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Au nord des Monts Acrocérauniens

Dans le document Dieux, épiclèses et panthéons en Épire (Page 68-71)

Aux marges de l’Épire et de l’Illyrie méridionale se trouvent les cités côtières d’Apollonia et d’Épidamne-Dyrrhachion, qui sont des colonies corintho-corcyréennes fondées respectivement au VIe et au VIIe siècle. Leur rayonnement imprègne de façon nette la culture des populations environnantes, et elles sont des jalons importants de l’espace culturel que nous étudions ici ; il est donc important de les considérer dans cette étude, malgré le fait que leur appartenance à l’unité politique ou géographique épirote au sens strict ne soit pas fermement établie : la cité d’Apollonia rejoint probablement l’ensemble monarchique épirote sous Pyrrhus, mais il n’est pas certain qu’Épidamne y ait jamais été intégrée. Les deux cités sont certainement en dehors de l’unité épirote en 232, puisqu’elles combattent seules les armées illyriennes192.

Le profil social et économique de ces deux cités est assez différent. Épidamne est un port majeur à l’ambiance animée, joliment décrite par Plaute au IIe siècle :

« [...] les Épidamniens sont de grands noceurs et de grands buveurs : la ville abonde en intrigants et en escrocs de tout poil. Et les filles de joie donc ! Il n’y a pas de pays, dit-on, où elles sachent mieux vous prendre. C’est pour cela qu’on a donné à la ville le nom d’Épidamne : c’est parce qu’on peut n’y séjourner qu’à son grand dam193. »

La cité s’épanouit comme comptoir commercial, tant maritime qu’en lien avec l’arrière-pays, pour devenir au Ve siècle une cité prospère, accueillant une population nombreuse194. Elle connaît des troubles internes, à l’origine du conflit corintho-corcyréen de 435, qui voit les cités-mères s’engager dans le soutien des deux camps opposés. Au milieu du IVe siècle, la ville

191 STRABON, VII, 7, 5 ; QUANTIN F., Poséidon..., p. 161-162.

192 CABANES P., L’Épire..., p. 202.

193 PLAUTE, Ménechmes, 258-264 (traduction d’A. Ernaut).

194 La cité est assez importante pour être mentionnée par ARISTOTE, Politica V, 1, 1301b: « À Épidamne également la Constitution subit une modification partielle, puisque les Phylarques y furent remplacés par un Conseil, et il est même encore maintenant obligatoire pour les magistrats faisant partie de la classe dirigeante de se rendre à l’Héliée quand on met aux voix la désignation à quelque magistrature [...] ». (Trad. J. Tricot).

tombe sous la domination des Illyriens, jusqu’au règne de Glaukias après lequel les Taulantins perdent de leur puissance ; les Épidamniens s’allieront à Rome en 229, lors de la première guerre d’Illyrie, menée contre la reine Teuta195. La puissance de la cité décline ensuite, et son histoire s’envisage en parallèle de celle d’Apollonia, l’autre grande cité coloniale du littoral illyrien.

L’activité portuaire d’Apollonia se situe sur le fleuve Aoôs, qui se jette dans la lagune196. La cité est attachée à ses traditions et gouvernée par une aristocratie197 foncière, qui tire sa richesse, notamment, de l’élevage ovin. Des troupeaux y étaient, d’après Hérodote, consacrés à Hélios :

« Il y a dans ce pays d’Apollonie des troupeaux consacrés au soleil, qui pendant le jour paissent au bord du fleuve Aôos – lequel descend du mont Lacmon, traverse la campagne d’Apollonie et se jette dans la mer auprès du port d’Oricos, - et dont des hommes, choisis entre les citoyens les plus distingués par leur richesse et leur

naissance, ont la garde la nuit, chacun durant une année ; les Apolloniates attachent le plus grand prix à ces troupeaux, en raison d’un oracle ; ils gîtent la nuit dans un antre à l’écart de la ville [...]198. »

Son histoire est peu connue. Un peu avant 450, une victoire contre la cité de Thronion suggère l’extension du territoire de la cité en direction du Sud et de la Chaonie. Il semble que la cité garde des liens forts avec Corinthe au long du Ve siècle, y compris lors du conflit qui l’oppose à Corcyre en 435, mais adopte de manière générale une politique prudente qui lui évite d’entrer en conflit ouvert avec ses puissantes voisines. La cité continue à s’enrichir au IVe siècle et entretient de bonnes relations avec les populations épirotes qu’elle côtoie199.

Autour d’Apollonia, la vallée du bas-Aoôs est parsemée de plusieurs petites agglomérations, occupées par des populations qui formaient peut-être déjà une communauté politique à l’époque classique. Si ces communautés étaient probablement de culture

195 TOÇI V., « La population illyrienne de Dyrrhachion à la lumière des données historiques et archéologiques », in Iliria 4 (1976), p. 301-303.

196 BALANDIER C. et alii, « Apollonia d’Illyrie (Albanie) », BCH 120-2 (1996), p. 988-990.

197 Aristote y décrit un régime oligarchique (Politique, IV, 4, 1290b).

198 HÉRODOTE, Histoires, IX, 93 (traduction de P.-E. Legrand).

illyrienne200, la présence de céramique ionienne au sein du matériel archéologique atteste déjà d’échanges nombreux avec l’ensemble du monde hellénique à l’époque archaïque, sans doute avant la fondation des cités d’Apollonia et d’Épidamne.

Parmi ces agglomérations, les villes de Byllis et d’Amantia201, qui possèdent dès le IVe

siècle un théâtre et un stade, deviendront les chefs-lieux des koina des Amantes et des Bylliones. Ceux-ci font partie de l’ensemble monarchique épirote, dont ils s’émancipent sans doute après la chute de la dynastie éacide, tout en gardant des liens étroits avec le nouveau koinon fédéral, au niveau économique comme au niveau militaire. Ces États sont dès la fin du IIIe s. conviés aux concours panhelléniques ; le magistrat éponyme y est prytane202, comme à Apollonia, et on connaît l’existence, à Byllis, d’un stratège, d’un hipparque, de damiourgoi et d’un gymnasiarque, et d’une boulê, ainsi que de son secrétaire, à Amantia203. Le koinon des Olympastan, dont le chef-lieu est la ville d’Olympè, est attesté dès la fin du IIIe siècle, après avoir probablement été subordonné dans un premier temps aux Abantes.

Les cités de Treport et d’Orikos sont situées sur le golfe de Vlora. Si la tradition littéraire attribue leur fondation à des Eubéens de retour de Troie204, la trace d’une présence eubéenne n’est cependant pas actuellement confirmée par les résultats des fouilles. Ces cités sont néanmoins anciennes, d’après les céramiques corinthiennes d’époque archaïque retrouvées sur les sites. Plus au sud sur la côte, nous verrons le site des falaises de Grammata, où sont gravées dès l’époque hellénistique plusieurs dédicaces, adressées principalement aux Dioscures.

200D’après CEKA N., « Koinoni i Bylinëve / Le koinon des Bylliones », in Iliria, 14-2 (1984), p. 61-89.

201 Notons que le processus d’urbanisation du site d’Amantia est plus précoce que celui de Byllis : la cité de Byllis semble avoir gagné de l’importance au détriment de l’ancienne cité fortifiée toute proche de Nikaia, aujourd’hui Klos.

202 La prytanie est une fonction qui n’existe pas sous la monarchie épirote ; elle apparaît dans les inscriptions de Byllis, Amantia et Cassopé, sans doute lors des modifications institutionnelles qui suivent le changement de régime : on doit y voir, selon P. Cabanes, un « emprunt fait à Corcyre, Apollonia et Épidamne » ( CABANES P.,

L’Épire..., p. 384).

203CIGIME III, p. 99-100 et p. 214-216.

Dans le document Dieux, épiclèses et panthéons en Épire (Page 68-71)