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Partie II : La pratique professionnelle, pour une approche géoculturelle de la formation

2.1 De l’évolution des pratiques récréatives évolutives à la redéfinition du rôle professionnel

2.1.4 Nouveaux usages sportifs, diversification, et logique sécuritaire

Comme l’exprimait déjà Philippe Bourdeau en 1990, le tourisme sportif s’inscrit dans un contexte plus global qui est celui de la culture sportive contemporaine. Ses travaux mettent en évidence un certain nombre de tendances parmi lesquelles : la croissance des sports individuels vis à vis des sports collectifs, la diversification des modèles de pratiques sportives, et l’adaptation des pratiques sportives aux contraintes de la vie urbaine : une logique de temps compressé et fragmenté. L’alpinisme, initialement à une place éminemment centrale, évolue vers une technicité croissante, tout en rencontrant une certaine stagnation, pour finalement se concentrer « sur les courses faciles permettant d’accéder aux sommets les plus connus, d’où la relative saturation de certains refuges et de certains itinéraires, qui contraste avec la désaffection de courses autrefois très fréquentées, l’accessibilité et la ‘consommation sportive’ rapide l’emportant sur l’engagement ».

Cette influence des usages sportifs sur les métiers sportifs de montagne, par le biais de nouveaux espaces récréatifs, est le constat que partagent Philippe Bourdeau, Jean Corneloup, et Pascal Mao (20062

). Ils exposent la nature de cette évolution. Les auteurs expliquent que la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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1 Zalio, M. (1982).

segmentation des modèles des pratiques sportives de montagne résulte d’une forte diversification. Un exemple illustratif que nous retrouvons dans les contenus de formation est l’escalade, puis la cascade de glace (introduite en 1993). Les pratiques se sont également hybridées. Parmi elles, le VTT, dont la qualification apparaît en 1990, et le canyoning, intégré au cursus du guide en 1996. Ces pratiques font appel à un tout autre registre que celui des références historiques de l’alpinisme, amenant les auteurs à faire le constat d’une « culture sportive renouvelée ».

Ces derniers apportent une analyse pertinente sur les sites de pratiques : plus accessibles, plus aménagés, plus sécurisés. Les nouvelles pratiques amenant à spécialiser les espaces, à les aménager en vue d’une activité spécifique, rapproche finalement la vallée et la haute montagne : canyons, cascades de glace, via ferrata, ou encore les parcours acrobatiques. Les contenus de formation coïncident avec ces évolutions, ces derniers ayant, selon B. Pellicier, connu « un certain nombre d’adaptation qui ont pris en compte les nouveautés, le

ski, cascade de glace, la via ferrata… on empilait un certain nombre d’activités dans la formation. Et ça, ça s’est passé dans les années 1990 début 2000. »

Les auteurs soulignent également que les pratiquants sont davantage tournés vers la fluidité et le confort, qui s’inscrit dans un mouvement plus ludique et plus « récréatif », comme le démontre le matériel plus sophistiqué et plus fiable, ou encore le confort croissant dans les refuges. Les temps d’activité se font plus courts, les pratiques moins engagées. D’une manière générale, l’investissement est atténué, que ce soit en temps ou en entraînement : de l’évolution du profil des pratiquants émerge « une demande d’accès simplifié et dédramatisé de la nature » (Bourdeau). Au regard de cette tendance, la formation réoriente sa politique en matière de niveau de difficulté des courses durant les stages. Moins engagées, moins difficiles, elle tendent à correspondre à ce que le professionnel rencontre dans l’exercice du métier, comme l’illustrent les dires de J.S. Knoertzer : « on fait des courses ‘guides’ ».

Par ailleurs, la notion d’usager ou de client remplace progressivement celui de pratiquant2 : l’autonomie du client vis-à-vis de l’espace de pratique s’est atténué, les

pratiquants manifestent pour la plupart un caractère changeant. Les propos d’Alexis Mallon sont très illustratifs : « on a tout une frange de clientèle qui font le mont blanc, ce sera la

seule et unique fois qui feront de la montagne. Ensuite ils passent à autre chose : l’iron man,

L’autonomie sportive et sécuritaire du pratiquant, qui était le principe jusqu’alors, se retrouve supplantée par la technologie sécuritaire : la technologie remplace le pratiquant dans l’anticipation d’éventuelles erreurs, dans la maîtrise du risque2. Cette logique sécuritaire met alors en avant la responsabilité du professionnel encadrant, et par percolation celle de la formation dans son rôle de professionnalisation des individus.

La perspective proposée dans cette section met en exergue le caractère évolutif et les mouvements des cultures sportives. D’emblée, nous constatons que la formation s’adapte à ces évolutions, en incorporant de nouvelles disciplines, en redéfinissant le niveau technique, en apportant des notions de gestion, en réorientant les profils de compétences. Les métiers du champ des activités récréatives de montagne évoluent concomitamment aux pratiques, et le phénomène de spécialisation nous conforte dans notre intérêt porté pour l’espace professionnel comme champ d’enjeux, qui voit l’émergence de groupes spécialisés vers des pratiques spécifiques. Les conditions d’exercice, sur lesquelles nous porterons notre intérêt dans une section suivante, nous permettront probablement de mieux apprécier, comprendre, dans quelle mesure la pratique professionnelle a été impactée par les courants observés, et comment la formation en prend compte. D’autre part, nous ne pourrions faire l’économie des dynamiques internes au groupe professionnel pour mieux situer les débats et enjeux que nous supposons entre les groupes professionnels, et qui feront l’objet d’une phase ultérieure.

Nous voudrions enrichir nos propos grâce à la figure suivante. Jean Corneloup et Philippe Bourdeau y décrivent trois générations distinctes de professionnels.

Figure 16 : La dynamique des cultures professionnelles à travers l’exemple des activités de haute montagne et de moniteur de ski (Bourdeau 2006, d’après Corneloup)

1ère génération Culture professionnelle moderne (1950-1980) 2ème génération Culture professionnelle post-moderne (1980-2000) 3ème génération Culture professionnelle trans-moderne (2000-…) Rôle du professionnel

« Celui qui va devant » « Celui qui est avec » « Celui qui transmet »

Registre d’intervention

La technique Le marketing La culture

Situation-type La course guidée, la

leçon de ski Le stage d’escalade, le séminaire d’entreprise La descente commentée du Kandahar, la course « patrimoniale », le briefing de Jano Faure au refuge des Écrins

Ces éléments coïncident avec certaines interprétations concernant les contenus de formation. Elles nous permettent de conforter certaines de nos analyses, et d’en affiner d’autres. En effet, jusqu’au dispositif de 1984, c’est l’aptitude physique et technique qui est la ligne force de la formation, dans une développement croissant des savoirs pratiques et théoriques. Le profil de compétence du guide comme « conducteur de l’excursion » nous semble ressortir, en parallèle à sa fonction grandissante de transmetteur de savoirs et d’enseignant, rejoignant ici le registre « technique » ainsi que le rôle de « celui qui va devant ». Par la suite, le dispositif mis en place avec la loi Avice nous semblait immiscer une logique client, qui correspondrait avec le registre d’intervention « marketing ». La mise en perspective du rôle du guide, proposée en fin de première partie, soulignait le rôle d’ « accompagnement » que revêtait ce dernier, faisant écho au rôle post-moderne présenté ici, « celui qui est avec ». Enfin, les éléments de la culture professionnelle trans-moderne viennent alimenter notre réflexion, au profit d’un regard plus aiguisé sur les contenus de formation de 2010. Il semble en effet que la finalité de l’enseignement transmis mette en avant un profil particulier du guide, non pas tant un savoir faire, mais un savoir-être, entendu comme un comportement, une attitude dans une situation donnée (Partie 1-6). Le guide serait alors celui qui est capable, par sa connaissance du milieu, sa culture, et ses savoirs, « d’amener la bonne personne au bon endroit au bon moment » pour reprendre les termes d’A. Mallon. En ce sens, il nous semble rejoindre la culture professionnelle trans-moderne par un professionnel dont le rôle est « celui qui transmet ».