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Le problème du maintien des restrictions sur les mouvements à long

6. Le camp : une entité dysfonctionnelle à long terme

7.2 La difficile gestion du passage du temps

7.2.2 Le problème du maintien des restrictions sur les mouvements à long

Les mesures provisoires et les restrictions doivent toutefois cesser dès que l’urgence du problème diminue (Durieux et McAdam, 2004:18). Ainsi, lorsque la situation de réfugiés se stabilise et sort de la phase d’urgence, les mesures exceptionnelles et les restrictions sur les droits ne sont plus justifiées. Le maintien des camps de façon illimitée n’est donc plus

103 conforme aux engagements des États, car il dépasse la limite temporaire, et n’est plus nécessaire ni justifié par rapport aux effets néfastes du confinement prolongé.

Le maintien des camps à long terme n’est pas conforme au caractère temporaire et provisoire des restrictions sur les droits des réfugiés. En effet, les restrictions sur les mouvements et les droits des réfugiés doivent demeurer essentiellement temporaires, et ne pas constituer une forme de détention illimitée (Beyani, 2000 :129). Ces mesures ne doivent pas durer plus longtemps que l’urgence elle-même ni être maintenues de façon illimitée, afin que les droits puissent être appliqués le plus rapidement possible (Durieux et McAdam, 2004:21). Cependant, les États sont plutôt réticents à reconnaitre la fin de la phase d’urgence, et donc le moment où les restrictions ne sont plus justifiées. D’ailleurs, il n’est pas nécessairement évident de savoir quand exactement se termine la phase d’urgence et à partir de quand commence la phase prolongée. En effet, certains camps reçoivent continuellement de nouvelles vagues de réfugiés, comme ceux du Kenya, alors que d’autres sont beaucoup plus stables, entre autres en Thaïlande et en Tanzanie. Comme le soulignent Goodwin-Gill et McAdam, «refugee camps are also more commonly in evolution, from

emergency reception, shelter, and assistance locations, through to more settled communities of greater or less permanence. Even for the State, in situations which may reasonably be classified as ‗emergency‘ at one or other stage, exactly what human rights are due is not always clear» (Goodwin-Gill et McAdam, 2007:470). Or, après des années

d’exil, il semble que les circonstances exceptionnelles qui prévalaient lors de l’arrivée des réfugiés soient moins manifestes. Après un certain nombre d’années, la vie des réfugiés n’est plus forcément en danger immédiat et l’État aurait normalement eu le temps nécessaire pour s’ajuster à la présence des réfugiés et mettre un terme aux restrictions sur les mouvements afin de respecter ses obligations de bonne foi.

On pourrait ajouter que les motifs sécuritaires invoqués par les États pour maintenir les camps sont fortement discutables à long terme. En effet, il a déjà été démontré que c’est la politique de mise en camp qui engendre elle-même une large part de l’insécurité des régions habitées par les réfugiés. Ainsi, il semble que maintenir de larges populations dans des camps à long terme, plutôt que d’être indispensable à la sécurité nationale de l’État

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hôte, alimente au contraire les problèmes sécuritaires. Il semble donc injustifié de blâmer les réfugiés pour l’insécurité dans le pays d’accueil.

De plus, les dispositions de la Convention sont claires et précises à l’effet que les restrictions sur les droits des réfugiés ne peuvent être justifiées qu’au moment de l’arrivée des réfugiés et dans l’attente de la détermination de leur identité et la régularisation de leur statut, c’est-à-dire lorsque la présence physique n’est pas encore légale. Par ailleurs, la régularisation du statut ne signifie pas nécessairement l’obtention d’un statut formel de réfugié, mais l’autorisation à rester sur le territoire pendant l’examen de la demande d’asile après le contrôle d’identité et de sécurité. Même une interprétation généreuse du temps nécessaire pour déterminer l’identité et les risques ne serait pas suffisante pour justifier les restrictions sur des années (Deardorff, 2009 :15). Le maintien des camps à long terme outrepasse donc le temps d’attente nécessaire pour recouvrer la liberté de mouvement et l’accès aux autres droits de la Convention. En maintenant ces restrictions de façon continue et illimitée, les États ne procèdent ainsi pas de bonne foi afin de véritablement vérifier l’identité et examiner la demande de protection d’un individu.

De plus, la nécessité du confinement dans l’attente de la régularisation du statut doit être justifiée par rapport au risque d’une personne en particulier et non d’une population complète (Clark, 2004 :601). À long terme, le confinement général des réfugiés dans les camps est arbitraire et ne distingue pas entre les individus qui poseraient un risque réel à la sécurité de l’État hôte et ceux qui satisferaient à la définition du réfugié. Il n’est donc pas nécessaire aux fins du contrôle de sécurité de confiner arbitrairement et de façon prolongée toute une population.

Par ailleurs, les États qui n’ont pas de procédures de détermination individuelle du statut de réfugié, dont la plupart des pays en voie de développement, ne sauraient justifier les restrictions prolongées sur la base de l’absence de telles procédures. En effet, sans ces procédures qui régulariseront son statut et sa présence légale, le demandeur d’asile ne pourrait donc jamais échapper aux restrictions imposées par les mesures provisoires des articles 9 et 31(2). Cela serait incompatible à long terme avec la nature temporaire de ces restrictions et avec l’obligation des États de respecter de bonne foi ses engagements légaux.

105 Un État ne peut se soustraire à son obligation de lever les restrictions après la régularisation du statut et d’accorder les droits relevant de la présence légale par son refus ou son incapacité à admettre les réfugiés à cette procédure de vérification de leur statut (Hathaway, 2005 :658). L’absence de procédures de détermination du statut ne peut être réconciliée avec l’obligation légale des États à respecter ses engagements de bonne foi que si cette absence n’empêche pas les réfugiés d’accéder aux droits accordés sur la base de la présence légale (Hathaway, 2005 :659). Lorsque l’État tolère des populations de réfugiés sur son territoire, mais ne détermine pas officiellement leur statut de réfugié, la présence des réfugiés doit être présumée légale, et même résidant régulièrement, à la suite de leur présence continue sur une période plus ou moins longue (Hathaway, 2005 :420). Les restrictions ne sont alors plus justifiées et la présence des réfugiés doit être présumée légale. Enfin, les restrictions prolongées sur les déplacements sont injustifiées par rapport aux conséquences néfastes qu’elles entraînent à long terme sur les réfugiés. Les conditions de confinement dans les camps sont en effet particulièrement précaires, et parfois même inhumaines et cruelles. Les politiques de mise en camps imposées par les États hôtes exposent les réfugiés à de sérieux risques pour leur sécurité physique sur une période prolongée, et particulièrement les femmes et les enfants. Que certains États obligent les réfugiés à vivre dans des camps frontaliers et peu protégés, où il est clair qu’ils seront la cible d’attaques est une violation du droit fondamental à la sécurité. Un État est également responsable lorsqu’il néglige de prendre les mesures appropriées pour répondre à un risque sérieux et connu. Ainsi, le fait que des femmes soient obligées de s’aventurer dans les forêts adjacentes aux camps pour chercher du bois de cuisson, parce que l’État hôte refuse de fournir ce bois, et s’exposer au risque reconnu d’enlèvement est inhumain et cruel (Hathaway, 2005 :455). De plus, que des femmes soient forcées de recourir à la prostitution pour se nourrir elles et leurs familles et accéder aux services dans les camps est dégradant (Hathaway, 2005 :457). Ces conditions de confinement sont particulièrement préoccupantes, puisqu’un État ne peut en aucun cas, même lors de circonstances exceptionnelles, justifier un échec à protéger toute personne contre les traitements inhumains, cruels et dégradants (Hathaway, 2005 :453).

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Les conditions dans les camps peuvent ainsi inciter les réfugiés à retourner involontairement vers leurs pays d’origine, faute d’opportunités et de moyens de subsistance dans les camps. Lorsque des réfugiés sont confrontés à des conditions de vie aussi précaires où ils n’ont d’autres options que de quitter le pays d’asile, leur départ forcé

de facto constitue une forme de refoulement (Hathaway, 2005 :318). Refuser l’accès aux

droits fondamentaux risque en effet de pousser les réfugiés, par pure nécessité économique, à retourner vers leur pays d’origine où leur vie peut encore être menacée (Edwards, 2005 :322). Il s’agit ainsi de la violation de la norme la plus fondamentale du régime de protection internationale des réfugiés.

Par conséquent, les restrictions sur les mouvements et les droits des réfugiés ne sont plus justifiées lorsqu’elles sont maintenues de façon illimitée après l’arrivée initiale et alors que la présence des réfugiés doit être présumée légale. Aucun motif raisonnable ne justifie en effet de confiner pendant des années une population dans des conditions de vie aussi précaires.