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Nous avons vu dans ce premier paragraphe l’évolution textuelle de l’article 4 (h) au travers du processus d’adoption de l’Acte constitutif de l’Union africaine. Dans ce second paragraphe, nous revenons en détails sur la teneur des discussions et négociations qui ont permis la consécration de l’article 4 (h) dans sa version finale.

En rappel, nous avons vu qu’un droit d’intervention avait été formulé pour la première fois au cours des travaux préparatoires par le projet libyen de Déclaration de Syrte. Par la suite, nous avons vu que cette proposition jugée suffisamment radicale a rencontré des réticences des délégations des autres Etats. Mais ces résistances originelles ont fini par s’estomper pour donner lieu à un consensus sur le principe même de l’institutionnalisation d’un droit d’intervention. Nous aborderons donc dans un premier point les raisons qui ont milité en faveur de l’acceptation d’un droit d’intervention dans l’Acte constitutif de l’Union africaine (A).

Il ressort également de l’analyse du premier paragraphe que la formulation originelle de l’article 4 (h) en faisait un droit d’intervention de l’Union pour restaurer la paix et la sécurité. Mais cette première formulation a évolué au gré des discussions et négociations des travaux préparatoires pour donner au final un droit d’intervention pour des motifs humanitaires dans la version finale adoptée à la Conférence ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement le 11 juillet 2000.729 Les

729 Cette première version finale sera à son tour amendé juste trois ans après son adoption en 2003. L’amendement qui a consisté en l’ajout d’un nouveau motif d’intervention, la menace grave de l’ordre légitime d’un État afin d’y restaurer la paix et la sécurité en rajoute encore une fois des controverses sur la nature du droit d’intervention qui a été institutionnalisé, voir sur ce point, principalement, Evarist BAIMU and Kathryn STURMAN, « Amendment to the African union’s right to intervene a shift from human security to regime security? », African Security Review, vol. 12, 2003, pp.37-45 ; Hajer GUELDICH, Droit d’ingérence et interventions humanitaires : état du droit et de la pratique internationale, thèse soutenue à l’Université de Tunis, 2008, pp. 474-475; Sabelo GUMEDZE, «The African Union and the Responsability to protect», African Human Rights Law Journal, vol. 10, no1, 2010, p. 149; Alimata DIALLO,

« Le droit d’intervention de l’Union africaine au motif de « menace grave à l’ordre légitime : état des lieux et perspectives de mise en œuvre », Revue juridique et politique des États francophones, 70e année, no1, janvier-mars, 2016, pp. 154-181.

188 raisons qui ont motivé le changement de la nature du droit d’intervention sont abordées dans un second point (B).

A- L’institutionnalisation d’un droit d’intervention : D’une réticence initiale à la concession

On se souviendra que l’idée de conférer un droit d’intervention à l’Union africaine en création a été pour la première fois formulée par le projet libyen de déclaration de Syrte. Mais que la disposition a fait l’objet de vives tensions et n’a pas été retenue dans la Déclaration de Syrte adoptée le 9 septembre 1999. On se rappellera également que les premiers projets d’Acte constitutif proposé par le secrétariat de l’OUA ainsi que le « compromis de Mali » en passant par les projets issus des amendements des deux rencontres des experts juridiques et parlementaires ne faisaient aucune référence à la possibilité de conférer un droit d’intervention dans les affaires internes des Etats membres. Bien au contraire, tous ces textes réaffirmaient avec force le principe de non-intervention. Il a fallu attendre la session ministérielle de Tripoli pour voir inclure pour la première fois dans le projet d’Acte constitutif un droit d’intervention. Le droit d’intervention était ainsi libellé dans le projet d’Acte constitutif issu de la réunion ministérielle de Tripoli : « le droit de chaque Etat membre de demander l’assistance de l’Union. Et le droit de l’Union d’intervenir pour rétablir la paix et la sécurité ».730 On ne peut dire avec exactitude ce qui a provoqué cette soudaine concession. Cette réunion ministérielle n’ayant pas fait l’objet d’un compte rendu écrit.

Elle peut être attribuée à deux facteurs immédiats qui ont pu influencer la décision des ministres à cette rencontre. Il s’agit en premier lieu de la force diplomatique du gouvernement libyen et de ses partisans, relevée avec insistance par Carolyn Haggis. On peut relever dans ce sens le fait que toutes les premières rencontres aient abouti à des impasses à cause de l’insistance de la délégation libyenne et de ses partisans à faire adopter les propositions contenues dans le projet libyen de déclaration de Syrte, dont notamment l’attribution d’un droit d’intervention à l’Union africaine.

Les pressions diplomatiques ont été particulièrement plus importantes sur les ministres lors de cette réunion. Le leader libyen était personnellement présent ainsi que certains chefs d’Etat

730 « Le projet d’Acte constitutif », op. cit., p. 24. Nos italiques.

189 partisans de sa vision. Leurs discours ont contribué à accentuer la pression en plus de l’échéance prévue pour l’adoption de l’Acte constitutif qui se rapprochait. Les ministres ont certainement pris conscience du fait que l’absence de concession conduirait à une nouvelle impasse qui aurait pu conduire à un échec définitif des travaux. Le second facteur immédiat suffisamment crucial qui a bien pu influencer l’attitude des ministres est le rapport du Groupe International d’Émminentes Personnalités ci-après (GIEP). Comme il a déjà été mentionné, ce groupe qui a été chargé par l’OUA d’enquêter sur le génocide du Rwanda et ses conséquences procédait au dépôt de son rapport le 29 mai 2000, exactement deux jours avant la réunion ministérielle qui s’est tenue du 31 au 2 juin. Le rapport intitulé « Rwanda, le génocide qu’on aurait pu stopper. Rapport des experts sur le génocide au Rwanda » faisait clairement ressortir la faillite de la communauté internationale et principalement le manque de volonté politique du Conseil de sécurité de faire davantage pour arrêter les massacres au Rwanda.731 Le document ne préconisait pas en soi la consécration d’un droit d’intervention mais recommandait plutôt à l’OUA de repenser son approche de la gestion des conflits. L’une des conclusions du rapport soutenait que :

« Puisque l’Afrique reconnait que la responsabilité de la protection de la vie de ses citoyens lui incombe en premier lieu, nous demandons : a) à l’OUA de créer les structures appropriées qui lui permettent d’imposer efficacement la paix en situation de conflit…».732

Il est rapporté que bien que le rapport lui-même n’ait pas circulé à la réunion ni fait l’objet de discussions, sa publication aurait créé un environnement émotionnel qui aurait rendu les ministres beaucoup plus réceptifs à l’idée de conférer un droit d’intervention à la nouvelle Organisation.733 L’ancien conseiller juridique de l’OUA, Tiyanjana Maluwa soutient qu’en rappelant les horreurs du génocide qui s’est déroulé au Rwanda, le rapport a eu pour effet de convaincre les détracteurs

731 Le rapport indiquait par exemple que : « le génocide qui advint au Rwanda aurait pu être évité par ceux de la communauté internationale qui étaient en position et avaient les moyens de le faire. Mais à ceux-là, la volonté a fait défaut et non pas les moyens. Le monde a abandonné le Rwanda », voir OUA, Rwanda, le génocide qu’on aurait pu stopper. Rapport des experts sur le génocide au Rwanda, op. cit., p. 7, par. 5. Nos italiques.

732 OUA, Rwanda, le génocide qu’on aurait pu stopper. Rapport des experts sur le génocide au Rwanda, op. cit., recommandations, par. 22, p. 262.

733 Interview de Tijanyana MALUWA par Carolyn Haggis, voir Carolyn HAGGIS, The African Union and Intervention: The Origins and Implications of Article 4 (h) of the 2001 Constitutive Act, op. cit., p. 218.

190 du droit d’intervention.734 Les modifications apportées par les ministres au projet d’Acte constitutif au cours de cette session ministérielle confirment les déclarations de l’ancien conseiller selon lesquelles le rapport aurait eu un impact considérable sur les concessions opérées à cette rencontre.

C’est ainsi que pour la première fois, le principe de non intervention avait été reformulé comme suit : « Non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, sauf dans des situations susceptibles de compromettre la paix sur le continent. Et dans le cas du génocide ».735 On note de plus l’apparition du terme génocide pour la première fois dans les travaux préparatoires. Il est intéressant de relever qu’en plus de préconiser une nouvelle approche de la gestion des conflits, le rapport du GIEP était également très critique sur le rôle des acteurs étrangers dans le déroulement du génocide. Il dénonce l’inertie, la démission et même la complicité de certains acteurs comme l’ONU, la France, la Belgique, les Etats-Unis et l’Église Catholique et mettra en doute la volonté réelle de la communauté internationale au-delà du cas rwandais à résoudre sérieusement les conflits en Afrique.736 Plus encore, le rapport soutient un discours anti-occidental et prône ouvertement une plus grande autonomie militaire de l’Afrique.737 Il en arrive même à des accusations de racisme implicite738 et parvient à la conclusion selon laquelle « l’Afrique ne peut pas compter sur le reste du monde pour résoudre ses crises, elle est en grande partie livrée à elle-même ».739 Et qu’ « à peine est - il besoin de dire que l’Afrique devrait disposer de forces de maintien de la paix pouvant être mobilisés rapidement s’il le faut. L’Afrique devra dépendre des Africains ».740 Les recommandations d’autonomisation africaine du rapport ne sont pas sans rappeler les ambitions autonomistes du projet libyen.

734 Ibid.

735 « Le projet d’Acte constitutif », op. cit., p. 24. Nos italiques.

736 OUA, Rwanda, le génocide qu’on aurait pu stopper. Rapport des experts sur le génocide au Rwanda, op. cit.,p.

218, par. 20.63.

737 Ibid., p. 230, par. 21.14.

738 Ibid., p. 230, par. 21.15.

739 Ibid., p. 229, par. 21.12. Nos italiques.

740 Ibid., p. 230, par. 21.16. Nos italiques.

191 En définitive, la publication de ce rapport couplé à l’influence diplomatique de la Lybie auront permis d’aboutir à des avancées considérables sur le principe de l’insertion d’un droit d’intervention dans l’Acte constitutif de l’Union africaine. Le Conseil des ministres de juillet 2000 qui s’est tenu après cette session a été l’occasion d’ouvrir des débats sur la portée et la nature du droit d’intervention, le principe de son institutionnalisation ayant été acquis à la première session ministérielle. Comme nous l’avions mentionné plus haut, ce n’est qu’au Conseil des ministres tenue les 6-10 juillet 2000 que le droit d’intervention a fait l’objet de « débats animés ».741 Selon l’ancien conseiller juridique Maluwa, les discussions ont porté sur une diversité de motifs, notamment des situations « d’agressions extérieures », de « troubles » ou de « menace grave à l’ordre légitime d’un Etat membre ». On ignore les auteurs exacts de ces nouveaux motifs d’intervention, ils figuraient dans une proposition originale de l’article 4 (h) présentée au Conseil.742 L’ancien conseiller se souvient que ces nouveaux motifs ont été clairement jugés comme « prématurés et dangereux » du fait de l’inexistence d’un mécanisme permettant de déterminer les situations constitutives par exemple de « menace à l’ordre légitime » ou de

« rétablissement de la paix et de la sécurité ».743 Le ministre égyptien Moussa Amre a pour sa part, insisté sur la nécessité de limiter la portée du droit d’intervention proposé, relevant au passage que le droit d’intervention n’était pas encore établi au plan international. Il a cependant reconnu que certains motifs d’intervention tels que le génocide ou les crimes internationaux rencontraient plus de consensus que d’autres.744 Les arguments du ministre égyptien furent favorablement accueillis par certains autres ministres. Le ministre des affaires étrangères du Nigeria soutenait ainsi la nécessité de définir de façon claire et limitée le droit d’intervention au cas où le principe de son

741 Tiyanjana MALUWA, « Reimagining African Unity: Some Preliminary Reflections on The Constitutive Act of The African Union », op. cit., p. 28; voir également Musifiky MWANASALI, « Africa’s Responsability to Protect », op. cit., p. 92; Carolyn HAGGIS, The African Union and Intervention: The Origins and Implications of Article 4 (h) of the 2001 Constitutive Act, op. cit., p. 179.

742 Tiyanjana MALUWA, « The OUA/ African Union and International Law: Mapping New Boundaries or Revisiting Old Terrain », op. cit., p. 235.

743 Ibid. Nos italiques.

744 Tiyanjana MALUWA, « Reimagining African Unity: Some Preliminary Reflections on The Constitutive Act of The African Union », op. cit., op. cit., p. 215; Carolyn HAGGIS, The African Union and Intervention: The Origins and Implications of Article 4 (h) of the 2001 Constitutive Act, op. cit., p. 180.