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Des causes humaines de feux aux règles statistiques de la répartition des feux : une question d’échelles

1.3 Les causalités des feux de forêt articulées dans les échelles spatiales et temporelles

1.3.4 Des causes humaines de feux aux règles statistiques de la répartition des feux : une question d’échelles

question d’échelles

La volonté de connaître les causes humaines d’éclosion est largement motivée par les raisons judiciaires de recherche de(s) coupable(s) qui, si elle est l’unique voie d’information à destination du grand public et des autorités, peut conduire le système de prévention et de lutte à se dédouaner d’une véritable introspection critique.

Cette appréhension du problème à l’échelle de l’individu, de la parcelle et des événements un à un, ne permet néanmoins pas une prise de recul nécessaire pour saisir sa globalité. L’immédiateté temporelle comme la « réalité » du terrain peuvent, si elles sont l’unique entrée du raisonnement, contraindre la compréhension du phénomène feu à un aspect mécanique (néanmoins essentiel pour la science). Cette prédominance de l’échelle locale trouve sa source dans la matérialité même du feu de forêt.

En effet, contrairement à l’étalement urbain qui se produit sur de larges échelles temporelles et spatiales, le phénomène feu prend forme sur des échelles étroites. Son emprise spatiale ne dépasse ainsi que très rarement un kilomètre en longueur et une centaine de mètres en largeur (en Europe et pour la majorité des cas). Il démarre en quelques minutes et évolue durant plusieurs heures, voire deux ou trois jours maximum (toujours dans un contexte européen). Si l’approche locale permet par exemple l’estimation du stress hydrique des plantes et de la disponibilité immédiate du matériau végétal nécessaire au feu (Trabaud, 1989), les règles de la structuration du phénomène relèvent plutôt d’une analyse globale. D’abord par l’étude des

« phénomènes mécaniques liés à la météorologie (sécheresse, température et vent) » (Chevrou,

1995) qui sont récurrents dans les régions méditerranéennes.

Ces contraintes climatiques peuvent s’intensifier lors d’un effet de foehn que P. Carrega illustre dans son article sur le feu de Cagnes-sur-mer d’août 2003 (Carrega, 2005). Les règles globales structurantes du phénomène relèvent ensuite de la pression anthropique sur l’espace (densité urbaine, aires de loisir, etc.) qui est très variable à la fois dans l’espace en raison des concentrations de bâti qui drainent les flux de population et dans le temps (mouvements pendulaires domicile / travail). La compréhension de la mise à feu (et donc des lieux de mise à feu) passe ainsi par l’acceptation, certes difficile pour beaucoup, qu’une corrélation statistique établie sur plusieurs centaines de feux nous apporte plus d’informations que la causalité mécanique connue d’une poignée. On rejoint ici l’ensemble des travaux sur la distribution spatiale des éclosions d’incendies pour identifier des « bassins de mise à feu ». Leur situation dans l’espace est en effet très fortement corrélée à la distance aux routes (Follin, 2000 ; Mangiavillano, 2004 ; Carrega, 2006) et aux aires urbaines (Catry et al., 2007). Le recul spatial et temporel nécessaire pour comprendre statistiquement l’éclosion du feu n’explique malheureusement pas l’action mécanique micro locale de chaque foyer.

Il semble qu’il y ait dans les échelles une évolution de l’appréhension des règles structurantes du phénomène. A un niveau local (pour une temporalité courte, un individu, une parcelle et un feu), le phénomène incendiaire apparaît comme une suite de fluctuations aléatoires difficilement lisibles du point de vue statistique, mais mécaniquement liées à des causalités bien établies par les physiciens (pour la propagation du feu). A un niveau plus global, c'est-à-dire pour une temporalité longue, une population, une aire communale, voire départementale et une série de feux, le phénomène incendiaire devient très structuré statistiquement, mais sans le retour possible aux causalités locales. Du local au global et pour l’éclosion du phénomène, la notion de corrélation statistique vient en quelque sorte se substituer, faute de mieux, à celle de causalité mécanique.

Cette hypothèse semble corroborée par les travaux de D. Alexandrian et M. Gouiran sur

les causes de feux par l’analyse discriminante.Dans leur article, ils ont proposé une méthode

pour attribuer « une origine aux feux qui n’en pas »26 (Alexandrian D. et Gouiran M., 1990). Le

modèle, élaboré au sein de l’Association pour le Développement et la Diffusion de l’analyse de

Données (ADDAD), vise à attribuer de manière subjective aux feux de cause inconnue la même

origine que les feux éclos dans un contexte similaire. Ce contexte est construit sur une suite d’indicateurs qui évoquent tantôt la temporalité (mois, jours, heures), tantôt la spatialité locale (distance aux routes, proximité d’une décharge) et tantôt la spatialité globale (communes, lieux touristiques, activités industrielles, etc.). Les feux de cause connue sont répartis aléatoirement en deux groupes, l’un pour construire le modèle et l’autre pour tenter de le valider.

Les résultats montrent qu’une connaissance statistique globale est possible, mais que le modèle se trompe quatre fois sur cinq pour les feux pris individuellement. Une tendance générale peut ainsi être développée. Elle permet par exemple de distinguer entre elles les catégories de mise à feux (feux agricoles, feux supposés malveillants; feux). Mais cette tendance ne permet pas la compréhension mécanique locale de chaque éclosion. Une corrélation statistique est possible entre la répartition spatio-temporelle de variables et celle des feux. Mais l’aller-retour explicatif entre cette corrélation globale et une causalité locale est à l’inverse peut probable.

La raison de ce paradoxe réside dans la trop grande quantité de paramètres à prendre en compte dont la nature est variable (climat, substrat, comportements humains individuels, mouvements de populations, etc.) et dont les interactions ne sont pas linéaires.

Le nombre de paramètres et la non-linéarité de leurs interactions sont d’autant plus grands et intenses que la focale d’analyse est fine. Cette focale d’analyse concerne les échelles spatiales et temporelles. Or, c’est bien à un instant t et pour une résolution spatiale métrique que se déroule la mécanique de l’éclosion. La prise de recul spatiale et temporelle permet de minimiser le nombre de variables et donc le poids des fluctuations aléatoires. Dans ces conditions, il est possible de faire ressortir les corrélations statistiques pour espérer comprendre la variabilité de l’éclosion des feux.

Pour la propagation du feu et à l’inverse de son éclosion, ces deux modalités d’analyse sont étroitement liées. La corrélation statistique globale s’explique en effet localement par une série de causalités mécaniques. Ainsi, la répartition mensuelle des surfaces brûlées sur trente ans se comprend par le déficit chronique en eau des espaces méditerranéens. Ce stress hydrique périodique conditionne le comportement potentiel au feu de chaque plante (Ellerkamp, 2002). Néanmoins, la connaissance des règles déterministes locales n’est pas suffisante pour se projeter dans le temps en raison, là aussi, de la non-linéarité des interactions entre les variables. Ainsi, le degré d’humidité d’une plante permet d’estimer un potentiel local d’inflammabilité (Trabaud, 1985 et 1989 ; Valette, 1990) mais pas la prédiction d’inflammabilité.

Conclusion

L’aspect statistique envisage l’étude de la répétitivité du phénomène. La mécanique décrit les conditions de sa diffusion. Ces deux approches sont très différentes en raison des divergences disciplinaires qui séparent la mécanique des fluides, la climatologie et l’analyse spatiale. Elles sont néanmoins complémentaires puisqu’elles décrivent à des échelles différentes un même processus. C’est bien la compréhension de la variabilité des feux de forêt qui est sous- jacente à ces thématiques de recherche. Cette variabilité peut être déclinée des points de vue du spatial et du temporel auxquels se rajoute la dimension d’échelle. Les liens entre ces trois dimensions du phénomène restent un sujet peu étudié.

Il semble ainsi difficile d’appréhender la variabilité des feux de forêt (en taille, en nombre, dans l’espace et au cours du temps), car elle intervient sur de grandes gammes d’échelles (Simard, 1991). Elles nous apportent chacune des éléments de compréhension particuliers. Elles poussent le chercheur à s’intéresser tantôt à l’aspect mécanique (local) et tantôt aux conditions climatiques (global). Nous explorerons le côté statistique de cette variabilité dans les échelles. Néanmoins et par analogie avec la variabilité hydrologique, « plutôt que de la considérer comme

une difficulté à plus ou moins contourner, on peut au contraire tenter de la considérer comme un phénomène fondamental pouvant receler un élément de simplification important : la symétrie d’échelle. En effet, la façon la plus simple de comprendre cette variabilité (…) est de considérer qu’il y a un processus élémentaire et invariant d’échelle qui reproduit d’échelle en échelle cette variabilité. Ce processus peut être physiquement défini par les interactions non linéaires entre

structures de différentes échelles » (Schertzeret al., 2006).

Nous étudierons donc la structuration dans les échelles du phénomène feu selon ces deux modalités d’analyse (multi-échelles et invariance d’échelle) qui posent des questions différentes et néanmoins complémentaires.

Chapitre 2. Des séries des feux « anormales » dominées

par le poids des événements extrêmes

« Tout n’est qu’apparence, non ? »

Alberto Giacometti

Le dessin à l'œuvre

Centre Pompidou - Musée National d´Art Moderne Alberto Giacometti

Table des matières

Chapitre 2

Introduction ... 67