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Langue, sociétés et écriture

GRAMMAIRE [ UNIVERSELLE

2. Conditions de production des textes

La pratique de la langue de base précédant la décision d‟écrire, étant également habitée (pour reprendre Bakhtine) il existe une interdépendance entre langue et littérature à la manière du lien qui existe entre la norme et l‟usage. La perception exprimée par les écrivains pendant la défense et illustration de la langue française, qui peut être pourtant de la création, s‟est imposée par la suite comme composante du «bon usage ». L‟écrivain baigne ainsi dans un système dialogique qui fait que Gauvin se pose cette question:

dans quelle mesure l‟écrivain est tributaire d‟un système institué? Il s‟agit de la liberté ou non de l‟écrivain face au système institué (rappelons avec Barthes que tout écrivain voudrait conclure à l‟isolement, à une conclusion originale qui fait qu‟il s‟écarte de temps en temps du système institué).

Lise Gauvin évoque l‟objet de « la sociolinguistique du texte » tel que nous l‟entendons sans employer cette terminologie en adoptant une attitude « pragmatique qui consiste à interroger les mises en scène de la langue telles qu’elles apparaissent dans l’espace même du discours littéraire : mises en scène de type réflexif fournies par les préfaces, les correspondances ou manifestes divers, mise en scène textualisée qu’offrent les œuvres elles-mêmes.» (Gauvin, 2004, p. 8)

Ce qui est remarquable dans la démarche de Gauvin c‟est qu‟elle s‟écarte des recherches descriptives dans ce domaine, surtout dans le domaine de la recherche littéraire francophone, pour étudier l‟imaginaire linguistique qui se profile tout le long des textes en constituant un véritable objet de recherche.

Cet imaginaire linguistique permet d‟analyser les mouvements de rupture par rapport à une norme pratiquée en rendant compte du sentiment de la langue en question. En s‟inspirant de ce texte de Gauvin, il s‟agira, entre autres, pour nous, d‟analyser comment le texte parle la langue, les langues, soit à la façon d‟une isotopie distincte, soit d‟un mimétisme des langages sociaux. La démonstration de Gauvin est partie donc des textes pour étudier le métadiscours qui a présidé à l‟écriture francophone africaine, classique d‟abord, puis l‟éclatement qui a conditionné ce sentiment langagier, cette

« surconscience linguistique » qui pose la problématique du langage en faisant le parallèle avec ce qui s‟est passé avec des écrivains français comme Rabelais ou Céline. La production langagière mobilise plusieurs sources, le monde physique, social, psychologique, subjectif, historique, encyclopédique… Ces mondes peuvent faire l‟objet d‟une description a priori, mais une définition simple ne serait que théorique car entre les mondes absolus et ceux tels que le sujet parlant ou écrivant les a intériorisés, il peut y avoir une nuance. C‟est donc la situation d‟action intériorisée qui influe vraiment sur la production langagière. C‟est pourquoi la sociolinguistique du texte effectuera des entretiens complémentaires, pour la construction du paratexte afin d‟apporter toutes les nuances entre une définition a priori et celle qui est effective, pragmatique.

Partant de la situation interne, quel est le genre de texte utilisé, quels sont les types de discours, les mécanismes de textualisation et de prise en charge énonciative qui composent le genre de texte choisi et qui nous concernent dans cette étude ? Le contexte de production étant l‟ensemble des paramètres susceptibles d‟exercer une influence sur l‟émergence du texte, les deux paramètres qui entrent en jeu sont de deux ordres : physique et socio-subjectif:

- physique, en pensant au lieu de production, à la modalité (oral, écrit), à la réception éventuelle (réception hétérogène ici).

- socio-subjectif, parce que la production de tout texte s‟inscrit dans une interaction communicative impliquant des mondes sociaux (norme, valeur, règle...), et subjectif (image de soi, de l‟autre), parce qu‟il y a un lieu social concerné, des institutions, des situations formelles ou informelles, les positions sociales des émetteurs et des récepteurs, les positions qu‟ils attribuent aux uns et aux autres et qu‟ils s‟attribuent eux-mêmes, le but attendu…

Tous ces paramètres se retrouvent dans l‟acte d‟écriture, c‟est-à-dire qu‟on écrit toujours à partir d‟une certaine historicité, une certaine socialité et une certaine subjectivité. Le contexte est donc en soi un lieu de production

sociale. Les notions de contexte et de situation qui nous intéressent ici ont été beaucoup utilisées dans le cadre monologique et intralinguistique. En se situant dans le cadre hétérolinguistique, ces notions se trouvent élargies pour explorer d‟autres cas complexes parce que trans-situationnels. Et même si on a pu parler de situation extralinguistique (ici situation sociale), il s‟agit souvent de situations à l‟intérieur d‟un même ensemble linguistique où l‟on peut parler d‟intercompréhension. Le bilinguisme, l‟hétérolinguisme, étant coextensif au pluralisme social et culturel,

« La linguistique est inopérante si elle ne considère point le substrat sociologique du langage, ni les phénomènes affectifs et autres qui caractérisent les locuteurs » (De Coster, 1971, p. 11.)

La langue n‟étant pas ainsi indépendante de la culture qui l‟a engendrée et vice versa, le français dans notre situation d‟étude étant parlé dans une culture autre que celle qui l‟a vu naître, il se pose la question de savoir quelles sont les conséquences sociolinguistiques qui sont en jeu quand la langue d‟écriture n‟est pas la langue première de l‟auteur en question.

Autrement dit, quel est le rapport entre langue et culture dans le cadre de l‟écriture d‟une langue seconde ?

La notion ici/là-bas est capitale pour comprendre nos propos. En effet l‟examen de certaines études nous fait penser qu‟il y a une différence entre la diglossie d‟une langue et donc d‟une culture minoritaire face à une langue majeure (les minorités ici en Europe), et la diglossie d‟une langue et/ou d‟une culture majoritaire face à une langue majeure (la situation des langues officielles en Afrique noire par exemple). Quand on prend l‟exemple du français, l‟attitude de ceux qui l‟ont comme langue d‟accueil ici n‟est pas comparable à ceux qui l‟ont comme langue seconde là-bas.

Par exemple Porquier étudie l‟attitude diglossique qui est toujours considérée comme passagère car la cible reste la maîtrise d‟une langue d‟arrivée.

Là-bas, il s‟agit d‟une situation où le bilinguisme est la règle et non l‟exception.

D‟après l‟histoire linguistique de la France, le bilinguisme de masse n‟existe pas (institutionnellement et théoriquement en tout cas), il est considéré comme intermédiaire. L‟axe ici/là-bas appliqué à l‟écriture, révèle qu‟une part du contenu linguistique d‟un énoncé échappe à une certaine évidence textuelle. Et l‟analyse textuelle qui s‟enfermerait sur elle-même peut faire émerger toutes sortes d‟interprétations en multipliant les possibilités aléatoires.

Cependant, le sens qui se dégage en fonction du contexte du codage et/ou de décodage peut être une mesure d‟accessibilité pour la compréhension de la compréhension. Ces phénomènes extralinguistiques peuvent ne pas être visibles dans une interprétation intraculturelle; ils deviennent un objet important quand on considère l‟interprétation interculturelle en interrogeant les différentes réceptions des différents publics qui nous intéressent dans cette étude.

Mais parce que nous ne faisons pas de la psycholinguistique ni de l‟analyse littéraire, la théorie qui consiste à dire que l‟énonciateur peut déposer inconsciemment des significations dans le texte, ce qui multiplierait les interprétations au niveau de la réception en cherchant à saisir ce qui a échappé à l‟auteur, ne sera pas prise en compte ici. Car nous considérons que l‟interprétation d‟un texte ne saurait être illimitée selon la disposition du récepteur. Il y a donc des lectures possibles selon les inférences du système référentiel. Et ce qui est problématique dans cette écriture que nous analysons, c‟est que le système référentiel est pluriel, selon les récepteurs potentiels12.

«En somme le sens n‟est pas immanent au texte comme message, mais à une situation de communication comprenant en outre un émetteur et un récepteur [en latence pour le texte], comme aussi un ensemble de conditions (des normes, dont le genre textuel, et une pratique sociale déterminée). » (Rastier, 1989, p.16)

La situation de communication qui nous concerne ici n‟est pas constituée simplement d‟un émetteur et d‟un récepteur ; c‟est une communication qui adopte la métaphore de l‟orchestre. L‟intertexte ne renvoie pas forcément donc à un texte écrit, il renvoie ici à un mythe, à une maxime, à un proverbe, à une histoire, une croyance, un élément culturel.

« En effet c‟est du moins notre hypothèse – il existe une systématique des rapports entre textes, à l‟intérieur d‟une aire culturelle donnée. Les rapprochements entre textes ne sont qu‟un moyen de (re)construire cette systématique, mais naturellement ils ne l‟épuisent pas. » (Rastier, 1989, p.31) Mais ce qui complexifie la situation c‟est de savoir quelle est l‟aire culturelle des textes en question. La réponse n‟est pas évidente ; il s‟agit de répondre à cette question : qu‟est-ce qu‟une communauté linguistique qui renvoie à une communauté culturelle. Autrement dit, à quelle communauté linguistique peuvent s‟identifier les textes que nous analysons? C‟est pourquoi au lieu de parler de communauté linguistique, nous parlerons de communauté sociolinguistique (chapitre III, 3-2-3)) dans laquelle s‟exprime cette littérature francophone que nous analysons. Car la notion de communauté linguistique, sociolinguistique pour nous, permet de procéder à un minimum de présupposition dont a besoin tout acte d‟énonciation pour être reçu : ne pouvant pas toujours retourner en arrière ou répéter à chaque fois ce qui a été dit, les inter-actants ont besoin de s‟appuyer sur un savoir partagé ou supposé tel. Et l‟implicite se manifeste à deux niveaux s‟agissant les textes de fiction : l‟implicite interne (entre les personnages) et l‟implicite extratextuel, celui qui s‟établit entre l‟œuvre et son destinataire.

12 Nous ne sommes pas en train de dire que le système référentiel intralinguistique est homogène, il existe une polyphonie intralinguistique et interlinguistique ; seulement, cette dernière est accentuée ici parce que formant plusieurs compartiments.