui l’intègre comme sujet parlant Ŕ sujet social ou dans laquelle il désire être intégré, par laquelle il désire être identifié par et dans sa parole ; rapport énonçable en terme d’images, participant des représentations sociales et subjectives, autrement dit d’une part des idéologies (versant social) et d’autre part des imaginaires (versant plus subjectif).»

(Houdebine, 2002, p.10)

Nous nous posons la question de savoir ce que devient ce concept d’imaginaire linguistique, lié à la notion de norme, dans l‟écriture à travers une langue seconde. L‟écrivain (tout court) est simultanément invité à respecter la norme et à s‟en affranchir. La norme littéraire organise ce que Roland Barthes appelle une « tricherie salutaire »:

« Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d‟entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d‟une révolution permanente du langage, je l‟appelle pour ma part : littérature. » (Barthes, 1978, p.10)

Quand une langue, le français, est partagée par des peuples différents, les uns l‟ayant comme langue première et les autres comme langue seconde, son évolution ne saurait venir seulement du milieu qui l‟a vue naître. Les pays francophones14, parce qu‟ils ont des conditions socioculturelles différentes par rapport à la France, apporteront leurs contributions au dynamisme de la

13 « L’imaginaire linguistique » revisité dans le cadre de l’écriture francophone a fait l’objet d’une communication à paraître dans les actes. Voir bibliographie : Faye.

14 Nous considérons que la littérature francophone englobe l’ensemble des littératures écrites directement en français, la littérature française y constituant un sous-ensemble, mais pour des raisons de commodité, en attendant d’y revenir, nous utiliserons ce vocable dans son acception stricto sensu : littérature en français dans une situation sociolinguistique hétérolingue.

langue française. Faut-il alors élargir le système de référence du français dit standard?

Face à la non-coïncidence du signe linguistique par rapport à la réalité nommée par les auteurs francophones africains dans la présente analyse, et pour que la communication soit totale, ne faudrait-il pas envisager, plutôt intégrer, l‟idée du développement d‟une norme communicationnelle répondant aux véritables besoins du sujet parlant ou écrivant ?

L‟imaginaire linguistique (IL) lié à ces préoccupations et qualifié notamment comme « le rapport du sujet parlant à la langue, dont témoignent ses reprises (les siennes ou celles d’autrui) » (Houdebine, 2002, p.14), transparaît aussi bien dans le paratexte (discours autour du texte littéraire) que dans l‟acte d‟écrire (le texte). Ce phénomène traduit une véritable volonté, chez nos auteurs, de déconstruction/reconstruction des "normes" lexicale, sémantique, morphosyntaxique et discursive.

Après avoir évoqué l‟imaginaire linguistique de Ousmane Sembène et d‟Ahmadou Kourouma à travers leurs paratextes, nous examinerons les conséquences de cette attitude dans le texte littéraire, à savoir la déconstruction des "normes", parce que nécessaire, et la reconstruction d‟une « norme communicationnelle » balisant la non-coïncidence interlinguistique.

Mais auparavant, considérons quelques aspects théoriques autour du sujet.

3-1. Imaginaire linguistique et normes

3-1-1. La normalisation de la langue française

Les traces de la codification de la langue française nous ont été fournies entre autre par Malherbe, Vaugelas, l‟Académie française et Grevisse. En effet, la centralisation politique de la France aura comme conséquence l‟imposition de l‟artefact né d‟une koiné littéraire médiévale à laquelle plusieurs dialectes d‟oïl ont contribué, (et pas seulement ceux de l‟île de France comme on a tendance à le dire) au détriment des autres dialectes devenus des patois. Cette évolution amènera le français à remplacer le latin dans presque toutes les activités quotidiennes de la population à partir de l‟

« Ordonnance de Villers-Cotterêts » signée par François Ieren 1539. Il fallait donc se pencher sur cette langue pour lui donner une base théorique de ce qui deviendra la grammaire française. La codification dont Malherbe fait état sera basée sur l‟usage de la Cour avec une hiérarchisation linguistique. Et même si le concept de sociolinguistique n‟existait pas à l‟époque, la pratique en a peut-être commencé avec Malherbe. Cependant on devrait ajouter qu‟il s‟agissait d‟une sociolinguistique idéologique en considérant un parler comme supérieur par rapport à un autre ; cette idée de supériorité étant considérée par la sociolinguistique d‟aujourd‟hui comme extralinguistique, c'est-à-dire sociale. Le « bon usage » est donc du côté de la haute société.

Malherbe a permis de lever certaines hésitations et son travail a visé essentiellement le lexique afin de léguer une langue claire à la postérité.

Quant à Vaugelas, avec les Remarques sur la langue française (1647), il établit un « bon usage » et un « mauvais usage », continuant donc le travail idéologique de Malherbe. L‟usage pour lui veut dire « usage actuel », mais le changement linguistique ne sera accepté et codifié que s‟il ne remet pas en cause le modèle en question. C‟est pourquoi la langue écrite aura un poids énorme dans le prestige de la langue ; la grammaire normative ignorera ainsi pendant longtemps la langue parlée.

Il nous semble que l‟on est dans cette phase d‟hésitation entre le français de la francophonie et le français classique. L‟usage de Vaugelas est l‟usage de

« la plus saine partie de la Cour », un groupe de locuteurs à usage unique.

Quant à l‟Académie Française, fondée en 1635, elle a pour rôle de donner à la langue des règles certaines, à la rendre « pure » et éloquente. Le premier dictionnaire produit par l‟Académie Française (1694) montre la filiation directe avec Malherbe et Vaugelas sur le « bon usage », mais petit à petit les personnes instruites (dont les écrivains) remplacèrent les « honnêtes gens » du XVIIe siècle.

Pour boucler cette boucle, nous terminerons sur Grevisse qui adoptera le principe du « bon usage » en le redéfinissant comme « le consentement des bons écrivains et des gens qui ont souci de bien s‟exprimer » (édition 1961, p.6, mais position en vigueur jusqu‟à ce jour) tout en étant à égale distance entre le laxisme et le purisme. En cas d‟hésitation, il ne donne pas de réponse catégorique, c‟est dire qu‟il n‟impose pas, il propose, et c‟est peut être l‟usage qui décidera, y compris l‟usage des auteurs, en langue française.

3-1-2. Imaginaire linguistique et textes hétérolingues 3-1-2-1. Dans le paratexte

Le paratexte (Genette) est constitué du discours autour du texte littéraire, c‟est donc une auto-explication du texte avant ou après le texte (préface, enquête, entretien, correspondance autour du texte en question).

La langue écrite (le français) a donc une tradition très normée ainsi que nous l‟avons vu dans ce qui précède. Mais comme une langue ne peut échapper à ceux qui l‟utilisent, le français pratiqué dans un contexte hétérolingue révèle des stratégies qui essayent de combler une crise du dire. En effet, face à la crise de représentation littéraire, l‟impuissance naturelle du mot à dire le réel étant aggravée par l‟hiatus qui existe entre la réalité de la langue première et la langue d‟écriture (la langue seconde), les auteurs francophones africains, après la période au cours de laquelle ils voulaient

ressembler à l‟Autre, décident de combler le décalage par l‟utilisation de formes qu‟ils veulent comme variation au sein d‟un unilinguisme pluriel.

Le sentiment d‟inadéquation entre le signe linguistique et l‟objet nommé place nos auteurs dans un sentiment d‟insatisfaction permanent. L‟écriture devient alors une force libératrice pour utiliser la totalité de son répertoire et pour se retrouver soi-même et pour maintenir un imaginaire du Un. Et Kourouma de dire dans un entretien réalisé par Bernard Magnier:

« A la fin de mes études d‟actuaire et avant de rentrer en Côte d‟Ivoire, j‟ai voulu faire de la sociologie, lire des mémoires sur l‟ethnologie africaine. Ces mémoires m‟ont paru mal écrits, difficiles à lire. J‟ai donc décidé de faire « de la sociologie » d‟apprendre à écrire. » (Magnier, 1987, p.11-12)

La question qui se pose est de savoir comment rendre un réel, même dans l‟imaginaire littéraire, avec des systèmes de langues, et donc de pensées, qui se télescopent chez un même individu. Dans un autre entretien accordé à Lise Gauvin, Kourouma affirmera:

« Il y a un renversement qu‟il fallait faire sentir dans l‟expression. Et surtout le problème c‟est que je ne trouvais jamais le mot exact qui correspondait à ce que je voulais dire. » (Gauvin, 1997, p.156)

Quant à Sembene, sa démarche est caractérisée par une dualité entre ce qu‟Alioune Tine a appelé :

« Une prééminence objective du français et une prééminence subjective du wolof » (Tine, 1985)

En effet, le français se pose en lui comme passage obligé, situation liée aux conditions de production, d‟édition et de communication. Entrent en compte également le statut du français et sa diffusion… Mais dans une société fortement orale, le médium livre ne pouvait pas être un objet de communication efficace pour toucher la masse, sa cible intraculturelle.

Etant un écrivain engagé, la langue première de Sembene, le wolof, ne lui permet pas de toucher un certain public. Il se dégage alors une sorte

d‟insatisfaction dans l‟écriture en français. Ce qui explique d‟ailleurs son passage vers le cinéma. A la question :

« Que ressentez-vous quand vous écrivez en français ? », Sembène répondra :

« Je suis frustré.» (Sembene, In Afrique, n°25, P.49, cité par Bestman, 1981).

Sans avoir donc le même cheminement, Sembene et Kourouma en arrivent au même constat : un sentiment d‟insatisfaction quant au sens véhiculé.

Sembene dira encore:

« Le Mandat, [un de ses romans portés à l‟écran], existe en version française et en version wolof. Personnellement je préfère ne pas projeter la version française, car l‟autre est plus authentique » (Vieyra, 1972, p.184)

C‟est dire que dans les limites systémiques de la langue française il y a une impossibilité de sens ; partant, il faut utiliser des stratégies qui tiennent compte de l‟environnement intra- et interlinguistique pour rétablir l‟imaginaire du Un. Le terme « environnement » est important ici car il s'agit d'un environnement sociolinguistique complexe qui façonne l'écriture et où l'on peut parler de "communication hétérolingue". La communication hétérolingue utilisera tout le répertoire dont dispose le communicant et des stratégies qui comblent la "non-coïncidence du dire" accentuée par la différence interlocutive.

En parlant de son propre texte Kourouma dira à ce propos :

« Ce que j‟ai compris intérieurement, c‟est que si je faisais parler mon héros en français classique, il ne m‟apparaissait pas correspondre à ce que je voulais : la façon dont il pensait, élaborait et classait ses concepts, tout cela ne venait pas. La succession des mots français, les connotations qu‟ils portent me gênaient, m‟empêchaient de faire sortir Fama [dans Les Soleils des indépendances]. Il me fallait m‟approcher d‟une façon d‟aborder les idées qui corresponde au rythme de la phrase malinké. Si Fama s‟exprimait en français classique, cela donnait une fade traduction de ce qu‟il pensait ; en revanche, si les mots se suivaient dans la succession malinké, si je pliais le

français à la structure de notre langue avec le respect de ses proverbes et de ses images, alors le personnage apparaissait dans sa plénitude.» (Zalessky, 1988, p.4)

La question de la langue dans la littérature africaine interpelle ainsi les linguistes car les rapports qu'entretiennent les auteurs avec le français les obligent à penser la langue d'écriture, ce qui transparaît dans le texte, conséquence de leurs imaginaires linguistiques dans le paratexte.

3-1-2-2. Texte et « norme communicationnelle »

Il n‟est pas étonnant que la notion de « l‟imaginaire linguistique » intéresse la recherche sur le discours francophone africain, car elle a été étudiée pour la première fois dans une situation diglossique, quand bien même il s‟agirait d‟une diglossie intralinguistique en ce qui concerne les variétés phonologiques de la langue française contemporaine. Rappelons que la diglossie qui nous intéresse ici est une diglossie interlinguistique. Nous voulons tout simplement dire qu‟il s‟agit, par analogie, du même processus.

Sans être seulement lié à une question de langue d‟arrière-plan, il s‟agit aussi et surtout d‟une question de langage.

Le concept de l‟IL est lié à la notion de norme, ensemble des règles réelles et/ou imaginaires qui codifient les usages d‟une langue. Il y a donc un bon usage et un mauvais selon les anciens, de Malherbe à Grevisse en passant par Vaugelas. Mais souvent cette norme relève de la variante de prestige, d‟où sa subjectivité. Cette subjectivité se transforme en créativité dans la littérature francophone et transforme la notion d’imaginaire linguistique en imaginaire des langues. L‟imaginaire des langues est caractérisé chez Ngalasso - sans doute inspiré par Bakhtine et Glissant - par

« un mode de créativité linguistique aboutissant, par un travail de l‟imagination, à l‟invention (innovation, renouvellement, refaçonnage, etc.) des formes et des sens nouveaux dans la langue, donc à la dynamique des langues. » (Ngalasso, 2009, p.25)

Le détail de cet imaginaire des langues, de cette créativité résultant de la pratique de la langue seconde, sera analysé dans le chapitre V.

Jusque là, dans la typologie de l‟imaginaire linguistique, ont été distinguées deux catégories de normes : les normes objectives (systémique et statistique) et les normes subjectives et/ou idéologiques (évaluative, fictive, prescriptive) qui ont trait souvent au discours institutionnel qui fait lien avec l‟imaginaire social. Par la suite, la norme communicationnelle qui a trait à la recherche du terme ou de l‟énoncé compréhensible viendra s‟ajouter aux sous-catégories qui composent la norme subjective. Sans reprendre les phénomènes rétroactifs qui instaurent une dialectique entre les différents niveaux qui s‟influencent mutuellement, voici le schéma de base de la typologie de l‟imaginaire linguistique tel que proposé par Houdebine15.

Schéma Houdebine, 2002 IL

Normes objectives Normes subjectives

Norme systémique Norme statistique Norme Norme fictive Norme prescriptive Communicationnelle

15 Houdebine, 2002, p.21. Voir aussi, en rapport avec le discours francophone africain: Canut Cécile:

« Acquisition, production et imaginaire linguistique des familles plurilingues à Bamako (Mali) », In Travaux de linguistique, N°7, 1996.

L‟imaginaire linguistique confronté au discours littéraire francophone africain élargira certainement le débat, car il y a un phénomène non pris en compte par ce schéma. La norme liée à l‟hétérolinguisme (nous reviendrons sur cette notion) sera forcément une norme communicationnelle… mais pas du même ordre que la norme communicationnelle dont parle Houdebine.

Cependant, il y a un préalable à poser pour parler de communication quand il s‟agit d‟un texte littéraire. A partir du moment où le texte littéraire est considéré comme discours notamment dans la sémiostylistique de Molinié (1993) et dans les rapprochements entre la linguistique et la littérature de Maingueneau (1997), une sociolinguistique du texte devient possible, attendu que tout fait littéraire est toujours fait de langue dans son énonciation et son interaction avec toutes les strates des instances discursives présentes ou supposées. Les traces que laisse cette interaction, ces marques méta-énonciatives sont compréhensibles du fait que l‟activité discursive, l‟écriture ici, est toujours dirigée vers un destinataire, elles sont accomplies en sorte que ce destinataire puisse en faire l‟interprétation ou les interprétations possibles, elles sont organisées en vue de ses réactions possibles. Donc la production du discours écrit n‟est pas seulement action mais également interaction, surtout quand la réception ne va pas de soi parce que la langue d‟écriture n‟est pas la langue première. A partir de ce moment-là on peut parler de communication pour un texte littéraire, même si cela s‟écarte de la communication interactionnelle classique.

La « norme communicationnelle » d‟Houdebine est tournée vers l‟interlocuteur, vers l‟Autre. On pourrait résumer l‟idée de cette norme ainsi:

« J‟emploie ce terme, je m‟exprime ainsi, pour être compris ». Il s‟agit donc d‟une norme pragmatique, d‟une norme de balisage. Quant à la norme communicationnelle qui nous occupe ici, elle est tournée vers le producteur d‟abord, avant l‟interlocuteur invité à faire le chemin vers une autre voie de la compréhension. Elle serait résumée ainsi: « Si j‟emploie ce terme je serai peut-être compris, mais je ne serai pas satisfait, car la communication, le sens visé, n‟est pas total ; et donc, eu égard à mon répertoire hétérolingue, et pour que le sens soit épuisé, j‟emploie cet autre terme, quitte à expliquer

après (ce qui induit le métalangage foisonnant des auteurs francophones africains), ou à ne pas expliquer ». Partant, ladite « norme communicationnelle » de départ se scinde en deux. Nous proposons de les nommer:

« Norme communicationnelle intralinguistique (norme communicationnelle d‟Houdebine) » et « Norme communicationnelle hétérolinguistique. » Pour donner un exemple concret :

« La première chose qui est dans mon intérieur… En français correct, on ne dit pas dans l‟intérieur, mais dans la tête. La chose que j‟ai dans l‟intérieur ou dans la tête quand je pense à la case de ma mère, c‟est le feu, la brûlure de la braise, un tison de feu. » (Allah, p.13)

Autrement dit, il ne s‟agit plus de « l‟hypothèse déficitaire » dans l‟énonciation, mais de la considération de l‟individu dans sa totalité comme carrefour de chemins multiples.

A notre connaissance, cette non-coïncidence du dire n‟est pas prévue par Authiez-Revuz :

Je sais qu‟on dit X mais je dis Y car X n‟épuise pas complètement ce que je veux dire ; finalement je maintiens les deux parce que X et Y correspondent à des réalités langagières selon ma cible communicationnelle.

Le schéma devient alors, selon notre proposition:

Imaginaire linguistique et norme communicationnelle hétérolingue IL

Normes objectives Normes subjectives

Norme systémique Norme statistique Normes Norme fictive Norme prescriptive Communicationnelles

Norme Com. Intralinguistique Norme Com. Hétérolinguistique

Cette norme communicationnelle hétérolinguistique a des manifestations diverses dans la littérature francophone, comme la déconstruction des normes établies dans l‟imaginaire. Il faut dire qu‟il s‟agit d‟une norme qu‟on peut observer par ailleurs dans une situation intralinguistique où une langue, une variante, se trouve dans une diglossie manifeste. Disons tout simplement avec Alain Rey que l‟activisme sémantique fait partie des vertus de la langue, quel que soit le contexte sociolinguistique de production et de réception.

« Chaque texte important, ce faisant, construit une voie d‟accès langagière, syntaxique et terminologique, vers le mouvement de la pensée. Jugeant le langage et les mots reçus, compromettant les lieux communs, le discours ne construit qu‟en détruisant. Cette critique lexicologique du langage, dont le revers est l‟assignation de sens et de valeurs analytiques déterminées à toute

forme du lexique (…), est le moteur de toute l‟activité philosophique, orale (Les Grecs) comme écrite. » (Rey, 1989, p.776)

Ce mouvement de la pensée qui déconstruit les lieux communs entraîne un effet de loupe si l‟on observe le phénomène dans le contexte de l‟écriture à travers une langue seconde. Examinons comment se manifeste cette déconstruction.

3-1-2-3. Déconstruction dans l’imaginaire

Le schéma classique pour décrire l‟appropriation linguistique dans la littérature francophone africaine suit un canevas bien déterminé, à savoir l‟appropriation lexicale, la création sémantique, morphosyntaxique et discursive avec les sous-catégories qui permettent une différentiation des exemples étayant l‟analyse (nous suivrons d‟ailleurs cette démarche dans le chapitre V). Dans les limites de ce sous-chapitre, nous voulons seulement mentionner des exemples qui touchent l‟imaginaire en traitant le rapport qui existe entre le général et le particulier. Partant, l‟appropriation imaginaire devient une catégorie d‟analyse à explorer.

Examinons comment Kourouma a exploité le lien qui existe entre le tout et la partie pour déconstruire la « norme » en n‟employant pas le mot attendu. En effet, les mots de la même famille, ou plus précisément du même champ lexical, renvoient à un sème générique ; en utilisant les uns à la place des autres, Kourouma accorde plus d‟importance à l‟image mentale qu‟à l‟exactitude des termes. Observons ce schéma :

Xi

X1 X2 X3…

X1, X2, X3 sont des mots du même champ lexical tandis que Xi est l‟image mentale qui les regroupe.

Exemples:

« Mon école n‟est pas arrivée très loin ; j‟ai coupé cours élémentaire deux. J‟ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l‟école ne vaut plus rien,… » (Allah, p.9)

« Tout ce que je parle et déconne (déconner, c‟est faire ou dire des bêtises) et que je bafouillerai, c‟est lui qui me l‟a enseigné. » (Allah, p.16)

« Tout ce que je parle et déconne (déconner, c‟est faire ou dire des bêtises) et que je bafouillerai, c‟est lui qui me l‟a enseigné. » (Allah, p.16)