• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : L’expérience en cliniques de fertilité

4.2 Les tests, examens et traitements

Au niveau des tests, des examens et des traitements qu’elles ont dû passer tout au long de leur parcours en clinique de fertilité, toutes les participantes avaient quelque chose à dire:

Anne : «Les «de base» pour en clinique (les tests qu’ils font passer à tout le monde), des tests invasifs –que je trouve invasifs.»

Mica : «C’est super invasif ces traitements-là! T’as comme les jambes écartées, y’a une lumière, y’a des gens qui passent.»

120

L’hystérosalpingographie est l’un des tests que les femmes ont considéré comme étant le plus douloureux:

Jennifer : «Et puis là, je réussis à avoir une place au public et rapidement […] J’arrive là et puis là je rentre dans la salle, je m’installe en position gynécologique, bien évidemment. Le médecin rentre. Il me dit à travers son masque : je m’appelle [mots incompréhensibles] parce que c’est à peu près ça que j’ai compris. C’est tout. Il s’en va au bout. […] Tsé on s’entend, à ce moment-là j’ai déjà passé plusieurs examens gynéco pour tous mes problèmes. Et c’est là façon que j’ai décrit à mon amie, je me sentais comme si j’étais un jambon qu’on badigeonnait. C’était vraiment ça. Aucun respect, aucune délicatesse. […] Faque là, il fait l’examen. Et j’ai eu la pire souffrance de ma vie et je peux le certifier après, pire qu’une césarienne. Une douleur…. Je pleurais, y’a personne qui s’en souciait, même l’infirmière s’en foutait. […] C’est comme si moi j’n’existe pas, mon être se résume à mon vagin. […] Ils m’ont même pas rien donné pour que je m’essuie, je suis toute pleine de liquides. Tsé là, une histoire d’horreur. […] Je ne suis même pas capable de me rendre jusqu’à la voiture parce que je contracte tellement qu’ils m’ont irrité. Je suis comme pliée en deux. […] Au bout de quelques jours, je retourne travailler. Pis là je ne me sens pas bien, je fais de la fièvre, je saigne, c’est épouvantable, j’en ai des faiblesses au travail. […] Je m’en va à l’urgence, je vois un médecin là de l’urgence qui me fait des tests et tout ça. Il me dit : écoute, t’as clairement une inflammation épouvantable au niveau de ton utérus. Je ne sais pas qui qui t’a fait cet examen-là, mais ç’a été fait vite et avec difficulté et puis on t’a pas épargné.»

Amélia : «Suite à l’ectopique, ils m’ont fait faire plein d’autres tests –comme l’hystérosalpingographie. […] Mais tsé une hystéro ça te tente pas… faque moi j’ai pris plusieurs mois avant de me décider à y aller. J’ai perdu du temps, j’ai perdu au moins 1 an et demi avant de me décider d’y aller.»

Au-delà de la douleur physique qu’infligent plusieurs des tests «de bases», plusieurs femmes ont mentionné que commencer des traitements de PMA constituait le début de l’anéantissement de leur intimité personnelle et relationnelle puisqu’elles auraient désormais à subir de nombreux tests gynécologiques par différents médecins et que l’intimité sexuelle, généralement expérimentée par les couples serait, dans leur cas, monitorée par des médecins. Voyons ce qu’elles ont dit concrètement:

Jennifer : «Et là commence le début de : tu n’auras plus aucune intimité, aucune dignité.»

121

Amélia : «C’était la première fois moi là qu’à part mon chum… bin je peux-tu te dire que là j’ai –c’est une manière de parler– quasiment pu de gêne. Écoute j’ai vu peut- être, en 11 ans, une vingtaine de médecins. Stagiaire par-dessus stagiaire…»

Caroline : «Y’a tellement de personnes qui m’ont vu là que j’ai pu zéro inhibition. J’ai dit à ma mère à moment donné tsé y’a tellement de résidents qui passent dans les hôpitaux, des fois sont 10 en avant de toi. Faque j’ai pu d’inhibition. J’ai dit à ma mère je suis sûre que je croise mon médecin dans rue, il ne me reconnaîtra pas, faudrait je baisse mes culottes tellement qui me voit juste de même.»

Félicia : «Mon chum lui, par contre, il te dirait surement que ça lui fait encore de la peine aujourd’hui qu’on n’ait pas conçu notre enfant dans notre lit. […] Y’aurait aimé ça que la conception de notre enfant ça soit quelque chose d’intime; entre nous deux. Mais là, y’a comme 8 infirmières, 3 médecins, 2 embryologistes tsé.»

Lorsque les couples décident d’entrer en clinique afin d’entamer des traitements de PMA, c’est qu’ils acceptent implicitement «d’aider» la nature pour concevoir un enfant. Toutefois, ils établissent simultanément des limites à ne pas dépasser (Chateauneuf 2011). Au début, ces limites sont plutôt faciles à poser et à respecter parce que chaque couple croit que les traitements vont fonctionner pour eux (Daniluk 2001 : 126). C’est d’ailleurs ce que croyait Isabelle : «On a pris un rendez-vous pis là on se disait : ça va aller vite! Tsé c’est juste un problème du côté de l’homme. [Petit rire] Tsé on était naïf là.» Or, plus le temps avance, plus il leur est difficile d’adhérer à la limite qu’ils s’étaient initialement fixée au niveau du nombre et du type de traitements qu’ils sont prêts à faire (Crowe 1990 : 64). C’est qu’il est ardu de déterminer le moment où assez, c’est assez. Lorsque l’on parle d’infertilité, la frontière est très mince entre la persistance et l’obsession. Théoriquement, les couples ont toujours la possibilité et le pouvoir de mettre une fin à leur attente, mais concrètement, ils s’en sentent généralement incapables sans enfant (Sandelowski 1993). Ainsi l’idée, largement répandue, selon laquelle les couples seraient prêts à tout pour avoir un enfant biologique, est partiellement vraie puisqu’il demeure qu’ils ont certaines limites (Chateauneuf 2011b : 7). Voyons ce que les participantes avaient à dire sur leur limite :

«Intervieweuse: C’n’était pas un enfant à tout prix, c’était un enfant dans les bonnes circonstances?

Mica : Ouais pis c’est encore comme ça. […] Effectivement oui des enfants, beaucoup, beaucoup, j’en veux beaucoup, beaucoup, mais pas à n’importe quel prix.»

122

«Intervieweuse : Est-ce que vous avez pensé à toutes les possibilités? Tsé on parlait tantôt de donneur de sperme, don d’embryon, don d’ovules, mère porteuse.

Félicia : Non.

Intervieweuse : C’était donneur de sperme la limite? Félicia : Ma limite était là. Vraiment.»

Éliane : «J’n’ai pas déterminé ma limite dans ma tête encore est où. J’essaie fort, mais ça ne se fait pas tout seul. […] Y’aura jamais de limite aux nombres de FIV que je pourrais tenter. Tsé c’est toujours bin nous autres qui va décider bin là c’est assez. Mais je ne sais pas qu’est-ce qui va faire que là ça va être assez. Après ma 2ème FIV, je ne comprenais pas encore quand je lisais que des patientes avaient abandonné en cours de route. […] Après la 3ème [FIV], la 2ème fausse couche, je l’ai eu rough celle-là. Celle-là j’ai trouvé ça plus difficile, j’étais pu sûre que je voulais en faire d’autre. Le prix à payer psychologique devenait assez élevé.»

Jennifer : «Ça honnêtement je pense que ça l’aurait été ma limite. Tsé une fausse couche tu peux passer à travers, deux tu peux passer à travers, mais à répétition je pense que non. Ça, ça l’aurait été ma limite à moi de dire non là j’arrête.»

Gevie : «Je m’avais mis une barrière, si rendu à la fécondation in vitro ça ne fonctionnait pas, c’était bon bin just too bad, on n’aura pas d’enfant. […] Je me disais si la nature ne veut pas c’est parce que y’a une raison.» [Cette participante a toutefois fait un cycle de FIV avant de tomber enceinte.]

Anne : «Jusqu’où on est prêt à aller, c’n’est pas clair. […] Est-ce qu’on va aller au bout de toutes les possibilités? Je ne sais pas. […] Pour l’instant c’est étape par étape, mais à tout prix? Je ne sais pas… […] Pour en revenir à la première question de jusqu’où on serait prêts à aller, tsé pour la fécondation in vitro, j’n’arrive pas à me le mettre dans la tête. C’n’est pas comme ça que c’est supposé se passer. Tsé le c’est supposé, je sais que ça veut rien dire là, mais c’n’est pas comme ça que ça se fait un bébé.»

D’autres participantes partageaient d’ailleurs l’opinion d’Anne sur le fait que la PMA n’est pas un moyen complètement «naturel» de procréation :

Amélia : «Tout ça c’est quelque chose de compliqué dans un sens parce qu’on sort du naturel. Tsé le naturel c’est quoi : un homme une femme font l’amour et y’ont un enfant. Faque aussitôt que tu sors de ça, c’est des questionnements.»

Félicia : «Ton corps n’est pas supposé de, premièrement, produire 13 ovules dans un mois des deux bords, pis de se faire vider ça à l’aiguille. Pis là 5 jours plus tard, tu reviens te faire transférer un embryon pis là ton corps est encore en agression.» Marie-Ève : «Tu forces la nature dans l’fond.»

Caroline : «La première fois que j’ai eu mon traitement, j’étais un peu zinzin pis ils étaient comme 7 dans la salle d’opération pis t’as les jambes écartées, ton chum est

123

là. J’ai regardé le médecin et j’ai dit ayoye, moi ma mère quand qu’elle m’a expliqué comment faire des enfants, c’était un monsieur pis une madame qui s’aiment. Je ne pensais pas qu’il fallait être 7 professionnels de la santé pour faire un enfant.»

Ce qu’il faut comprendre c’est que la dimension technique se trouve amplifiée lorsqu’interviennent les méthodes proposées en clinique et que ces techniques font intervenir un troisième acteur : le médecin (Chateauneuf 2011b : 7). La reproduction devient ainsi «sans sexe, mais avec un docteur» –ce qui la fait sortir du cadre naturel (Brody 1987 dans Price 1999). Néanmoins, comme vu dans le chapitre 2 : Concepts clés, essentiellement la PMA fournit la «même» route vers la grossesse et la condition parentale que les couples fertiles expérimentent, ce qui explique pourquoi les couples la choisissent tout de même.