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Test d’anamorphose sur les distributions statistiques de feux de forêt : la droite de Henry

2.2 Les paramètres centraux dans les distributions statistiques de feux de forêt

2.3.4 Test d’anamorphose sur les distributions statistiques de feux de forêt : la droite de Henry

Henry

La droite de Henry correspond aux fréquences théoriques cumulées tirées de la loi Normale. Les points indiquent les valeurs des fréquences réelles cumulées pour les différentes valeurs de la variable. Si la distribution des valeurs réelles de la variable était parfaitement “normale”, tous les points se trouveraient sur la droite de Henry.

Conformément aux travaux de Sneyers (1974) et à la procédure décrite par Saporta (2006) reprise dans les travaux actuels de Rakotomalala (2007), il s’agit de :

- trier les données de manière croissante pour former la série x(i) ;

- à chaque valeur x(i), nous associons la fonction de répartition empirique33 :

- calculer les quantiles successifs Z(i) d'ordre Fi en utilisant l'inverse de la loi normale centrée

et réduite (commande directe dans Excel ®) ;

Si les données sont compatibles avec la loi normale, les points forment une droite, dite

droite de Henry, alignés sur la diagonale principale. Nous comparons dans la Figure 33 les trois

séries régionales tirées de la base Prométhée avec la série canadienne des grands feux de forêt (>200 ha entre 1959 et 1999). Pour une meilleure lisibilité des graphiques, les échelles des abscisses et des ordonnées sont limitées à 2 000 ha pour les régions françaises (alors que quelques feux sont proches de 10 000 ha) et 500 000 ha pour le Canada (alors que la valeur maximale est de 1 million d’hectares).

Figure 33. La droite de Henry pour séries statistiques d’incendies de forêt

Nous constatons que les séries de feux s’écartent très nettement de la droite de Henry, ce qui confirme définitivement la non-concordance des distributions à une loi normale. Ceci implique que la moyenne n’est pas un bon indicateur pour comprendre statistiquement les feux. Mais cela implique également de renoncer aux indicateurs comme l’écart-type et sa variante, le coefficient de variation, qui prenne comme référence la valeur centrale. Ce constat remet profondément en cause la plupart des travaux statistiques sur le sujet.

Droite de Henry -- Les feux de forêt en Languedoc-Roussillon (1973-2006) 0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000 0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000 Tailles réelles des feux (ha)

T ai lle s t hé or iqu es d es fe ux ( ha )

Droite de Henry -- Les feux de forêt en Corse (1973-2006)

0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000 0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000 Tailles réelles des feux (ha)

T ai lle s t hé or iqu es d es fe ux ( ha )

Droite de Henry -- Les grands feux de forêt au Canada (> 200 ha / 1959-1999) 0 50 000 100 000 150 000 200 000 250 000 300 000 350 000 400 000 450 000 500 000 0 50 000 100 000 150 000 200 000 250 000 300 000 350 000 400 000 450 000 500 000 Tailles réelles des feux (ha)

T ai lle s t hé or iqu es d es fe ux ( ha )

Droite de Henry -- Les feux de forêt en PACA (1973-2006)

0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000 0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000 Tailles réelles des feux (ha)

T ai lle s t hé or iqu es d es fe ux ( ha )

Ainsi, R. B. Chevrou proposait d’admettre que : « Dans l’hypothèse d’une loi normale, la

probabilité que la surface annuelle brûlée s’écarte de la moyenne de plus de deux fois l’écart-

type est de 36 % (…) »34. On sait désormais que de telles hypothèses sont fausses puisqu’elles

nous amènent à sous estimer largement la probabilité d’occurrence des très grands feux et à sous- estimer tout aussi largement la part des très petits feux. La présomption de symétrie des distributions n’est en effet pas valable.

Les distributions présentent en effet une part écrasante de très petits feux (nous avons vu que la médiane d’une série de plusieurs milliers de valeurs s’établit souvent vers 0,1 ha) et seuls quelques événements destructeurs sont responsables de la majorité des surfaces brûlées. Ce trait de caractère semble correspondre à une distribution en loi puissance dont un des caractères est une « longue traîne » (heavy tail en anglais).

L'effet heavy tail, qui peut être traduit en français par effet « longue traîne » ou « longue

queue », peut donc être appréhendé comme un outil de la théorie des statistiques permettant de mettre en valeur l'importance du poids des événements peu fréquents ou de faible amplitude par rapport à celui des événements à grande fréquence ou amplitude dans le cadre de l'étude d'une distribution. La longue traîne est une expression courante pour désigner des distributions qui présentent un profil en loi puissance, profil connu depuis longtemps des statisticiens (loi de Zipf, de Pareto, de Lévy). La loi la plus utilisée en statistique (la loi normale que nous avons réfutée) est critiquée dans certaines de ses utilisations pour sa queue « étroite ». En finance par exemple, cette queue étroite correspond à une sous estimation des variations extrêmes, et de nouveaux modèles, dits à large queue, cherchent à éliminer ce problème. Le phénomène est aussi connu sous les noms de grandes queues, queue des lois de puissance ou queues de Pareto.

Ces distributions sont en général de la forme ci-contre :

Figure 34. Représentation schématique d’une distribution présentant une longue traîne

34 Incendies de forêt : variabilité des surfaces annuelles brûlées, FAO/CIHEAM, atelier de Tétouan, Maroc, 1999,

p.105

ln

Dans ces distributions, une population à grande fréquence ou grande amplitude est suivie par une population à fréquence faible ou de faible amplitude, qui diminue graduellement en une « traîne ». Bien souvent, les événements peu fréquents ou de faible amplitude (la longue traîne

représentée par la portion jaune du graphique) peuvent au total représenter un poids ou un

nombre plus important que la première partie du graphique. La structuration en loi puissance semble ainsi mieux correspondre au phénomène incendiaire. La suite de ce travail va consister à valider cette hypothèse et à faire évoluer le modèle généralement admis pour en rendre compte.

Conclusion

La variabilité du phénomène feu de forêt est grande. Issues de la base de données

Prométhée, les séries statistiques portant sur les différentes tailles des surfaces brûlées sont

anormales, au sens gaussien du terme. En effet, plusieurs indicateurs parmi lesquels le degré d’asymétrie et d’aplatissement nous donnent à penser que l’approche traditionnelle de calcul des probabilités (courbe de Gauss) est inadaptée pour les distributions de feux. C’est ainsi que si le calcul de la moyenne reste tout à fait possible, cette valeur ne peut pas seconder les observateurs, les hommes politiques ou les opérationnels, en tant que dimension pertinente au phénomène incendiaire à même de servir de référence dans le calcul des risques. Dans cette première phase d’analyse, nous avons donc « déconstruit » en quelque sorte l’a priori de normalité dans les manifestations des feux de forêt. Cette idée, fausse comme on a pu le vérifier, implique que l’état de surprise face à l’activité incendiaire reste tout à fait majeur, et ce, malgré les moyens techniques et humains croissants qui sont déployés au quotidien par les sociétés. De plus, il semble que l’inadéquation de l’approche gaussienne concerne l’ensemble des espaces dans le monde concerné par les incendies de forêt, et pas seulement le Sud-est méditerranéen français. Ceci implique que ce phénomène, dans l’irrégularité de ses manifestations, est régi par des mécanismes universels qui s’appuient sur les structures spatiales et climatiques spécifiques à chaque département, région ou pays. Quelles que soient en effet les échelles auxquelles le phénomène est étudié, il semble nous offrir la même structure statistique dont la nature fractale sera l’objet de recherche tout au long de cette thèse. Dans ce premier chapitre analytique, nous avons envisagé brièvement une alternative connue au modèle gaussien. Cette structuration statistique semble en effet correspondre à ce qui a été nommé dans la littérature la loi puissance,

loi de Zipf ou loi de Pareto. Il semble donc judicieux de se lancer sur cette piste de recherche

prometteuse qui, si elle est restée peu ou pas envisagée par les chercheurs français, est depuis une vingtaine d’années un sujet prolifique pour la compréhension des différents régimes d’incendies de forêt dans le monde. Cependant, la structuration puissance n’est pas spécifique au phénomène incendiaire puisqu’elle concerne toute une série de phénomènes complexes dans lesquels interagissent de manière non-linéaire des variables de natures différentes. On rejoint ici la question de l’universalité des processus et la thématique des feux semble être un champ intéressant d’expérimentation. Le chapitre suivant visera alors à éclairer le lecteur sur l’histoire de loi puissance, les domaines où elle a été vérifiée, sa mesure ainsi que les travaux de référence dans le domaine des feux de forêt.

Chapitre 3. La loi puissance dans la nature

« Assurons-nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause. (…) Nous éviterons ainsi le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point »

B. Le Bouyer de Fontenelle

L’Histoire des Oracles (1687)

Farbstudie Quadrate, 1913

Table des matières

Chapitre 3

Introduction ... 99