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Le territoire portuaire : un territoire complexe évoluant entre stratégie d’écologie industrielle et territoriale et stratégie d’économie circulaire

complexification au sein des territoires portuaires en période de transition

PROVENCE METROPOLE Type of energy

5. Conclusion and perspectives for the social sciences

3.3. Discussions du chapitre 3 : complexité et transition énergétique des territoires portuaires

3.3.1. Le territoire portuaire : un territoire complexe évoluant entre stratégie d’écologie industrielle et territoriale et stratégie d’économie circulaire

A l’instar des réflexions posées dans le cadre du chapitre 2, sur la co-existence d’une écologie industrielle et d’une économie circulaire au sein des territoires industrialo-portuaires, on constate une dualité de tendances :

- Une tendance cherchant naturellement une certaine forme d’autarcie de fonctionnement (secteurs industriel et urbain notamment) ou de spécialisation (secteurs industriels et agricoles). Van Damme (2014) ou Theys et Emelianoff (2001) présentent par exemple les concepts de ville post-carbone, propre, énergétiquement auto-suffisante, la biopolis, la ville contenue ou ville sobre, qui sont finalement assez recentrées sur elles-mêmes sans envisager les interactions bénéfiques qu’elles pourraient avoir avec les autres systèmes environnants (industriels, agricoles, etc.). Dans le cas de la spécialisation (monocultures agro-industrielles ou espaces industriels spécialisés à grande échelle par exemple), on tend plutôt vers des systèmes finalement peu structurés mais intensément productifs et commerciaux spécialisés dans la « croissance » (système juvénile) et presque entièrement fondés, pour leur permanence, sur de forts niveaux d’exportation.

- une autre tendance plus connectée et basée intrinsèquement sur le caractère d’ouverture (le secteur portuaire). Or, dans le cas de Marseille, l’autorité portuaire se retrouve être un acteur moteur dans le décloisonnement de bon nombre d’approches et d‘initiatives au niveau du territoire, bien qu’en interne (au niveau de la zone industrialo-portuaire), il semble aussi y avoir deux mondes qui co-existent :

o L’espace portuaire logistique, dont la raison d’être est la maximisation des flux échangés (vision globalisée) entre un monde extérieur maritime et un hinterland plus ou moins étendu : Le delta entre le flux entrant et le flux sortant (marchandises traitées) doit alors être le plus faible possible et la notion de distance n’est pas forcément pertinente.

o L’espace industriel portuaire, dont la raison d’être est l’augmentation de la valeur des biens suite à la transformation et la production de masse via des industries lourdes et/ou des entreprises de transformation secondaire (industrie automobile, aéronautique, chaudronnerie, etc.) : Le delta entre le flux entrant et le flux sortant doit alors être le plus faible possible (démontrant une grande compétitivité et productivité dans sa transformation de la matière première reçue). Il s’avère cependant que les pertes de ce système industrialo-portuaire sont encore importantes et le niveau d’entropie est donc encore loin de renvoyer à un système optimisé, encore moins auto-suffisant. Les stratégies d’écologie industrielle y sont principalement déclinées avec un objectif de gain de compétitivité (ce qui peut bien évidemment contribuer à renforcer leur ancrage territorial et in fine intéresser l’autorité portuaire si les flux gérés localement se pérennisent voire se développent).

Page 150 Les ports (dans le sens restrictif du mot) pourraient finalement avoir tout intérêt à se maintenir dans un état juvénile pour à la fois rester compétitifs, rester ouverts, renforcer leur capacité d’adaptation (stratégie, organisation, etc.) et être des espaces qui ont un très faible delta entre le flux entrant et le flux sortant (utilisation maximale de l’énergie). Par contre, la zone industrielle attenante, en termes d’écologie industrielle, pourrait avoir davantage d’intérêt à tendre vers un état mature, en cherchant à boucler au mieux les flux sur son espace et à moins dépendre de l’extérieur.

Co-existent ainsi des initiatives pouvant se revendiquer plutôt d’approches d’écologie industrielle et d’autres plutôt d’une économie circulaire. Cela concourt à confirmer les définitions que nous avions proposé en préambule, et à positionner le territoire portuaire (et son aménagement) plus ou moins au service d’une vision et d’une stratégie nationale (Georgeault, 2015):

- L’économie circulaire correspond à une approche macro/globalisée, qui tend à remettre en cause la notion de proximité propre à la symbiose industrielle locale en s’affranchissant plus aisément de la notion de distance, notamment via l’aspect de la logistique maritime. Le territoire portuaire se retrouve mis au service d’une approche stratégique nationale en termes de gestion des ressources qui renvoie au métier premier du port et des entreprises portuaires (gérer et générer des flux, d’où qu’ils viennent et où qu’ils aillent). Cette approche stratégique nationale tend à « instrumentaliser » le territoire portuaire.

- L’écologie industrielle et territoriale correspond à une approche meso-micro/territorialisée qui renvoie à la notion de proximité propre à la symbiose industrielle locale (dimension géographique affirmée selon Bouba Olga et Ferru, 2012 ; ancrage local fort selon Torré, 1993 ; ancrage territorial selon Zimmermann, 2005) et à l’importance de la proximité « cognitive » (institutionnelle) entre les parties prenantes du territoire. Cette approche s’inscrit davantage dans une logique de gestion locale des ressources au service du territoire, ce qui correspond à l’optique première des collectivités publiques locales (gérer et générer de l’emploi et des richesses localement et limiter les impacts en termes de rejets locaux). Intégrant davantage la problématique d’intégration port-ville, d’appartenance territoriale et de paysage, l’écologie industrielle est ainsi mise au service du développement territorial.

Plusieurs exemples peuvent illustrer cette différence de stratégies au regard de la gestion des ressources, comme celle développée par Ecocem (Janin, 2015), la confrontation d’arguments entre les partisans de bioraffineries situées dans des ports et ceux prônant leur installation directement au sein des espaces agricoles de production des matières premières. Quand on étudie le passé industriel de la zone de Marseille-Fos (Daumalin, 2014, 2003), on perçoit clairement que la recherche d’une proximité avec les gisements de matières premières (saumure, charbon, etc.) ont guidé les choix d’implantations industrielles au cours du 19ème siècle et du 20ème siècle (industrie chimique à Fos et autour de l’Etang de Berre, usine d’aluminium à Gardanne, etc.). Avec l’ouverture à l’international rendue possible par l’interface et l’outil portuaires au cours du 20ème siècle, ces schémas d’approvisionnement locaux ont progressivement volé en éclats et ces mêmes industries se fournissent désormais aux quatre coins de la planète (le charbon utilisé aujourd’hui par l’usine thermique de Gardanne provient du marché international, et est acheminé quotidiennement depuis le port de Fos, où il est débarqué, par une cohorte de camions). C’est là une limite éthique dans les approches dites d’économie circulaire, que l’on constate en France mais également en Chine. A Ningbo, en Chine, par exemple, la production de sulfate de calcium (gypse) issu du lavage des fumées

Page 151 de la centrale thermique au charbon est recyclée par l’industrie cimentière, seulement en partie sur le site local de Beilun, alors que la demande locale, notamment d’autres cimentiers, suffirait à la réutiliser entièrement sur place. Une partie de ce gypse est donc recyclé à l’extérieur du territoire pour des raisons d’intérêt économiques, générant des flux de transports importants (Lei Shi, communication personnelle). Dans un autre registre, la majorité des activités de démantèlement et de déconstruction navale s’opère aujourd’hui dans le Sud-Est asiatique. Vue à une échelle globale, on pourrait parler d’une logique d’économie circulaire, l’acier récupéré assurant quasiment l’intégralité des besoins annuels de ces pays (Bangladesh, etc.). Cependant, cette boucle n’est certainement vertueuse qu’au regard du seul critère économique et ne considère que peu, voire pas du tout, les dimensions sociales et environnementales liées à ces activités (Pillard, 2015). Si Boutillier et al. (2014) ont rappelé les limites (quantitatives, informationnelles, organisationnelles, réglementaires, infrastructurelles, etc.) auxquelles peut se heurter la rentabilité économique des pratiques d’écologie industrielle, il convient donc d’être encore plus prudent vis-à-vis du bien-fondé de certaines de ces pratiques de coopération se réclamant de l’économie circulaire dans le cadre des territoires portuaires, où la seule dimension de proximité géographique ne suffit pas à expliquer les logiques d’échanges et de synergies entre acteurs.

3.3.2. Une nouvelle façon de caractériser l’évolution et la durabilité d’un