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Un temple d’Athéna Polias pour le peuple des Chaones

Dans le document Dieux, épiclèses et panthéons en Épire (Page 46-49)

Un temple dédié par les Chaones à Athéna Polias est mentionné sur une lamelle de Dodone128, datée de la fin du IVe siècle ; sans qu’on puisse affirmer de manière certaine que ce temple se trouvait à Phoinikè, le statut de capitale administrative de la Chaonie de cette dernière en fait actuellement l’option la plus communément envisagée129. Notons qu’une scholie au vers 658 de l’Alexandra de Lycophron (IVe-IIIe s.) mentionne l’existence à Corinthe d’un temple d’Athéna Phoinikê, et que Phoinikaion désigne à Corinthe une colline ou une montagne ; enfin, le mois Phoinikaios appartient aux calendriers corinthien et épirote130.

127 Le nom du koinon épirote au moment où il est tenu par Charops le Jeune. Voir DITTENBERGER W., Sylloge Inscriptionum Graecarum, vol.3, Berlin, Reimer, 1878-1882, 653 A n° 4 et B, n° 22, cité par CABANES P.,

L’Épire..., p. 306.

128CIGIME III, n° 2.

129 Voir par exemple la synthèse récente de DE MARIA S. et MANCINI L., « Territori e paesaggi sacri nella Caonia ellenistica e romana », in DOMÍNGUEZ A.J. (dir.), Politics, Territory and Identity in Ancient Epirus, Pisa, ETS, 2018, p. 193-239.

130 QUANTIN F. et QUANTIN S., « Le déplacement du temple d’Athéna Polias en Chaonie. Remarques sur les cosiddetti “temples voyageurs” », in BERRANGER-AUSERVE D. (dir.), Épire, Illyrie, Macédoine …, Mélanges offerts au Professeur Pierre Cabanes, Clermont-Ferrand, Pr. Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 175-196.

̓ΑγαθᾶιτύξαιΑἰτεῖταιἁπόλιςἁτῶνΧαόνων | τὸνΔίατὸνΝάονκαὶτὰνΔιώναν ἀνελεῖνεἰλῶι|ονκαὶἄµεινονκαὶσυµφορώτερόνἐστιτὸνναὸν | τὸντᾶςἈθάναςτᾶς Πολιάδοςἀγχωρίξαντας | ποεῖν.

À la bonne fortune. L’État des Chaones demande à Zeus Naios et à Dionè de rendre leur oracle : est-il souhaitable, meilleur et plus avantageux de déplacer et reconstruire le temple d’Athéna Polias ?

CIGIME III, n° 2

Selon Pierre Cabanes, le terme polis — ἁ πόλις τῶν Χαόνων, désigne ici la représentation politique de la communauté des Chaones, qui ne correspond pas à la forme de la

polis telle qu’elle est connue en Grèce méridionale ; le choix d’une traduction par le mot français « État », au lieu de « ville » ou de « cité », permet d’appréhender de manière plus cohérente la réalité locale131.

La question du déplacement et de la reconstruction du temple a été étudiée par Sylvie et François Quantin, qui proposent pour le texte de l’inscription l’interprétation suivante : « À la bonne fortune. L’État des Chaones demande à Zeus Naos et à Diona de lui dire d’oracle [sic] s’il est souhaitable, sage et plus avantageux de (re)construire le temple d’Athéna Polias après l’avoir déplacé (= ramené en arrière)132. » Le raisonnement poursuivi se fonde sur l’analyse de la formule ἀγχωρίξανταςποεῖν et l’appartenance à un registre lexical « topographique, et donc militaire » du verbe ἀνχωρίζω, signifiant « déplacer », mais aussi « ramener en arrière, retirer ». La comparaison avec d’autres cas de déplacement d’un temple, connus à Tanagra, Ikaros et Scopélos, montre qu’un démantèlement du bâtiment ou d’une partie des infrastructures cultuelles est un événement exceptionnel. Ces deux aspects mènent les auteurs à conclure leur étude sur l’hypothèse de la construction nouvelle, en pierre, d’un temple qui était originellement de terre et de bois, et qui aurait été déplacé à un autre endroit de la cité en réponse aux contraintes architecturales posées par la topographie du lieu, « à l’image des mouvements tactiques de replis que ce verbe militaire [ἀνχωρίζω] désigne souvent. »

La réflexion de S. et F. Quantin s’élabore dans le cadre de l’hypothèse qui situe le temple d’Athéna Polias à Phoinikê. Une autre possibilité est d’associer cette inscription au temple de l’acropole de Bouthrôtos : les fouilles italiennes y avaient mis au jour, dans

131CIGIME III, p. 26.

guerres, un tesson de céramique corinthienne archaïque, retrouvée dans une citerne médiévale, et portant les lettres ΑΘΑ[ΝΑΣ]133 ; cet élément seul était trop peu consistant pour permettre de conclure à l’existence d’un culte d’Athéna. Des arguments nouveaux ont été apportés par David R. Hernandez, qui se fonde sur l’étude d’un bloc de pierre réemployé comme linteau à l’époque romaine, portant l’effigie en relief d’un lion dévorant un taureau. Comparant l’image à des motifs analogues, observés notamment dans le temple d’Athéna Pronaios à Delphes et dans celui d’Athéna Polias à Athènes, l’auteur relève que le motif du lion et du taureau est possiblement attribut d’Athéna134. D. Hernandez poursuit sa comparaison en évoquant le cas du temple d’Athéna à Assos, en Troade, où une travée porte l’image d’un lion dévorant, cette fois, une biche. La présence d’un temple d’Athéna sur l’acropole serait aussi un argument pour expliquer le surnom de « petite Troie » ou « réplique de Troie » que donnent à la ville les poètes romains Virgile et Ovide135. Notons à cet égard que Louis Robert formule l’hypothèse, fondée sur le mythe généalogique du koinon des Pergamioi, de l’existence dans la région d’une cité de Troie ou de Pergame136.

Pour clôturer la question de la situation du temple d’Athéna, je me permets de remarquer que le raisonnement de François et Sylvie Quantin, fondé sur le verbe ἀνχωρίζω, pourrait s’appliquer aussi dans un cadre qui adopterait l’hypothèse de David Hernandez situant le temple d’Athéna Polias à Bouthrôtos. En examinant la possibilité d’un transfert de culte, puisque la question est posée, un déplacement de la déesse gardienne de la polis depuis la cité littorale vers le chef-lieu nouvellement fortifié du koinon, pourrait très bien justifier l’emploi d’un verbe issu du vocabulaire militaire et signifiant le retrait, tel que souligné par F. et S. Quantin, au moment où se constitue la symmachie épirote. Soulignons enfin que nous ne connaissons pas la réponse de Zeus et Dioné, et qu’il est difficile en conséquence d’affirmer que ce déplacement ou cette construction a bien eu lieu.

133CIGIME II, n° 189 bis.

134 D.H. se réfère à VON HOFSTEN S., The Feline–Prey Theme in Archaic Greek Art: Classification, Distribution, Origin, Iconographical Context, Stockholm, Stockholm University, 2007, p. 54-55.

135 HERNANDEZ D.R., « Bouthrotos (Butrint) in the Archaic and Classical Periods: The Acropolis and Temple of Athena Polias », in Hesperia: The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, vol. 2 (2017), no 86, p. 205-271 ; VIRGILE, Énéide, III, 349 et OVIDE, Métamorphoses, XIII, 721, cités par HERNANDEZ D.R.,

Idem, p. 240.

Dans le document Dieux, épiclèses et panthéons en Épire (Page 46-49)