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Comprendre la prépondérance des NTR dans une société technoscientifique

Chapitre 2 : Concepts clés

2.4 L’impact du socio-culturel sur le désir de parentalité

2.4.5 Comprendre la prépondérance des NTR dans une société technoscientifique

La vision anthropologique reconnaît que la technologie est un sous-système culturel qui exprime des préoccupations, des priorités et des valeurs culturelles (Sandelowski 1991 : 31). Ainsi, le fonctionnement de la culture peut être mis en évidence à travers l’étude d’une technologie et de son insertion dans une société donnée (Franklin 1999). Selon cette perspective, les Nouvelles Technologies de Reproduction peuvent jouer le rôle de fenêtre ethnographique donnant accès à nos valeurs et nos normes culturelles (Edwards 1999 et Chateauneuf 2011: 1). Nous verrons dans cette section comment notre pensée technoscientifique alloue à ces technologies de PMA de s’intégrer sans trop de vagues dans notre société et ce qu’elles révèlent sur nos conceptions.

Le concept de «Projet de la modernité» d’Habermas est intéressant ici puisqu’il révèle que l’Homme75 moderne76 a toujours tenté de dominer la nature via la science et qu’il a développé diverses formes «rationnelles» d’organisation sociale (Hirsch 1999). Ce concept permet de mettre à jour que l’on prend pour une évidence que la science doit impérativement dominer la nature pour le bien-être de tous et qu’il est commun en Occident de lier technologie et futur. La technologie est pour nous un représentant de la nouveauté, du progrès. L’idée qu’investir dans la technologie c’est investir dans le futur nous semble aller de soi (McNeil 1990 : 1). En fait, nous avons cette attente que la science et la technologie devraient être la source d’amélioration continue pour notre qualité de vie et que la poursuite de l’inconnu se fait au nom du bien public. L’acceptabilité des NTR est, parmi autre chose, basée sur cette possibilité de changer le monde pour le meilleur en dominant/altérant des processus biologiques naturels. Elles cadrent ainsi parfaitement dans le

75 Dans le sens d’être humain.

76 C’est-à-dire appartenant à la période de la modernité –soit celle ayant émergée il y a +/- 350 ans et qui a un

savoir-faire (Teukhein) technologique, un savoir-dire (Legein) scientifique et un univers de significations sociales (Imaginaire social) rationaliste.

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«Projet de la Modernité». Les Nouvelles Technologies de Reproduction sont normalisées puisqu’elles représentent le progrès dans le traitement des maladies, de l’amélioration de la santé humaine et des traitements d’infertilité. Un indicateur de cette normalisation est l’augmentation de la tolérance publique envers les NTR et de l’intolérance publique face aux dénonciations religieuses de la FIV et des recherches sur les cellules souches (Franklin 1990 et 2013). En cet âge du progrès médical, les connaissances scientifiques et les réponses médicales ne sont généralement pas questionnées et la plupart du temps elles sont légitimées. La technologie, en tant qu'application de la science, est construite et célébrée (Loe 2004 dans Brubaker and Dillaway 2009: 32).

À ce stade, on peut toutefois se demander si l’humanité a nécessairement été bien servie par la marche de la découverte. Tous les avancements scientifiques ne nous mènent pas automatiquement à des vies plus significatives et la science ne mène pas nécessairement au progrès linéaire –en fait, on pourrait dire, à plus juste raison, que l’évolution est récursive, c’est-à-dire que ses diverses composantes se renforcent mutuellement. Il faut se le dire, les scientifiques ont tous des motivations variées qui ne sont pas nécessairement liées à l’amélioration de notre qualité de vie. Ils peuvent désirer : 1) la popularité et l’argent, 2) servir les besoins humains, 3) introduire un nouveau marché, 4) découvrir quelque chose pour la simple joie de découvrir, 5) faire une découverte pour l’honneur et la gloire d’être le premier, 6) obtenir le respect de leurs pairs ou 7) viser l’obtention du prix Nobel77. Nonobstant, tous croient que l’ignorance est bien pire que la connaissance et que ce n’est pas parce que la physique nucléaire a mené à la bombe atomique, que l’électricité a apporté avec elle la chaise électrique et que l’ingénierie civile a permis les chambres à gaz, que tout développement scientifique mènera à des choses atroces (Marantz Hening 2004). Il faut toutefois admettre qu’aucune technologie n’est neutre et dénudée de spécificité historique, du contexte ou des valeurs de ceux qui, en premier lieu, les ont développés et qui, en

77 Comme cela a été le cas de Robert Edwards en 2010 pour sa contribution au développement de la FIV comme

traitement contre l’infertilité. Monsieur Edwards est en fait un des deux hommes impliqués dans la fertilisation du premier bébé FIV –Louise Brown. Certains ont fait valoir en 2010 que le comité avait trop attendu avant de remettre un prix pour cette réussite qui fait couler beaucoup d’encre, de sorte que Steptoe, décédé en 1988, n’a jamais pu obtenir la récompense ultime pour tous ses labeurs.

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deuxième lieu, les utilisent (Steinberg 1990 : 75). Toutefois, avec la reconnaissance grandissante de l’importance de la technologie dans notre vie de tous les jours, vient le fait qu’elle est si souvent acceptée que cela la rend invisible (Ratcliff 1989 : 1).

Nous avons vu plus tôt que la médecine occidentale c’est surtout une histoire d'essais pour résoudre les problèmes sociaux et contrôler la population, via la médicalisation (Loe 2004 dans Brubaker and Dillaway 2009: 32). Ici, nous rajouterons que dans notre société, qui croit que plus de technologies fait une meilleure médecine, la croyance est que personne ne prendra pas le risque de ne pas utiliser une technologie disponible (Kunisch 1989 : 41). C’est ainsi que nos technologies reproductives deviennent une idéologie reproductive (Beck- Gernsheim 1989 : 38). Le fait de recréer des fonctions corporelles technologiquement donne l’illusion de contrôler la prévisibilité d’un monde imprévisible. Conduit par cette approche hautement technocratique, la médecine clinique monopolise l’accès au corps humain et dévalue ou met sous silence les formes de compréhension alternatives (Sharp 2000 : 297). La science a une vision implicite du monde dans laquelle les êtres humains et la société sont des objets techniquement manipulables; ce qui se traduit par l’application de solutions techniques empiriques ou pseudo-empiriques à des problèmes sociaux (Burns 1985 dans Scutt 1990: 2). Elle est loin derrière l’époque où l’on pouvait distinguer une procédure médicale d’une procédure technique (Koval 1990 : 128).

Dans le cas des NTR, la littérature anthropologique démontre que c’est, entre autres, la valeur accordée à l’idéologie du progrès explique leur acception généralisée (Chateauneuf 2011 : 85-86). Ces technologies représentent la manifestation sociale de la foi généralisée envers les physiciens et les technologies médicales (Sandelowski 1993 : 48 et Strathern 2005 : 9-10). Dans notre société technoscientifique, choisir l’option scientifique (la médecine clinique) lors de problème d’infertilité fait donc sens.