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La pratique des États en matière de partage des responsabilités

8. Le partage de la responsabilité de la protection des réfugiés

8.2 La pratique des États en matière de partage des responsabilités

Malgré l’importance du partage des responsabilités, la pratique des États depuis la fin de la guerre froide n’a pas été tout à fait concluante pour supporter ce principe de coopération quant à la protection des réfugiés (Hurwitz, 2009:161). En effet, les États plus nantis sont généralement réticents à accepter des obligations sur le principe de la solidarité, et particulièrement en ce qui concerne le partage des coûts financiers de la protection et de la réinstallation des réfugiés (Hurwitz, 2009 :140). Trouver une formule consensuelle de partage des responsabilités s’est révélé «mission impossible» à l’échelle internationale (Durieux, 2009b :78).

Le partage des responsabilités, s’il reçoit le support général des États, demeure un principe non contraignant et réalisé seulement de façon ad hoc, discrétionnaire et insuffisant (Hathaway et Neve, 1997 :117; Barutciski et Suhrke, 2001 :108). En effet, la nature non contraignante du principe fait en sorte que les États qui fournissent l’aide l’appliquent à leur discrétion et selon leurs intérêts politiques (Eggli, 2002 :83). La Tanzanie, qui abrite une large population de réfugiés depuis de longues années, est l’un des plus critiques envers la pratique des États plus développés en matière de partage des responsabilités. Comme le soutient un représentant de la Tanzanie: «While that concept was well established and

recognized in theory, it was nonetheless a sad reality that the hiatus between theory and practice was very wide. […] That was particularly true in respect of long-standing refugee situations and, since there was no mechanism to apportion the sharing of the burden within the international community, whatever resources that were made available to the countries

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of asylum remained a matter of charity, left to the discretion of individual States (cité dans

Hurwitz, 2009:162). Par conséquent, Barutciski et Suhrke ont remarqué que les États riches ont appliqué le principe de partage des responsabilités principalement lorsqu’ils y voyaient un intérêt stratégique. Les États-Unis par exemple ont initié d’importants accords de partage des responsabilités avec les pays d’asile des réfugiés de l’Indochine et du Kosovo, où ils étaient directement impliqués dans les conflits de ces deux régions (Barutciski et Suhrke, 2001 :109).

Il existe principalement deux manières de partager la responsabilité de la protection des réfugiés avec les pays hôtes; en réinstallant des réfugiés sur son territoire et en accordant un soutien financier aux pays hôtes et agences internationales présentes dans les camps.

8.2.1 La réinstallation des réfugiés marginale

Les accords et les dispositions en matière de réinstallation de réfugiés de la part des pays développés ne suffisent pas à démontrer une pratique constante et cohérente des États envers le partage des responsabilités (Hurwitz, 2009 :161). En effet, la réinstallation de réfugiés est limitée à un nombre restreint d’États, et le pourcentage des réfugiés qui en bénéficient demeure très marginal par rapport aux millions de réfugiés vivant dans les pays de premier asile (Hurwitz, 2009 :161). Comme il a déjà été mentionné à la section 4.1.3, les États industrialisés ont mis en place une série de mesures restrictives visant à contrer l’arrivée de demandeurs d’asile sur leurs territoires, et même à les empêcher d’accéder à leurs systèmes d’asile. De plus, les places de réinstallation demeurent très limitées par rapport à la demande et au nombre de réfugiés qui restent coincés dans des camps sur de longues périodes de temps. En 2011, c’est moins de 1% des réfugiés mondiaux qui aurait bénéficié de cette solution durable (UNHCR, 2012a :17). Même si la réinstallation est une solution qui ne pourra toujours permettre qu’à une minorité d’en bénéficier, elle pourrait néanmoins contribuer à alléger le fardeau des pays de premier asile et les inciter à appliquer eux aussi une solution durable, soit l’intégration locale, ce qui permettrait de débloquer les situations de réfugiés prolongées (Hurwitz, 2009 :152).

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8.2.2 Le soutien financier insuffisant et discrétionnaire

À l’instar de la réinstallation des réfugiés, le soutien financier aux pays de premier asile et aux organismes internationaux responsables de la protection des réfugiés demeure très insuffisant et attribué de façon discrétionnaire. De plus, il s’agit en pratique davantage d’une question de charité que d’une obligation légale (Hathaway et Neve, 1997 :141). Le HCR est particulièrement vulnérable et dépendant des contributions des États pour ses opérations. L’Agence ne reçoit que 2% de son financement annuel du budget général de l’ONU, et le 98% restant de son budget doit être collecté par le biais de contributions volontaires des membres de l’ONU et autres donneurs (Whitaker, 2008 :243). La vaste majorité du financement du HCR provient donc des pays industrialisés, avec les États-Unis, l’Union Européenne et le Japon qui comptabilisent à eux seuls 94% des contributions étatiques (Whitaker, 2008 :243). Puisque ces contributions sont effectuées par les États de façon volontaire, les pays donateurs peuvent alors décider de la destination et l’affectation de ces fonds en fonction de leurs propres intérêts ou priorités politiques (Hurwitz, 2009 :148). Ainsi, environ 80% du financement du HCR est affecté à des programmes ou opérations spécifiques (Whitaker, 2008 :243). Par conséquent, le soutien financier n’est pas forcément attribué aux pays dans le plus grand besoin, mais où les États donateurs le décident et y trouvent leur intérêt.

L’exemple du biais évident de l’allocation des ressources du HCR en faveur des réfugiés européens d’Ex-Yougoslavie lors des années 1990 par rapport aux réfugiés africains à la même période illustre bien cette problématique. En 1999, le HCR accordait en moyenne 0,11USD par réfugié par jour en Afrique, alors que ce montant s’élevait à 1,28USD dans les Balkans (Lomo, 2000 :274). La même année, la communauté internationale avait dépensé 10 millions USD par semaine pour les réfugiés kosovars en Albanie et en Macédoine, alors que la demande annuelle de financement du HCR de 8 millions USD pour les réfugiés d’Afrique de l’Ouest, n’a obtenu que 1,3 millions USD (Lomo, 2000 :274).

De plus, les donneurs attribuent le financement aux crises humanitaires médiatisées, et accordent moins d’attention aux situations de réfugiés prolongées, qui sont pourtant dans

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un besoin manifeste d’assistance. Il est donc spécialement difficile d’amasser des fonds pour les opérations dans les camps à long terme, et depuis le début des années 2000, la plupart des programmes en Afrique ont été coupés de 10 à 20% de leurs budgets (Loescher et Milner, 2008 :29). Ces coupures ont un impact direct sur l’assistance et les services offerts aux réfugiés dans les camps à long terme.

Par conséquent, cette pratique d’attribuer les ressources financières à des programmes ou régions spécifiques démontre que les États désirent contrôler l’utilisation et la destination de leurs ressources, et semblent moins concernés par les besoins réels des différentes situations de réfugiés (Hurwitz, 2009 :163).