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La cité d’Antigoneia

Dans le document Dieux, épiclèses et panthéons en Épire (Page 62-65)

La cité d’Antigoneia165, fondée dans les dernières années du IIIe siècle et probablement baptisée en l’honneur de la première épouse de Pyrrhos, est localisée sur le site de Jerma, à proximité de la ville actuelle de Gjirokaster. Antigoneia est bâtie sur une colline qui domine la vallée du Drino166, à une petite trentaine de kilomètres en amont du confluent avec l’Aoôs. Un habitat était peut-être déjà présent avant la fondation de la cité par Pyrrhos, mais les fortifications de l’agglomération datent bien du début du IIIe siècle. Les fouilles ont notamment révélé une part importante d’outils et d’infrastructures agricoles167 ; les données dont nous disposons actuellement ne permettent pas encore d’identifier d’infrastructure religieuse dans la cité, dont deux cultes peuvent être identifiés : celui de Poséidon, et celui d’Hermès et Héraklès. Il semble enfin que la ville ait été détruite lors de la campagne de 167.

Hermès, Héraklès et le gymnase

Une dédicace du IIe s. est adressée à Hermès et Héraklès de la part du gymnasiarque de la cité. L’association des noms d’Hermès et d’Héraklès au gymnase et à la protection des éphèbes est connue ailleurs dans le monde grec, par exemple en Messénie et à Mégalopolis, ou encore à Thasos, Cyrène ou sur la côte phénicienne168.

Λυκόφρων | Θεοδότου | γυµνασιαρ- | χήσας̔Ερµᾶι, | ̔Ηρακλεῖ.

Lykophrôn fils de Théodotos ayant été gymnasiarque, à Hermès, à Héraklès.

CIGIME III, n° 64169

165 Voir ZACHOS K.L., ÇONDI D., DOUSOUGLI A., PLIAKOU G. et KARATZENI V., « The Antigoneia Project : preliminary Report on the first season [sic] », in BEJKO L. et HODGES R. (dir.), New Directions in Albanian Archaeology, Tirana, International Centre for Albanian Archaeology, 2006, p. 379-443.

166 Le site se trouve à côté du village actuel de Saraniqishtë.

167 BUDINA D., « La place et le rôle d’Antigonée dans la vallée du Drinos », Iliria 15 (1985), p. 151-165.

168 cf. CIGIME III, p. 64.

L’éditeur du CIGIME170 soulève la question du double nom cultuel : avons-nous affaire ici à une seule ou à deux divinités distinctes ? À défaut de matériel archéologique permettant de trancher la question, demandons-nous si l’on peut estimer dans le cas qui nous occupe que « la divinité jugée mineure [celle dont le nom est utilisé en épiclèse, ici Héraklès] n’existe plus qu’en association avec la divinité majeure171 ». Il me semble peu probable que la figure d’Hermès, très peu présent en Épire172, ait absorbé à Antigoneia celle d’Héraklès. Ailleurs dans le monde grec, les deux divinités peuvent chacune indépendamment être attachées à la protection du gymnase : Hermès patronne par exemple la jeunesse et la pratique athlétique en Attique173 ; en parallèle, Héraklès, époux d’Hébé, préside seul au gymnase de Thèbes174. Nous avons vu aussi que ces dieux pouvaient être honorés ensemble, notamment en Messénie, où ils sont évoqués par Pausanias de manière clairement distincte :

« [...] Les statues qui se trouvent dans le gymnase sont des œuvres d’artistes

égyptiens, elles représentent Hermès, Héraclès et Thésée. C’est une règle pour tous les Grecs et désormais pour de nombreux barbares d’honorer ces divinités, dans

l’enceinte des gymnases et dans les palestres175. »

En Laconie, enfin, les fêtes consacrées à Hermès, à Héraklès et aux Dioscures sont célébrées en même temps176, témoignant encore d’une association mais pas d’une indifférenciation. Considérant ces éléments, nous pouvons attester de manière claire l’existence de l’association de ces deux dvinités, et nous pouvons observer que les compétences de chacune d’elles peuvent suffire à assurer une fonction de patronage du gymnase. La seule juxtaposition des théonymes,

170CIGIME III, p. 64.

171 PARKER R., « Artémis Ilithye et autres : le problème du nom divin utilisé comme épiclèse », in BELAYCHE N., BRULÉ P., FREYBURGER G., LEHMANN Y., PERNOT L. et PROST F. (dir.), Nommer les dieux: théonymes, épithètes, épiclèses dans l’antiquité, Rennes, Brepols, 2005, p. 225.

172 Déjà souligné dans QUANTIN F., Aspects..., p. 27.

173 LÉCRIVAIN C., « Hermaia », in Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, t. 3, Paris, Hachette, 1900, p. 134-135.

174 PAUSANIAS, IX, 11, 7.

175 PAUSANIAS, IV, 32, 1 (trad. J. Auberger).

au regard de ces comparaisons, ne me semble pas assez solide pour soutenir l’hypothèse d’un double nom cultuel : nous verrons donc bien deux destinataires à l’adresse de cette dédicace. Poséidon

Sur un fragment de stèle trouvé sur le flanc de la colline, suggérant un sanctuaire extra-urbain177, on peut lire une dédicace à Poséidon datée du IIIe siècle.

Συµ- | µαχὶ- | ςΠοσι- | δᾶνι | εὐξ- | άν. Symmachis à Poséidon comme vœu.

CIGIME III, n° 66178 Notons qu’une statuette de la même époque, qui représente le dieu droit et nu, la main gauche levée s’appuyant sans doute sur le trident et la main droite tenant une patère179, a été retrouvée dans un secteur de la ville où se trouvaient également des ateliers d’artisanat et notamment des tanneries180. Sans tirer de conclusions trop hâtives en l’absence d’informations sur le contexte d'usage de cette statuette, je voudrais souligner que ce lieu de trouvaille pourrait ne pas être anodin : l’activité de tannerie est très souvent, à l’époque antique181 comme de nos jours, située en périphérie ou à l’extérieur des agglomérations. Le culte de Poséidon à Antigonée, s’il est lié au fleuve et à l’élevage bovin — ce qui est le cas dans une série d’autres dédicaces (cf. infra) de la région, trouverait peut-être, comme les éleveurs et les tanneurs, une place cohérente à l’extérieur des murs de la cité. C’est d’ailleurs également hors des murs, à Ambracie et à Phoiniké, que l’on trouve le temple qui lui est dédié (cf. supra).

177 QUANTIN F., « Poséidon en Chaonie et en Illyrie méridionale », in LABARRE G. (dir.), Les cultes locaux dans les mondes grecs et romains. Actes du colloque de Lyon, 7 - 8 juin 2001, Lyon, de Boccard, 2004, p. 174.

178 Traduction légèrement modifiée.

179 BUDINA D., « Antigonea (Rezultatet e gërmimeve 1966-1970) », in Iliria 2 (1972), p. 308-309.

180 BUDINA D., « Antigonée d’Épire », in Iliria 4 (1976), p. 333.

181 DERCY B., Le travail des peaux et du cuir dans le monde grec antique. Tentative d’une archéologie du disparu appliquée au cuir, Naples, Centre Jean Bérard, 2015, p. 178-180.

Dans le document Dieux, épiclèses et panthéons en Épire (Page 62-65)