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Partie III : L’évolution de la formation aux yeux des acteurs

3/ L’évolution de la formation

3.3 La formation au cœur des enjeux de territoire

3.3.6 Territoire, interrelations, et conception interactionniste

Les dispositions dans le partage des territoires d’exercice traduisent des rapports de force qui trouvent pour partie leur essence dans les intérêts et visions antinomiques vis-à-vis des autres groupes professionnels, mais également vis-à-vis de l’État.

Le terme « saucissonnage » de la profession de guide, qui s’opère par le biais des nouvelles qualifications, signifie bien un démembrement du territoire dont le partage résonne comme une perte d’autonomie pour les guides, d’où les tensions et conflits suscités dans des moments chargés d’enjeux. Partageant un même territoire, certaines confrontations sont inévitables, bien qu’une certaine régulation sur le principe de tolérance maintienne l’équilibre. Le ski-guiding, l’encadrement en ski par le guide sur des pistes par jours de mauvais temps, en est un exemple. Les moniteurs ont par ailleurs des demandes d’ouvertures sur le ski de randonnée. En revanche, l’attribution légitimée par la formation d’un espace déjà occupé offre les conditions propices à des tensions plus importantes, pour rappeler le monitorat d’escalade en 1984. Dans ce cas précis, il s’agissait d’une pratique nouvelle résultant d’un phénomène de spécialisation. Le territoire d’exercice limité à une altitude de 800 m, redéfini à 1 500 m (Partie 1-7-6), témoigne des négociations et de l’enjeu de préservation du territoire d’exercice des guides. Cet enjeu glisse de la préservation à l’appropriation lorsque les activités sont nouvelles, et les espaces réinventés. Mettant en valeur un espace spécifique, elles font jour à

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de nouvelles qualifications, partagées et revendiquées par plusieurs corps professionnels, à l’instar des guides pour le Canyon, devenu DE autonome en 2010.

Le territoire montagnard est organisé selon une affectation d’un espace d’exercice professionnel pour chaque groupe concerné, au sein duquel chacun tient une fonction définie : encadrer la randonnée pour les AMM, l’alpinisme pour les guides, etc. Les critères de ce maillage sont les compétences dévolues au diplôme, et l’espace géographique montagnard, critères qui se précisent à mesure que les acteurs et le système en général se complexifient (Partie 1-3). Ces critères font l’objet de négociations entre les groupes professionnels, lors de réunions au sein de la Commission Consultative ou plus tard du C.S.S.M., au sein duquel sont représentés les acteurs concernés (Partie 1-7-3). Elles incarnent les rapports de force, en ce qu’elles sont l’expression de stratégies et volontés déterminées dans la défense de l’autonomie et du territoire du groupe professionnel (Bourdeau, 1991). Toutefois, ce serait oublier une donnée dans l’équation des interrelations que de limiter cette lecture aux seules instances corporatives.

En effet, en mettant en perspective l’histoire de la formation, apparaît le rôle prépondérant de l’État, particulièrement présent en 1975 et 1984 par des politiques sportives et éducatives. Dans ces multiples interventions, la logique est toujours celle de l’homogénéisation, tant sur les politiques de qualifications (de l’éducation sportive en 1975, de l’encadrement sportif en 1984 ou des filières professionnelles sportives européenne en 2010) que sur le partage du territoire (pour caricaturer : les accompagnateurs « en bas », les moniteurs d’escalade « en falaise » en dessous d’une certaine altitude ou en structure artificielle, etc.). Cette logique de conformité aux dispositifs portés par l’État s’est confrontée à celle bien distincte des métiers sportifs, qui s’ancre davantage dans une appartenance de l’espace fondé sur l’identité du groupe professionnel, celle du guide renvoyant « directement à un fructueux débat entre territoire et culture1

», ce que nous retrouvons par l’exemple de la randonnée en moyenne montagne, la « chasse-gardée des vieux guides ». Le compromis du dispositif de 1976 est particulièrement symptomatique et emblématique de la rencontre entre ces deux logiques. Avec l’AMM, la montagne est découpée en « moyenne » et « haute ». Le BE Alpinisme est hiérarchisé selon trois degrés, mais les métiers montagnards conservent leur spécificité (Partie 3-3-2), témoignant de la dualité idéologique qui imprègne la formation, que nous retrouvons dans les propos d’A. Mallon : le diplôme d’AMM, « c’est une construction !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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‘intellectuelle’ qui est jolie sur le papier mais qui dans les faits ne correspond à rien ». Il est

intéressant de constater le caractère paradoxal qu’entretient le corps professionnel des guides vis-à-vis des dispositions réglementaires. Il semble à la fois les « subir » (exemple : le monitorat d’escalade en 1986) et progressivement les accepter ; et à la fois les utiliser comme outils en faisant sien un espace d’exercice et donc une activité (l’intégration du canyon en 1996 par exemple). D’un point de vue global, trois invariants semblent donner sens aux changements du dispositif de formation : une logique étatique confrontée à celle des métiers sportifs de montagne ; un mouvement du global-montagne vers le spécifique-espace : le « saucissonnage » de la profession ; et enfin plus particulièrement depuis les années 1990, une ouverture à l’Europe qui complexifie l’équation par une concurrence accrue, et la problématique de reconnaissance et d’équité des qualifications entre pays, induite par le principe de libre circulation des biens et service.

A travers notre cheminement, constatons le lien entre les trajectoires individuelles et collectives (Partie 2-2/3), à mettre en perspective avec les dynamiques au sein du groupe professionnel et dans l’espace des professions (Partie 3). Selon nous, un élément important que transcrivent les entretiens est le fait que la profession de guide résulte d’un processus historique de segmentation permanent, de compétitions entre segments dans le groupe professionnel, mais également dans l’espace professionnel, d’un façonnage constant animé par différents facteurs : l’État, l’environnement socioculturel, les instances corporatives, et également les membres de la profession. Dans ces conditions, il nous semble que l’ensemble de nos résultats va dans le sens de trois idées (Wittorski, 2008)1

que défend la conception interactionniste de la professionnalisation : « les membres d’une même activité de travail ont tendance à s’auto organiser, à défendre leur autonomie et leur territoire, et à se protéger de la concurrence », « la dynamique d’un groupe professionnel dépend des trajectoires biographiques de ses membres, elles-mêmes influencées par les interactions existante entre eux et avec l’environnement », et « les groupes professionnels cherchent à se faire reconnaître par leurs partenaires en développant des rhétoriques professionnelles et en recherchant des protections légales ». La question de la formation des guides nous semble bien au carrefour de ces trois critères.

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