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Chapitre 5 : Le vécu de l’infertilité

5.3 Quels impacts pour le couple?

Il est fréquent que la difficulté éprouvée à concevoir un enfant devienne omniprésente dans la relation de couple et que cela ait un impact négatif –surtout au niveau sexuel. Les relations sexuelles se transforment en une source de stress et de frustrations puisqu’elles ne remplissent pas une de leur fonction première : engendrer un enfant. Dans un programme de PMA, celles-ci deviennent programmées, et non plus spontanées, ce qui a fréquemment pour effet d’anéantir les satisfactions normalement retirées de l'intimité sexuelle (Ouellette 1988 : 22). Les pratiques sexuelles sont alors bouleversées, voire dénaturalisées. L’acte sexuel en soi en est réduit à sa plus simple expression physique (Chateauneuf 2011 : 182). Les «petites vites» deviennent la norme et en dehors des rapports sexuels programmés, les femmes deviennent moins enclines à l’acte (Murdoch 1990 : 69). Les couples mettent ainsi leur couple sur la corde raide puisque la PMA vient transformer leur vie sexuelle en une épopée qui est tout sauf romantique (Forget 2012 : 19-20). Voyons ce que les femmes en ont dit :

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Marie-Ève : «Ça c’est dur aussi. Ça c’est très dur avec le conjoint. De faire tout ça. De faire tous ces traitements-là. Ça cause des tensions sur un couple. C’n’est vraiment, vraiment, vraiment pas évident pour un couple de vivre tout ça.»

Maëlle : «Moi je pense que ça fait tellement longtemps que je voulais des enfants que ça l’a enlevé comme ce petit côté-là de … oui y’a le plaisir c’est sûr, mais moi y’avait tout le temps un peut-être que, un but. Là tu te dis : ça ne sert à rien à penser à c’te but-là.» «Faque quand qu’on a commencé les démarches bin veut, veut pas le couple en prend une volée.»

Félicia : «Tsé quand tu ne peux pas faire un enfant en faisant l’amour avec ton conjoint… nous autres les femmes quand qu’on décide que c’est ça qu’on veut, c’est ça qu’on veut. Tsé à moment donné j’étais vraiment rendue que je voyais … euh je voyais qu’on ne pouvait pas faire un enfant en faisant l’amour pis je trouvais dont ça inutile, pis mon chum avait le goût quand même là. Là moi je lui disais : bin ça ne nous donne rien pis lui il me disait : oui ça nous donne quelque chose, on a du plaisir. Pis moi j’étais là, bin moi j’en ai pu là-dedans. Lui vivait ça très difficilement, mais il a toujours respecté mes besoins. […] Pis à moment donné, il était comme vraiment harcelant, pis là je lui avais dit : tsé ton pénis, y’est pogné après toi, y’est sur toi, y’est attaché, ça veut dire que c’est ta responsabilité, faque occupe-toi s’en, moi je m’occupe de ma douleur. Faque je pense que y’avait vraiment saisi.»

Mica : «Le chemin a été long et c’est sûr que ça nous a éloignés. Ça c’est sûr. Mais c’est ça. Des hauts pis des bas. Des hauts pis des bas. Parce que c’est sûr que ça affecte la relation amoureuse. […] Des chicanes parce qui faut qu’on ait des relations sexuelles à tels moments donnés… »

Éliane : «L’impact des relations sexuelles programmées, ça à long terme l’intimité, ça l’a scrappé un peu. Moi et mon chum on a commencé à consulter en couple à cause de ça, pour le manque d’intimité et les conséquences de ça sur notre couple.»

Amélia : «À travers de ça, le couple en a mangé une claque. Y’en a mangé une claque parce que oui c’est les hormones […] je peux-tu te dire qu’il servait de punching-bang. […] Dernièrement, [mon conjoint] m’a avoué on faisait l’amour pis j’avais l’impression que je te violais. Parce que moi j’avais les deux bras en arrière de la tête pis j’avais pu de fun. J’ai même vécu de la sécheresse.»

Toute cette tension au sein du couple pousse d’ailleurs certaines femmes à offrir à leur conjoint de les laisser pour chercher une nouvelle conjointe afin qu’il puisse avoir des enfants. À d’autres occasions, c’est plutôt la femme qui se questionne à savoir si elle devrait «aller voir ailleurs».

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Marie-Ève : «Je me dis que si j’étais avec un autre ça marcherait-tu? Je me suis posée souvent cette question-là : est-ce que je suis avec la bonne personne?»

Félicia : «Mais tsé à moment donné tu te questionnes. Tu te dis c’est tu vraiment lui l’homme de ma vie? C’est-tu vraiment avec lui? Parce que moi je suis fertile, moi j’n’en ai pas de problème de fertilité, c’est lui qui a ça. Quand l’infertilité est juste d’un côté, t’es comme Ummm.»

«Intervieweuse : Est-ce que vous avez songé à vous séparer? Pour essayer avec un autre conjoint ou juste parce que relation allait moins bien?

Mica : Oui. Oui. C’est sûr qu’à un certain moment donné notre relation allait pas très bien pis moi dans ma tête … on n’en a pas parlé de se séparer parce que ça n’allait pas bien, mais moi dans ma tête je me suis dit : notre situation ne peut pas continuer comme ça. C’est vraiment désagréable de vivre ensemble. Pis je me demandais : qu’est-ce qui va nous arriver là? Je me posais des questions. J’avais un peu peur là. C’est sûr que moi à moment donné quand on est arrivé au don d’ovule, qu’on a comme compris que ça ne marcherait pas avec mes ovules pis que les médecins avaient l’air de dire que c’était … de ma faute –y’ont pas mis ça comme ça là–, mais de ma faute que ça fonctionnait pas, je lui ai dit à mon conjoint. Je lui ai dit : Regarde si ça te tente de … de fréquenter quelqu’un d’autre pour avoir des enfants… Je ne voulais pas être responsable.»

Caroline : «Quand j’ai perdu mon bébé à 12 semaines, là j’ai dit fuck! Là j’avais peur. J’ai dit là il va être tanné là le petit gars. Lui il va dire si j’avais été avec une autre fille, j’aurais déjà mes 2-3 enfants. J’avais peur qu’il s’en aille. J’ai dit là, je vais avoir perdu mon bébé, je vais perde mon mari. Je vais tout perde. C’est terminé. Mais finalement, non. Ça nous a même rapprochés je dirais. […] Y’aurait pu sacrer son camp depuis longtemps. […] Je lui ai déjà dit : crim tu pourrais partir avec une petite poule de 20 ans, t’aurais déjà ta famille toi là. Y’a dit c’est pas ça que je veux, je veux avec toi. Je lui dit ouin, mais si jamais y’a rien qui se passe, qu’on ne peut pas adopter parce que ma sclérose en plaques … peut-être qu’à l’adoption ils vont dire [signe que non]. Je ne le sais pas, je ne peux pas cacher ça. […]e lui ai dit c’est quoi, on vas tu rester ensemble, être un vieux couple qui vieillit tout seul? Moi j’pas prête à ça.»

Ainsi, même si les hommes et les femmes avouent que le coût des traitements est élevé sur leur vie et sur leurs relations –tout particulièrement sur leur satisfaction sexuelle–, ils les poursuivent tout de même. En fait, c’est qu’il est estimé qu’avoir un enfant reste une des manières les plus efficaces de se réaliser sur le plan humain et peu de couples établis décident d’y renoncer (Collier 2010 : 170). De plus, les hommes ne veulent généralement pas refuser à leur femme l’opportunité de vivre une grossesse et un accouchement et leur laissent donc le soin de choisir de continuité les traitements (Daniluk 2001 : 126). Ceci n’est

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toutefois pas sans effet sur le couple puisque l’homme, en se dégageant de la sphère décisionnelle, met une pression de plus sur les épaules de la femme. C’est elle qui a le soin d’entreprendre de nouvelles démarches, qui émet des propositions et qui pousse la réflexion vers d’autres alternatives. Les femmes sont donc des agents actifs qui analysent leur situation et essaient de faire des choix éclairés, voire stratégiques. Elles ne se présentent que rarement comme des victimes passives (Chateauneuf 2011 : 3 et Greil 2002 : 112-113).

Anne : «Pour mon chum sa réponse c’est que c’est mon corps. Faque c’est comme à moi de décider. Je trouve ça quand même difficile, même si je suis super contente parce que je ne voudrais pas qu’il me force. De toute façon, je l’écouterais pas… Mais je ne voudrais pas sentir une pression de sa part pour qu’on fasse quoi que ce soit avec lequel je ne suis pas bien. Mais j’ai l’impression que ça repose sur mes épaules au final le choix.»

Éliane : «Tout ce qui a rapport avec la fertilité, je dirais que c’est plus moi. Je ne sais pas pour les autres, mais j’ai l’impression que les hommes en général… Juste déjà un cycle menstruel, savoir c’est quand qu’il faut le faire, juste de programmer ça…. Faque c’était plate de tout le temps ah bin là ça serait le temps. Même si je lui dis d’avance là samedi ça va être le temps de commencer, de lui-même ça ne viendra pas. Il ne pense pas à ça nécessairement. Faque ça je trouvais ça lourd. C’était moi qui portais la responsabilité de ça. […] Jusqu’à maintenant, il a été fermé de s’impliquer là-dedans.»

Caroline : «J’ai dit ça à moment donné à mon chum : tsé j’ai tellement pu besoin de toi [rire]. T’as tellement pas rapport dans l’histoire. Toi la seule affaire que tu fais c’est aller dans une petite pièce avec les lumières tamisées pis t’amuser pendant quelques minutes avec ton corps. C’est la seule affaire que t’as rapport dans l’histoire. Moi, je manque de l’ouvrage, je vais chercher des médicaments, je me pique partout, je me rentre des hormones dans le nez, dans le vagin, partout. Je mets toute ma vie en suspens pour ça. Toi ça te prend deux minutes d’investissement. Il trouvait ça bin drôle. Il dit : oui, mais c’est important. Je lui dis : c’est vrai, je t’enlève pas ça. Mais tsé tu t’en vas [en voyage pour le travail] pis je vais pouvoir continuer pendant que t’es pas là.»