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5. Problèmes de protection dans les camps à long terme

5.3 Un environnement générateur d’insécurité

5.3.3 Tensions avec la population locale

Si dans la phase d’urgence l’arrivée de populations réfugiées est généralement bien accueillie par la communauté locale, les relations se dégradent parfois à mesure que se prolonge la situation de réfugiés et que se pérennisent les camps (Agblorti, 2011). En effet, la communauté locale est souvent la première à aider les réfugiés avant l’arrivée des organismes internationaux. Un Ghanéen avait déclaré au sujet de l’arrivée d’urgence de réfugiés libériens dans son village : «When they arrived here they had no food to eat. One

could see how they struggled to survive, so we felt for them. They are human beings like us. What happened to them could happen to anyone, so we sympathised with them. That was why we allowed them to use all the social amenities available to this community such as the borehole» (cité dans Agblorti, 2011:79). Cependant, la solidarité initiale cède souvent la

place au ressentiment envers les réfugiés, où leur présence prolongée est associée aux impacts négatifs sur la communauté locale. Des Tanzaniens déclaraient ainsi qu’un certain nombre de problèmes et de conflits avec les réfugiés sont apparus au fil des ans (Berry, 2008 :127). Ce ressentiment affecte les relations entre les réfugiés et leurs hôtes, et peut devenir un important vecteur de conflits (Berry, 2008 :127). Trois principaux facteurs alimentent la perception négative des réfugiés par la communauté locale et le risque de conflit entre les communautés, soit le fait que les réfugiés bénéficient à long terme de l’assistance internationale, l’insécurité dans les régions habitées par les réfugiés, ainsi que l’augmentation du ratio population/ressources.

Malgré les pressions grandissantes sur les bailleurs de fonds pour intégrer les populations locales aux programmes d’assistance aux réfugiés, les investissements dans ce domaine ne représentent pas une priorité (Agblorti, 2011 :76). Ces projets sont d’ailleurs souvent les premières victimes des coupures de budget des organismes internationaux, ce qui entraîne la perte d’emplois et de bénéfices dans les communautés locales, augmentant ainsi la

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perception négative de la présence des réfugiés (Whitaker, 2008 :249). Par conséquent, les réfugiés sont perçus comme des privilégiés, recevant l’assistance internationale même une fois la phase d’urgence dépassée (Crisp, 2000 :618; Aukot, 2003 :79). Cela suscite du ressentiment et de l’incompréhension à savoir pourquoi ils mériteraient davantage cette aide que les locaux, alors qu’ils sont étrangers sur leurs territoires (Agblorti, 2011 :75). De plus, les camps sont souvent situés dans des régions marginales et sous-développées du pays d’accueil, et la population locale est donc particulièrement pauvre et dans un besoin manifeste d’assistance internationale. Grâce à cette assistance, les conditions de vie des réfugiés sont souvent perçues meilleures que celles des populations locales, ce qui exacerbe encore le ressentiment envers eux. Dans le district de Gomoa au Ghana par exemple, l’un des plus pauvres du pays où sont situés les camps de réfugiés libériens, il est rapporté que les Ghanéens ressentent négativement l’approvisionnement en nourriture dans les camps, alors qu’eux parviennent difficilement à subvenir à leurs besoins (Porter et al, 2008 :245). La présence des réfugiés comporte également des implications sécuritaires pour le pays d’accueil, dont les populations locales peuvent être les victimes directes ou indirectes. En effet, cette présence est susceptible d’impliquer toutes sortes de problèmes sécuritaires, dont les plus manifestes sont les incursions militaires de groupes du pays d’origine, mais également une augmentation du taux de criminalité et de violence, de trafics illégaux et de vols. Au Ghana, une série de vols armés sur la route de Cape Coast attribués aux réfugiés ont forcé l’armée ghanéenne à sécuriser la route, une situation qui préoccupe fortement la population locale (Porter et al., 2008 :245). Au Kenya, les locaux blâment les réfugiés pour l’augmentation du nombre d’armes à feu et d’attaques armées dans la région (Aukot, 2003 :76). En février 2005, des tanzaniens ont brulé à mort un réfugié surprit à voler des haricots dans leur village (Whitaker, 2008 :251). Ces incidents augmentent donc les tensions et les risques de conflits entre les communautés réfugiées et locales, et contribuent à la détérioration des relations au fil du temps. Les réfugiés sont aussi souvent les boucs émissaires des problèmes sécuritaires déjà existants de la région, que les États sont incapables de régler (Jacobsen, 2001 :12; Mogire, 2011 :89).

95 Enfin, la présence des réfugiés augmente le ratio population/ressources dans une région, ce qui contribue à la surconsommation et à la détérioration des ressources locales. Les camps logeant des milliers de réfugiés se révèlent à long terme fortement nuisibles à l’environnement naturel local, puisque les réfugiés utilisent les ressources dans le rayon restreint autour du camp, ce qui ravage au fil du temps ces ressources et crée de la rareté. Dans le camp de Bonga en Éthiopie, l’impact environnemental le plus flagrant est la déforestation, car des milliers d’hectares de forêt ont été coupés depuis la fondation du camp (Martin, 2005 :336). La réserve forestière près du camp de Krisan au Ghana souffre également de dégradation majeure due à la recherche de bois de chauffage par les réfugiés (Agblorti, 2011 :80). Dans l’ouest de la Tanzanie, la présence à long terme de plus de 400 000 réfugiés a contribué aux problèmes de déforestation à grande échelle, à l’épuisement des ressources d’eau, à l’érosion du sol et à la perte d’animaux sauvages (Berry, 2008 :126).

Ces problèmes sont d’autant plus préjudiciables que les populations locales sont souvent dépendantes de cet environnement pour leurs activités de subsistance (Agblorti, 2011 :80). L’insécurité alimentaire locale peut ainsi être blâmée sur la présence des réfugiés. Les communautés kenyanes autour du camp de Kakuma sont des pasteurs nomades, qui dépendent des pâturages et de l’eau pour eux et leur bétail, et maintiennent que ces ressources ont été ravagées par l’érosion du sol causée par la présence des réfugiés (Aukot, 2003 :76). Les ressources rares sont donc contestées entre les réfugiés et les communautés locales, ce qui engendre manifestement des tensions et des conflits pour l’accès aux ressources (Porter et al., 2008 :232). Si ces conflits ne sont pas inévitables, une région qui accueille des réfugiés et qui montre des signes de dégradation et d’épuisement des ressources est susceptible de connaitre des conflits reliés à l’environnement (Martin, 2005 :333). En Éthiopie par exemple, des dizaines de réfugiés ont été tués et de nombreux autres blessés lors d’affrontements ethniques en 2002, ce qui a entrainé la relocation de centaines de réfugiés vers un autre camp. Des incidents surviennent fréquemment, et les populations réfugiées et locales rapportent les dangers de s’éloigner dans la brousse pour collecter des ressources (Martin, 2005 :337).

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