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Tension de surface dynamique

Lorsque la surface d’une solution de tensioactifs est étirée, un certain temps est néces-saire pour que la tension de surface retrouve sa valeur d’équilibre [63,64] : l’évolution de la tension de surface avant d’atteindre la valeur d’équilibre est appelée tension de surface dynamique(2). Ce processus de relaxation peut être limité par deux étapes : le temps pour que les tensioactifs diffusent jusqu’à l’interface et le temps pour qu’ils s’y adsorbent [63,65].

5.2.1 Méthode de la goutte pendante

Il existe de nombreuses méthodes pour caractériser cette relaxation [64]. Dans cette étude, nous utilisons la méthode de la goutte pendante. Cette dernière consiste à dé-tecter la forme d’une goutte pendant au bout d’une aiguille. La forme de la goutte

(2)

Brenner et al. [64] distinguent la tension de surface d’une surface au repos mais hors équilibre de celle d’une surface en écoulement. En effet, la viscosité de surface ηS ajoute une contribution à la tension effectivement mesurée γδlorsqu’une surface est en écoulement :

γδ= γ(t) + ηS S· u

où γ(t) est la tension de surface statique mais hors équilibre etS· u est la divergence surfacique du champ de vitesse. Dans ce travail nous ne faisons pas cette distinction et négligeons la contribution de la viscosité de surface.

résulte de l’équilibre en chaque point entre la pression hydrostatique et la pression de Laplace. Connaissant la masse volumique du liquide et la forme de la goutte, la tension de surface peut être déduite.

∆t 1 s

adsorption Figure 5.4 Le méthode de la goutte

pendante permet de suivre la relaxa-tion de la tension de surface vers l’équi-libre.

Ainsi en formant une goutte rapidement, en moins d’une seconde, puis en suivant l’évo-lution de la forme de la goutte, la tension de surface dynamique peut être mesurée. La méthode est représentée sur la figure5.4. Les mesures de tension de surface dynamique sont représentées sur la figure5.5. La tension de surface des solutions de SDS semble immédiatement atteindre l’équilibre, ce qui signifie que le temps de relaxation de ces solutions de SDS est inférieur à la seconde, temps de formation initiale de la goutte. Pour explorer des temps plus courts, il faudrait utiliser d’autres méthodes, comme la méthode de pression maximale de bulle [66].

0 20 40 t (s) 30 40 50 60 γ (mN/s) 1 CMC 10 CMC 100 CMC a Solutions de SDS. 0 20 40 t (s) 30 40 50 60 γ (mN/s) 1 CMC 10 CMC 100 CMC b Solutions de Dowfax. Figure 5.5 Mesure de la tension de surface dynamique par la méthode

de la goutte pendante. Ces mesures ont été réalisées sur des solutions à 0,1, 1, 10 et 100 fois la CMC. Cependant, la méthode ne permettait pas de différencier la tension de surface des solutions à 0,1 fois la CMC de celle de l’eau pure.

En revanche, la relaxation de la tension de surface des solutions de Dowfax est bien observable sur une dizaine de secondes. Avant d’interpréter ce temps de relaxation, nous décrivons brièvement les modèles d’adsorption des tensioactifs.

Diffusion et barrière d’adsorption

Comme l’expliquent Ritacco et al. [65], lorsque l’interface est peu peuplée de tensioac-tifs, l’adsorption d’un tensioactif à l’interface est rapide devant le temps qu’il met pour diffuser jusqu’à l’interface. Le peuplement de l’interface est donc d’abord limité par la diffusion. Pendant cette étape, le peuplement suit une évolution décrite par Ward et Tordai [63,65,67]. Ensuite, lorsque l’interface est peuplée, l’adsorption est gênée par les tensioactifs déjà présents à l’interface. Pour les tensioactifs ioniques notamment, la répulsion électrostatique ajoute une barrière énergétique à franchir. La relaxation de la tension de surface vers l’équilibre peut alors être limitée par l’étape d’adsorption et suivre une loi exponentielle [63,65].

Les relaxations de la tension de surface des solutions de Dowfax sont bien ajustées par des exponentielles, comme présenté sur la figure 5.6, en utilisant les expressions suivantes :

γ(t) = γéq+ (γi− γéq) et/τa (5.1) où γéq est la tension de surface à l’équilibre, γi la tension de surface initiale et τa le temps d’adsorption. Ces relaxations sont donc probablement limitées par l’étape d’adsorption. Les temps d’adsorption τaobtenus sont autour d’une dizaine de secondes pour chacune des solutions.

0 2 4 6 8 t/τa 0, 0 0, 5 1, 0 1, 5 (γ − γ´eq )/ (γi − γ´eq ) 1 CMC 10 CMC 100 CMC

Figure 5.6 Tension de surface

du Dowfax rapporté à la tension de surface initiale γi en fonction du temps rapporté au temps d’ad-sorption τa.

Les mesures ré-échelonnées sur la figure 5.6 montrent que les premiers points sont nettement au-dessus de l’exponentielle : pendant ces premières secondes de mesure, la relaxation est probablement encore limitée par la diffusion, avant que la barrière éner-gétique d’adsorption ne devienne prédominante. Aussi, la tension de surface initiale considérée dans l’équation (5.1) n’est pas la tension au début de l’expérience, qui est celle de l’eau pure, mais celle au début de la relaxation exponentielle.

Comme la résolution temporelle des mesures ne permet pas de décrire correctement le premier régime, la transition entre les deux régimes est difficiles à déterminer. Le choix des points sur lesquels ajuster une exponentielle pour caractériser le second régime est donc arbitraire, ce qui conduit à une mesure peu précise. En effet, en fonction des points choisis le temps caractéristique d’adsorption varie de 7 à 18 secondes et ne semble pas varier significativement entre les trois solutions à une fois, dix fois et cent fois la CMC.

Cependant, l’ordre de grandeur de ce temps d’absorption, d’environ dix secondes, permet d’affirmer que la relaxation des solutions de Dowfax est nettement plus lente

que celle des solutions de SDS. Par ailleurs des solutions de dodécylbenzènesulfonate de sodium (SDBS) et de polysorbate 80 sont aussi testées. Les solutions de SDBS s’avèrent similaires à celles de SDS : les temps de relaxation de tension de surface sont inférieurs à la seconde et les films se déstabilisent en quelques dizaines de secondes. Au contraire, les solutions de polysorbate 80 s’avèrent similaires à celles de Dowfax : les temps d’adsorption sont de l’ordre de la dizaine de secondes et les films restent stables. Ces observations nous permettent d’avancer un mécanisme qualitatif pour expliquer la différence de stabilité de ces solutions.

5.2.2 Mécanisme qualitatif de déstabilisation

Nous pouvons proposer un scénario expliquant la différence de comportement entre ces différents tensioactifs en se basant sur le contraste observé entre leurs dynamiques d’adsorption. Comme pour les solutions binaires simples, nous supposons que la dif-fusion est immédiate sur l’épaisseur du film. Ainsi une zone plus fine du film, sera concentrée plus efficacement par l’évaporation, car le réservoir de liquide est moindre. La sur-concentration peut alors se résorber de deux manières différentes : soit les ten-sioactifs s’adsorbent à l’interface, soit ils diffusent dans le film. Un tensioactif lent à s’adsorber, comme le Dowfax ou le polysorbate 80, pourrait avoir le temps de diffuser dans le film avant de s’adsorber à l’interface. La tension de surface resterait alors ho-mogène et la perturbation initiale ne serait pas amplifiée. Au contraire, un tensioactif rapide, comme le SDS ou le SDBS, aurait le temps de s’adsorber, de diminuer loca-lement la tension de surface et de générer une contrainte Marangoni qui conduise la perturbation initiale à s’amplifier. Cette proposition de mécanisme est illustrée sur la figure 5.7. Ce mécanisme reste qualitatif et laisse des questions ouvertes, notamment sur le rôle des micelles et sur le temps qui doit être comparé au temps d’adsorption des tensioactifs.

Les micelles. La plupart des expériences décrites dans ce chapitre ont été réalisées

au-delà de la CMC : quel rôle jouent les micelles ? Au dessus de la CMC, lorsque le film est sur-concentré à cause de l’évaporation, les tensioactifs libres ont une possibilité supplémentaire : diffuser dans le film, s’adsorber à l’interface ou intégrer une micelle. Intuitivement, le temps d’intégrer une micelle peut sembler plus court. Cependant, les équilibres entre les trois populations de tensioactifs — dans les micelles, à l’interface et libres dans la solution — sont dynamiques : il y a des échanges permanents entre ces populations. Ainsi, une sur-concentration de tensioactifs augmente momentanément les flux de tensioactifs libres vers les micelles et la surface. Bien qu’une partie, peut-être majoritaire, du surplus de tensioactifs libres intègrent les micelles, il peut suffire d’un petit flux net vers l’interface pour déclencher l’instabilité. Il semble difficile de discuter plus en détail cette question sans plus de données expérimentales. Dans la suite de ce chapitre, nous omettons la présence de micelles. Les expériences présentées se focalisaient au-dessus de la CMC parce que la tension de surface dynamique y était plus facilement mesurable. Cependant, les films de solutions de SDS sont également instables à 0,1 CMC, cela reste donc un cas intéressant à étudier.

Rapide par rapport à quoi ? Le mécanisme présenté ci-dessus est qualitatif. En

clai-adsorption

diffusion

stable : Dowfax, polysorbate 80

adsorption rapide instable : SDS, SDBS ° °+ °+ adsorption lente ° ° ° 1 2

Figure 5.7 Mécanisme de déstabilisation.

rement identifié. Au moins trois candidats apparaissent : le temps de diffusion sur l’épaisseur, le temps de diffusion sur une longueur d’onde de l’instabilité ou le temps caractéristique de cette dernière. Pour éclaircir cette question et apporter des argu-ments quantitatifs à ce scénario, nous proposons dans la section suivante une extension du modèle de lubrification du chapitre2, en prenant en compte un échange de soluté entre la surface et le film.