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Chapitre 5 : Le vécu de l’infertilité

5.4 Quand la bonne nouvelle arrive

Lorsqu’elles tombent finalement enceinte, les femmes ont de la difficulté à croire que cela leur arrive vraiment. Consciemment ou inconsciemment, elles conçoivent difficilement que leur rêve d’enfant se concrétise après tout ce temps :

Jennifer : «Faque là, je commence à faire les tests de grossesse parce qu’à chaque fois t’as toujours l’espoir. […] En passant pour aller porter les serviettes, le test attire mon

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œil, pis j’ai fait –et là c’est vraiment ça j’ai dit et j’en suis pas fière… Oh mon dieu, c’est ça la première chose j’ai dite– Ah bin Tabarnac! Y’a deux lignes! Pis là je le prends, pis je suis comme j’hallucine, ça ne se peut pas, c’est un reflet, ça ne se peut pas, ça fait quatre ans que je l’attends cette christie ligne là! […] Pis là c’est bizarre, mais je ne le crois pas. […] Je m’en vais à la pharmacie. Folle que je suis, j’achète trois autres tests de grossesse différents de marques différentes pour être sûre. Je reviens à la maison faire les tests et là, ils sont tous positifs.»

Gevie : «Même que moi quand j’ai vu que j’étais enceinte, sur le coup, j’y croyais pas. J’ai même refait le test. En fait, j’avais pris Première Réponse […] faque la deuxième ligne était là, mais très, très, très, très, très pâle, faque j’ai dit est-ce que c’est ça? J’en tremblais. Là pour être sûr, j’ai été me chercher … écoute ça peut pas être plus claire que Clear Blue!!! Ils vont le dire Enceinte ou Pas Enceinte, c’est écrit en français. C’était écrit enceinte de 1-2 semaines. Pis en plus j’en ai refait un autre.»

Isabelle : «L’avant-veille [de mon accouchement], j’ai fait le pire cauchemar de toute ma vie. […] En fait, la grossesse pis avoir un enfant c’était deux choses qui étaient séparées dans ma tête. Pis j’ai rêvé que je retournais en écho –parce qu’ils surveillaient toujours mon taux de liquide amniotique qui était toujours au taux minimum requis, acceptable. Là je retournais en écho, pis là je voyais la photo de l’écho et tout ça. Pis là, ils m’envoyaient en salle d’accouchement, ils me provoquaient pis j’accouchais d’un bébé en 2D.»

Ceci se résume un peu à ce qu’une participante du documentaire Quand l’enfant se fait attendre dit :

«Au début on compte les cycles. Quand qu’on arrive au 45ème, on se dit : mais ce n’est

pas possible, c’est 45 fois que j’ai été malheureuse. En gros ça rime à ça. Et on ne sait pas comment réagir à la réussite. On est bien cadré, on sait comment réagir à l’échec, mais à la réussite, ça fait bizarre d’un coup».

Malheureusement, les femmes dans les programmes de PMA ont des taux d’avortements spontanés supérieurs aux grossesses sans assistance médicale. Ceci s’explique, en partie, par le fait que le corps est en réaction aux drogues ingérées afin d’induire une super ovulation (Brown, Fielden & Scutt 1990 : 92). Plusieurs participantes ont donc eu des grossesses ectopiques et des fausses couches :

Amélia : «Je fais un test, mais là tu y crois pas, tu te dis que le test ne doit pas être bon, faque j’en fais un deuxième le lendemain matin. Là tu fais comme OK deux, ça doit être vrai. Faque je prends rendez-vous avec le gynéco; il confirme la grossesse. Pis il me dit : je ne veux pas que tu t’énerves avec ça, tout peut arriver. Là dans ma

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tête je me disais : bin voyons, y’est dont pas fin. […] 1 mois après j’ai commencé à avoir des douleurs dans le bas du dos pis à l’épaule droite. Faque j’appelle info santé […] Je me rends à l’urgence pis effectivement c’était une ectopique. […] Y’ont pas fait de curetage, justement rien. J’ai eu des prises de sang aux deux jours. Écoute à la fin j’avais les bras… ça allait sur les mains. J’avais pu de veines pratiquement. Pour éliminer le fœtus, j’ai eu le fœtus quand même pendant un mois de temps mort, mais tsé à éliminer et à attendre parce que si ça ne partait pas, si le taux d’hormones ne descendait pas, c’était de la chimio.»

Mica : «Je suis tombée enceinte souvent moi, c’est juste que les grossesses n’étaient pas évolutives. Je pense qu’ils en avaient à peu près 7 en tout.»

Caroline : «Pis là, y’en a un de ces coups-là que je suis tombée enceinte [lors d’un TEC de sa 2ème FIV]. Pis là y’étaient convaincus que j’allais avoir des jumeaux parce que mon bêta hCG était dans le tapis. Faque là j’étais super contente, j’étais énervée bin raide. Pis là plus tard, ils t’envoient passer une échographie vaginale pour voir le cœur battre pis voir si elle n’est pas ectopique pis tout ça. Tout était beau, j’avais un petit cœur, j’en avais pas deux, y’en avait un. Pis là on a vu battre le petit cœur et tout. On était sur notre petit nuage.» Toutefois, à la fin de son premier trimestre, cette femme a malheureusement fait une fausse couche : «Ça l’avait pas de bon sens. Premièrement, j’ai attendu 14 heures d’attente à l’urgence. […] Il était rendu dans les petites heures du matin. Pis là mon médecin qui me suivait dans les grossesses à risque, elle arrive. Pis là moi, j’ai pété les plombs. Elle avait une petite résidente dans le coin, pauvre petite, je pense que je l’ai traumatisé bin raide. Là moi je pète ma coche. Je dis voyons je faisais super attention, je ne buvais même pas de thé glacé parce que y’a de la théine là-dedans. J’ai tout suivi les conseils, les règles, j’ai lu des livres, j’ai tout fait attention à tout. Pourquoi ça me fait ça? Je hurlais, y’avait rien à faire. Même mon chum n’essayait pas de me retenir. Lui, il pleurait dans un coin. La résidente faisait semblant de prendre des notes et jetait des petits coups d’œil inquiets de temps en temps. Eille là, là j’ai dit à mon médecin : là ce que je vais faire, c’est que je vais me mettre sur le BS pis je vais me geler à l’héroïne pis je vais tomber enceinte par accident comme toutes les ***. J’ai vraiment… ça l’avait pas de bons sens. Après ça, en tout cas, je sors de là avec une prescription de miso109, une pilule pour avorter à la maison parce que je ne voulais pas avoir de curetage, je ne voulais pas maganer encore plus mon utérus. […] Un vrai carnage cette affaire-là avorter d’un bébé de 12 semaines dans sa salle de bain. C’est assez épouvantable. C’est vraiment des contractions. C’est vraiment comme si t’accouchais. Pis t’accouches, pis ça dure des heures. C’est dégueu. Faque là, après ça, deux jours après, ils m’envoient pour une échographie pour voir si tout est correct. Y’avait rien qui avait bougé qu’elle me disait. Elle me disait : tout est encore là. Je lui disais : veux-tu voir ma salle de bain? Je te garantis que c’n’est pas tout là. Elle a dit : bin y’en reste encore beaucoup trop. Faque là y’a fallu que j’aille me faire faire un curetage.»

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On voit ici que lorsqu’un couple attend impatiemment un enfant et que la grossesse se solde en fausse couche, cela est vécu difficilement. Les couples ont alors de la difficulté à trouver un sens et un but à leur combat avec l’infertilité. Toutefois, ceux qui réussissent à devenir parent voient cette épreuve comme quelque chose qui se devait d’être pour les rendre les personnes qu’ils sont devenues; des personnes capables de surmonter l’adversité et qui apprécient les aspects de la vie qui sont souvent tenus pour acquis. De plus, l’enfant qu’ils ont justifié la bataille qu’ils ont eue. Pour les couples qui ressortent bredouilles, faire leur deuil, regagner un sens de plénitude et envisager une nouvelle vie sont nécessaire. Dans tous les cas, qu’ils aient ou non réussi à concevoir, il est primordial que ces couples viennent à bout de l’infertilité au niveau émotionnel (Sandelowski 1993). Voyons ce que les femmes en disent :

Isabelle : «Je pense que passer à travers l’infertilité ça nous rend meilleurs comme parent et comme personne. […] Je pense que ça apporte une appréciation encore plus grande.»

Félicia : «Mais là quand je regarde tout ça, je me dis bin une chance que le premier transfert n’a pas fonctionné parce que c’n’est pas celle-là que j’aurais eue. […] C’était elle qui devait arriver dans nos vies faque c’est correct. […] Je pense que la vie est parfaite et que les choses viennent au bon moment.»

Caroline : «Ma mère dit tout le temps que y’a rien qui arrive pour rien. Je ne comprends pas encore pourquoi c’est arrivé, mais y’a une raison. Y’aurait peut-être été très malade cet enfant-là, y’aurait peut-être eu une malformation. C’est peut-être pour ça que j’ai avorté. On ne le saura jamais. […] C’est sûr que c’est une grosse épreuve, mais ça m’a appris plein d’affaires sur comment ça peut être précieux un enfant, sur pleins d’autres affaires. Ça l’a vraiment changé ma perception d’une famille, ma conception de l’amour, du couple, de ce qui peut être dur. […] Je me dis mon dieu si on passe à travers de tout ça pis qu’on s’aime encore et qu’on trouve le moyen de rire de tout ça, c’n’est quand même pas pire.»

Marie-Ève : «Je me dis souvent, pis ça m’encourage parce que des fois y’a des moments difficiles : y’a rien qui arrive pour rien, la vie fait bien les choses. Pis c’n’est pas vrai que les autres ont tout.»

Maintenant comme avant l'époque des changements sociaux, qui ont théoriquement ouvert de nouvelles formes de valorisation sociale autre que la maternité pour les femmes, ne pas avoir d'enfant est vécu comme un échec. Plusieurs psychologues décrivent l’infertilité

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comme une série de perte, telles que perte : de contrôle sur son corps, de contrôle sur sa vie, d’estime personnelle, de l'enfant potentiel, de la relation affective souhaitée avec le conjoint et l'enfant, du statut social de mère, du statut social de famille et de tous les avantages escomptés lors de la venue au monde d’un enfant. Toutes ces pertes engendrent nécessairement un processus de deuil (Daniels 1999 : 262 et Ouellette 1988 : 22). L’infertilité constitue un deuil de quelqu’un qui n’existe pas. C’est un deuil sans fin : à la fois la perte d’un objet à venir, de son désir non comblé et de sa capacité d’enfanter. Il s’agit d’un manque caractérisé par l’absence. C’est un deuil qui ne se règle pas avec le temps, a priori, ce n’est pas plus facile à accepter après 5 ans qu’après deux ans (Cleveland 1990 : 81- 85). Comme le dit Amélia qui a essayé durant plus de 10 ans d’avoir un enfant, sans succès : «Ça l’a été un travail d’équipe, autant pour le deuil que pour le cheminement. Pis c’est encore un travail, pis je pense que ça va le rester. Ça va toujours être en travail».