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Étudier les attributs au regard de contextes plus larges (dépendant des valeurs concernées) c’est précisément considérer les dimensions im-matérielles des biens patrimoniaux. On pourrait pousser jusqu’à ne consi-dérer que ces dernières dimensions et chercher à étudier des biens sans matérialité évidente. C’est ce qu’a autorisé l’UNESCO en octobre 2003, en adoptant la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel[NKA13].

La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel définit le Patrimoine Culturel Immateriel (PCI) dans son Article 2 dans les termes suivants :

1. On entend par "patrimoine culturel immatériel" les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoirfaire -ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces cultu-rels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel im-matériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonc-tion de leur milieu, de leur interacfonc-tion avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patri-moine culturel immatériel conforme aux instruments inter-nationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable.

2. Le "patrimoine culturel immatériel", tel qu’il est défini au paragraphe 1 ci-dessus, se manifeste notamment dans les domaines suivants :

(a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel; (b) les arts du spectacle;

(c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs; (d) les connaissances et pratiques concernant la nature et

l’univers;

(e) les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel.

L’UNESCO et sa convention sur le Patrimoine Culturel Immatériel s’ins-crit dans une vague plus globale d’institutions patrimoniales explicitant formellement l’importance du Patrimoine Culturel Immatériel pour éta-blir une image complète de la complexité des patrimoines. Par exemple, en 2003 également, en juillet, TICCIH (The International Committee for the Conservation of Industrial Heritage – Conseil international pour la préservation du patrimoine industriel) décrit le patrimoine industriel de la façon suivante, en 2003 dans sa charte dite de Nizhny Tagil. Le passage en gras est de notre fait.

Le patrimoine industriel comprend les sites, les constructions, les complexes, les territoires et les paysages ainsi que les

équi-pements, les objets ou les documents qui témoignent des procé-dés industriels anciens ou courants de production par l’extraction et la transformation des matières premières ainsi que des infra-structures énergétiques ou de transport qui y sont associées. Il exprime une relation étroite entre l’environnement culturel et naturel puisque les procédés industriels anciens ou modernes dépendent de ressources naturelles, d’énergie et de voies de com-munication pour produire et distribuer des biens sur les marchés. Ce patrimoine comporte des dimensions immatérielles comme les savoir-faire techniques, l’organisation du travail et des tra-vailleurs ou un héritage complexe de pratiques sociales et cultu-relles résultant de l’influence de l’industrie sur la vie des com-munautés et sur la mutation des sociétés et du monde en géné-ral.

Le ministère de la Culture en France lance ses campagnes d’inventaire national du Patrimoine culturel immatériel en 2008 (suite à la ratification de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO par la France en 2006); il fait aussi en 2011 de la Maison des Cultures du Monde à Vitré le Centre français du Patrimoine culturel immatériel.

Plusieurs facteurs ont produit cette tendance, mais elle a en partie été plus directement déclenchée par la proposition japonaise d’inscrire le site de Hôryû-ji (près de Nara) [Bru13] . Ce site comprend des temples initialement érigés aux VIIe et VIIIe siècles (ce qui les range parmi les plus anciens bâtiments en bois du monde) ont connu des campagnes de restaurations, voire de reconstruction aux XVIIIe, XIXeet XXesiècles. La question de leur intégrité et de leur authenticité a vite été pointée du doigt par des experts européens, mettant en lumière une divergence culturelle d’appréhension du patrimoine entre certains experts euro-péens et certains experts asiatiques. Cette divergence a abouti en 1994 à la publication du « document de Nara sur l’authenticité », qui porte en germe les discussions sur le patrimoine culturel immatériel.

François Hartog interprète cette tendance à considérer d’avantage le patrimoine immatériel à une montée de ce qu’il appel un « patrimoine2 » [Har18], qu’il définit, en reprenant l’ouvrage collectif sous la direction de Daniel Fabre [Fab13], comme : « sentiment démocratique du passé » . Ce « patrimoine2 » nait en conséquence d’une tendance au présentisme qui instrumentalise patrimoine, mémoire et commémoration pour les relier à la notion d’identité, excluant l’historien, faisant la part belle à l’émotion et au spectaculaire.

Je ne rejoins pas entièrement cette vision, qui met beaucoup d’em-phase sur la dérive présentiste du patrimoine. Il me semble au contraire que cette tendance au patrimoine immatériel rend une place plus grande à l’historien, au détriment de l’antiquaire. Il me semble que la place grandissante du patrimoine immatériel replace le patrimoine matériel comme un attribut de l’étude d’un patrimoine immatériel considérant une perspective plus historisée, des articulations proches de l’histoire. On considère les biens matériels en série ou en groupe pour exprimer non plus l’exceptionnel d’un objet, mais celui d’une démarche, d’un mou-vement dans le temps. Les schémas 3.11 3.12 présentent ce changement. Reste que ce décalage vers l’immatériel, produit deux cas, ceux où le patrimoine matériel sera vu comme relégué au rang de nouvelle mentation et ces autres cas où les seuls biens matériels seront la docu-mentation « traditionnelle ». Dans les deux cas, ce rapport grandissant à l’immatériel augmente encore l’importance de la documentation.