• Aucun résultat trouvé

Résultats et discussion

Le temps de vie de bulles τb est statistiquement caractérisé pour des bains d’eau – éthanol contenant six fractions massiques d’éthanol différentes : 4 %, 8 %, 12 %, 16 %, 25 % et 34 %. La tension de surface de ces mélanges est d’autant plus faible que la fraction d’éthanol augmente. Ainsi les bulles générées sont de plus en plus petites, de 2 mm, pour la solution la plus pauvre en éthanol, à 1,4 mm, pour la solution la plus riche.(1) À titre d’exemple, la figure6.8présente la distribution des temps de vie dans un bain à 16 % en éthanol. 0 20 40 τb(s) 100 101 102 103 N

Figure 6.8 Distribution des temps de vie

de bulles à la surface d’un bain contenant une fraction de 16 % en masse d’éthanol. Le nombre de bulles N est reporté en échelle semi-logarithmique en fonction du temps de vie τb. Cette distribution a été établie sur deux milliers de bulles. Les différentes teintes correspondent à différentes séries d’expériences.

Des distributions de temps de vie exponentielles

À l’instar de la distribution reportée sur la figure6.8, toutes les distributions mesurées semblent suivre une loi exponentielle décroissante :

N /N0= eτb/τ?

b (6.2)

où τ?

b est un temps de vie caractéristique et N0 un facteur de normalisation. La fi-gure 6.9 présente l’ensemble des distributions ré-échelonnées avec les paramètres ob-tenus en ajustant des exponentielles sur les distributions.(2)

0 5 10 τb/τb? 0,0 0,2 0,4 0,6 0,8 N /N 0 eτb/τ? b a Échelle linéaire. 0 5 10 τb/τb? 10−3 10−2 10−1 100 N /N 0 eτb/τ? b b Échelle semi-logarithmique. Figure 6.9 Ensemble des distributions des temps de vie mesurés.

Ces distributions sont adimensionnées par le temps de vie caractéris-tique τ?

b et le facteur de normalisation N0 obtenus en ajustant l’expo-nentielle (6.2) aux distributions.

Évolution des temps de vie avec la composition

Les évolutions du temps de vie caractéristique τ?

b et du temps de vie moyen τb, défini comme la moyenne de tous les temps de vie, avec la composition sont reportées sur la figure 6.10. Sur la gamme de composition étudiée, ces deux caractéristiques statis-tiques des distributions semblent augmenter linéairement avec la fraction d’éthanol. Si l’augmentation se comprend en considérant le mécanisme esquissé à la section 6.1, nous n’avons pas de modèle à proposer pour expliquer la linéarité de l’évolution.

Pollutions

Les expériences ont été arrêtées à cause d’un problème de pollution de l’aquarium. En effet, lorsque nous avons voulu mesurer le temps de vie de bulles au sommet de

l’aqua-(2)Il peut être tentant de mesurer le temps caractéristique en calculant une régression linéaire sur le logarithme de la distribution, plutôt que d’ajuster une exponentielle en échelle linéaire. Cependant, quand l’exponentielle tend vers zéro, des variations infimes en valeur absolue deviennent grandes en échelle logarithmique. La régression linéaire donne alors trop d’importance à ces fluctuations. C’est particulièrement important ici, car un nombre de bulles proche de zéro signifie qu’il y a peu de bulles et que le poids statistique de cette valeur est donc faible. Sur la figure6.9b, il est visible qu’une régression linéaire aurait donné des temps caractéristiques τb? assez différents. Ces temps seraient faussés par des queues de distributions peu significatives.

0,1 0,2 0,3 ϕ´eth 2,5 5,0 7,5 10,0 τ ? bet τb τb τ?

b Figure 6.10 Évolution du temps de vie

caractéristique τ?

b et temps de vie moyen τb des bulles avec la fraction massique en éthanol du bain.

rium rempli d’eau distillée uniquement, les bulles n’éclataient plus immédiatement, mais duraient plusieurs secondes, alors que des bulles générées dans les mêmes condi-tions dans d’autres récipients éclataient immédiatement. Ces pollucondi-tions proviennent probablement du joint utilisé pour monter l’aquarium. Il a déjà été montré que des contaminants en faibles quantités pouvaient également allonger grandement le temps de vie d’une bulle [70]. Il n’est pas impossible que ces pollutions aient été déjà présentes lors des mesures précédentes. Nous espérons cependant que leur effet était négligeable devant celui de l’éthanol.

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons commencé à considérer l’effet cicatrisant des écoulements Marangoni induits par évaporation. Cet effet stabilisant intervient lorsque le composé qui s’évapore le plus rapidement est celui dont la tension de surface est la plus faible. Il a été sondé expérimentalement en mesurant son impact sur la longévité de bulles au sommet d’un bain eau – éthanol. Cela a été l’occasion de mettre en place un montage automatisé pour construire des distributions de temps de vie sur des milliers de bulles. Grâce à ces distributions, une évolution linéaire du temps de vie des bulles avec la fraction d’éthanol a été mise en évidence entre 4 et 34 % massique.

Cependant, plusieurs questions restent ouvertes. Notamment, une bulle sur un bain d’éthanol pur éclate immédiatement, il serait donc intéressant de déterminer la frac-tion d’éthanol au-delà de laquelle le temps de vie redescend et de comprendre ce qui fixe cette fraction critique. La compétition entre les effets stabilisants, induits par l’évaporation, et les perturbations, qui conduisent les temps de vis à être si largement distribués, est un autre point à élucider.(3)

En plus du problème de pollution, cette étude s’est heurtée à une autre difficulté expérimentale : générer les bulles une à une. En effet, lorsque de l’air est poussé tout doucement à travers une aiguille à l’aide d’un pousse-seringue, une série de bulles peut être expulsée d’un coup. Ce phénomène entrave l’automatisation, puisque les différentes bulles s’influent mutuellement et faussent les signaux reçus par le capteur optique. La formation de ces séries de bulles motive donc une étude à part entière qui est l’objet du chapitre suivant.

Chapitre 7

Bullage en série

Pour générer une bulle dans un liquide, comme dans l’étude précédente, la méthode la plus simple à mettre en œuvre est de pousser de l’air avec une seringue à travers une aiguille. Cependant, l’expérience montre qu’obtenir une bulle unique par cette méthode peut être difficile car plusieurs bulles à la suite sont souvent produites, même avec un débit d’air faible. Dans ce chapitre, nous étudions les conditions d’apparition de ce train de bulles expérimentalement et numériquement. Les observations obtenues sont alors rationalisées grâce à un modèle mêlant thermodynamique et hydrodynamique.

Note. Le problème étudié ici n’est pas régi par les mêmes ingrédients physiques que

ceux des chapitres précédents, les notations ne sont donc pas conservées. Notamment, ω n’est plus un taux de croissance et le temps τγ n’est plus un temps visco-capillaire mais inertio-capillaire.

Sommaire du chapitre

7.1 Un geyser capillaire . . . 144 7.2 Thermodynamique d’une bulle liée à un réservoir . . . 146

7.2.1 Détermination du potentiel thermodynamique. . . 146 7.2.2 Application à une bulle liée à un réservoir . . . 148 7.3 Contribution hydrodynamique . . . 152 7.4 Prédiction du nombre de bulles libérées. . . 155 7.5 Perspectives : dynamique du détachement . . . 156

7.1 Un geyser capillaire

Dans le chapitre précédent, nous avons présenté un montage automatisé pour mesu-rer le temps de vie de bulles à la surface d’un bain liquide. Cette étude nécessitait l’obtention d’une bulle unique à chaque fois que la bulle précédente éclatait. Émettre plusieurs bulles à la fois posait deux problèmes. Le premier était la difficulté de donner à l’automate les moyens de s’apercevoir que plusieurs bulles avaient été relâchées. Ce problème est propre à l’automatisation de l’expérience. Le second problème était que les différentes bulles pouvaient s’influencer entre elles. Par exemple, l’éclatement de l’une peut provoquer l’éclatement de l’autre. Ce second problème est bien plus géné-ral : dès qu’une étude s’intéresse au comportement d’une bulle, il peut être important que la bulle soit seule [76,77]. Ce chapitre vise donc à élucider l’apparition de ces trains de bulles en s’appuyant d’abord sur des expériences, puis en développant un modèle permettant de comprendre et de contrôler ce phénomène.

Observation expérimentale

De l’air est lentement poussé d’une seringue dans un liquide au repos via une aiguille. Au bout de deux à vingt secondes, entre une et douze bulles sont expulsées en l’espace d’une demie seconde. Le système reste alors à nouveau immobile pendant deux à vingt secondes avant qu’une autre série de bulles soit expulsée de la seringue. Le nombre de bulles relâchées à chaque événement de bullage dépend notamment du volume du réservoir de la seringue, comme montré sur la figure7.1.

VR 0 20 40 60 VR(mL) 0 2 4 6 8 Nb 60 mL 40 mL 30 mL 20 mL 10 mL 3 mL

Figure 7.1 Série de photographies des trains de bulles obtenus avec

des volumes de réservoir de seringue différents. Insert. Nombre de bulles expulsées Nb en fonction du volume de réservoir. Données obtenues en poussant l’air à 0,4 mL/min via une aiguille de 0,2 mm de rayon et 25 mm de long.

Nous cherchons à comprendre quel mécanisme peut conduire à la formation de ces trains de bulles et pourquoi le volume de seringue affecte le nombre de bulles relâchées.

Quel mécanisme ?

À mesure qu’une bulle grandit à la tête de l’aiguille, la pression de Laplace pγ com-mence par croître, jusqu’à ce que la bulle atteigne une forme hémisphérique. Au-delà, la courbure de l’interface diminue, donc la pression de Laplace également : la bulle grandit alors très vite et se détache. Pour générer la première bulle, la surpression du réservoir pR − p0 doit donc être supérieure à la pression de Laplace correspondant à l’hémisphère pγ0 :

pγ0 = 2 γ

ra (7.1)

Après que la première bulle s’est détachée, nous pourrions penser que la formation d’une nouvelle bulle nécessite d’atteindre à nouveau cette surpression dans le réservoir, comme schématisé sur la figure 7.2. Pourtant, plusieurs bulles s’échappent en moins d’une seconde. Le système est donc hystérétique.

p°=pRp0 p° pR ? p°>pRp0? 1 2 3 bulle précédente

Figure 7.2 Description qualitative de la formation d’une bulle. Étape

¬ : lorsque de l’air est injecté à travers une aiguille, une calotte sphérique se forme. Si l’air est injecté de manière quasi-statique, la pression de Laplace équilibre la surpression du réservoir, ce qui fixe la taille de la bulle. À mesure que l’air est comprimé dans le réservoir, la pression de Laplace augmente et la bulle gonfle. Étape ­ : au-delà de l’hémisphère, la courbure de la bulle diminue donc la pression de Laplace ne peut plus compenser la surpression du réservoir. Le système est donc instable et la bulle grandit très vite. Pendant ce temps, de l’air sort du réservoir donc sa pression diminue. Étape ® : Juste après le détachement de la bulle, une petite bulle résiduelle reste attachée à l’aiguille. La pression du réservoir a diminué mais la bulle résiduelle a peut-être un volume suffisant pour que la pression de Laplace associée soit inférieure à cette surpression.

Des expériences numériques réalisées avec Basilisk permettent de reproduire les ré-sultats expérimentaux. Ces simulations sont présentées dans l’annexe F.1. Elles sont effectuées en faisant l’hypothèse que l’écoulement est incompressible, ce qui nous per-met d’éliminer les ondes acoustiques de la liste des candidats pouvant induire cette hystérésis.

De plus, des expériences ont été effectuées en utilisant des aiguilles fabriquées dans différents matériaux, présentant des mouillabilités différentes : des trains de bulles sont toujours générés. L’angle de contact ne semble donc pas être déterminant.

Comme le représente la figure 7.2, la bulle pourrait avoir après le détachement de la bulle précédente, un volume suffisamment important pour que la pression de La-place soit plus faible que la surpression du réservoir. Pour étudier plus en détail cette hypothèse, nous développons dans la section suivante un modèle thermodynamique permettant de mieux comprendre comment évolue la pression dans la bulle.